La GRC appelée à revoir son fonctionnement, de sa culture à ses champs d’opération

Écrit par Joan Delaney, La Grande Époque - Victoria
16.01.2008
  • Gendarmerie royale du Canada (GRC)(Stringer: Jeff Vinnick / 2005 Getty Images)

Après une année de scandales et de controverses, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pourrait être ébranlée par une réorganisation avant la fin de l’année 2008. Les intrigues dans les hautes sphères du corps policier ont le plus entaché l’image de l’institution.

Les allégations de fraude, de dissimulation et d’abus de pouvoir impliquant une mauvaise utilisation des régimes de retraite et d’assurance de l’organisation avaient été rendues publiques par des policiers lors de l’audience d’une commission parlementaire en mars dernier.

Ceci survenait seulement quelques mois après la démission en disgrâce du commissaire Giuliani Zaccardelli, qui a admis avoir trompé un autre comité chargé d’enquêter sur l’affaire Maher Arar.

Plus l’année avançait, la mort d’un homme présentant des troubles mentaux, mais qui n’était pas armé à l’aéroport de Vancouver – après avoir été électrocuté par un pistolet Taser à deux reprises par des agents de la GRC – et la piètre figure de la police à la Commission Air India ont montré une force policière qui semblait désordonnée.

Dans la foulée du scandale sur les régimes de retraite, David Brown, ex-directeur de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, a publié un rapport acerbe concluant que la culture organisationnelle de la GRC était submergée de problèmes et «terriblement fragmentée».

M. Brown a par la suite dirigé un groupe de travail chargé de concevoir un plan pour réformer la culture et la gouvernance du corps de police fédéral. Ce rapport a été publié en décembre 2007.

Le nouveau commissaire de la GRC, William Elliott, un civil, a déclaré que le rapport marque «une étape importante» et servira en tant qu’un des «principaux facteurs de changement pour aller de l’avant».

«Une chose est très claire, la GRC vivra un changement en 2008», prévoit Robert Gordon, professeur de criminologie et directeur de l’École de Criminologie de l’université Simon Fraser à Vancouver.

«On peut espérer qu’il [le changement] sera assez profond pour rétablir la confiance du public dans le système.»

Certains changements ont déjà été effectués depuis l’entrée en fonction de William Elliott, et d’autres sont attendus bientôt dans les postes de haute direction.

Selon M. Gordon, il y a «beaucoup d’espoir» que M. Elliott sera en mesure d’apaiser les inquiétudes au sein de la GRC, tant au niveau organisationnel qu’opérationnel, «car c’est là que se trouvent les problèmes».

Toutefois, il reste à savoir s’il pourra compter sur l’appui complet du personnel de terrain et de l’administration.

«Essayer de réformer une organisation policière, c’est un peu comme essayer de faire plier le granit», illustre M. Gordon. «La GRC va être particulièrement résistante au changement s’il n’est pas cohérent avec l’image qu’elle se fait d’elle-même, ou avec la perception de ses objectifs et intérêts. Ce sera très dur pour la GRC et le nouveau commissaire.»

En interviewant plus de 2000 membres de la GRC à travers le pays, le groupe de travail de M. Brown a entendu parler de manque d’effectifs, d’une administration inefficace, du manque d’équipement, d’un moral bas, de surmenage et d’épuisement professionnel.

Tandis que les membres professent une fierté acharnée envers la GRC et donnent le meilleur d’eux-mêmes pour évoluer dans des circonstances moins qu’idéales, le groupe de travail a entendu des témoignages d’employés à propos de «la détresse, du désenchantement et de la colère envers une organisation qui les abandonne», écrit M. Brown.

 

Ce dernier recommande une vague de changements, 49 en tout, entre autres, donner à la GRC plus d’indépendance vis-à-vis d’Ottawa et établir un conseil civil indépendant pour la superviser.

La GRC est actuellement la force policière dans plusieurs communautés autochtones et dans toutes les provinces sauf le Québec, l’Ontario et Terre-Neuve-et-Labrador. Tandis que les grandes villes ont normalement leur propre corps policier, environ 200 municipalités au Canada utilisent les services de la GRC.

M. Gordon mentionne que la question de retirer la GRC des niveaux provincial et municipal pour se consacrer seulement au niveau fédéral et aux territoires est à l’étude. «C’est peut-être déjà sur le bureau d’Elliott», estime-t-il.

De cette manière, la force pourrait concentrer ses énergies sur des tâches «plus traditionnelles» de la GRC, comme le crime organisé, le terrorisme et les activités pour le contrer, la protection de dignitaires et l’expertise médico-légale.

À part les territoires qui perçoivent moins d’impôts, les provinces et les municipalités pourraient gérer leurs propres services de police, croit M. Gordon. Ceci diminuerait la charge de travail de la GRC, qui a connu une forte augmentation depuis le 11-septembre, et lui permettrait de se pencher sur le problème de manque de personnel dans le Nord.

«Le système actuel de balkanisation des services de police basé sur les municipalités est en train de s’effondrer», fait remarquer Gordon. «Il est temps pour la GRC de se retirer du niveau municipal dans cette province [Colombie-Britannique].»

Il ajoute que Vancouver et Victoria sont les deux plus grandes régions métropolitaines au Canada qui, jusqu’à maintenant, n’ont pas de service de police distinct.

Un rapport sur la GRC, effectué par Linda Duxbury, professeure de l’université Carleton, qui a été étudié par le groupe de travail de M. Brown, montre un grand clivage entre comment les membres du rang et ceux dans les échelons supérieurs perçoivent l’organisation, selon un article du Ottawa Citizen.

Les cadres supérieurs sont satisfaits de leur emploi et de la façon d’évaluer leur performance, ils estiment que la GRC est un endroit formidable pour travailler et croient que les effectifs sont déployés adéquatement.

Toutefois, ceux en dessous du rang d’inspecteur, c’est-à-dire la majorité de la force, disent qu’ils se sentent trahis par les cadres supérieurs et n’ont ni confiance ni respect pour eux. Ils trouvent que les effectifs sont mal déployés, ils se plaignent du manque de formation, d’un trop grand nombre de priorités et que les incompétents ne reçoivent pas d’avertissement.

«Ceci est en partie attribuable à la distance», explique M. Gordon. «Le personnel de terrain de la GRC est en très grand nombre dans les provinces de l’Ouest. La Colombie-Britannique a la plus grande concentration d’agents de la GRC sous contrat; nous sommes bien loin d’Ottawa.»

Les critiques affirment qu’une réorganisation de la GRC est attendue depuis longtemps et que certains des problèmes surgissant récemment sont endémiques depuis des décennies.

Des scandales, dans les années 1960 et 1970, ont mené à une enquête qui a conclu que la GRC manquait de supervision de la société civile. Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) a donc été créé, mais certains affirment que le corps policier continue de se comporter comme une agence d’espionnage avec des problèmes de responsabilité et de transparence qui demeurent irrésolus.

On ne connaît pas encore lesquelles des recommandations du groupe de travail seront mises en application, mais le commissaire Elliott a déclaré qu’il voulait que les dénonciateurs dans la GRC soient protégés, qu’il y ait un terme aux transferts punitifs et que les contrevenants (policiers) soient punis.

Il a aussi affirmé que la GRC avait besoin d’un ombudsman auprès de qui les agents pourraient déposer librement des plaintes contre les cadres supérieurs.

M. Gordon prévoit qu’il sera particulièrement difficile pour les agents qui font carrière dans la GRC d’accepter le changement, de même que pour ceux qui sont dans l’organisation depuis plusieurs années et qui pourraient bientôt être promus.

«Ce qui sera le plus difficile à atteindre sera, sans l’ombre d’un doute, la transformation de la culture du travail à l’intérieur de la GRC», dit-il. «Ce sera une tâche monumentale.»