À gauche, mais non les moindres

Écrit par Matthew Little, La Grande Époque - Toronto
01.10.2008

  • Jack Layton, chef du NPD. (Stringer: Don MacKinnon / 2006 Getty Images)

Élections 2008 - Le NPD et les Verts pourraient brouiller les cartes le 14 octobre

La lutte entre les conservateurs et les libéraux fait plus souvent les manchettes, mais dans le paysage politique actuel fractionné, les moins grands partis plus à gauche – le NPD et le Parti vert – peuvent influencer le résultat de l’élection.

Le chef du NPD, Jack Layton, n’apprécie peut-être pas se retrouver dans la même catégorie que la chef des Verts, Elizabeth May, considérant que son parti remporte de plus en plus de sièges et que les Verts n’ont jamais élu un député. Mais à moins d’un miracle, ni le NPD ni le Parti vert ne formera le prochain gouvernement.

Layton se refuse à l’évidence. C’est en fait un de ses slogans de campagne : ne les laissez pas vous dire que ce n’est pas possible!

Peut-être a-t-il raison d’être aussi optimiste. Son score s’améliore sans cesse dans les sondages, et l’élection du 14 octobre pourrait représenter une percée encore plus significative. Layton a certainement sorti un discours populiste dans l’espoir d’amadouer les indécis. En plus de promettre de punir les pétrolières et d’imposer une limite sur les taux d’intérêt des cartes de crédit, le NPD a construit une plateforme basée sur l’imposition des plus méchantes et des plus grandes entreprises pour redistribuer cet argent aux familles canadiennes «travaillantes» à la manière de Robin des bois.

Après le succès qu’il a eu à forcer le gouvernement libéral minoritaire de Paul Martin à retravailler son budget de 2005, Layton a vu sa crédibilité s’accroître. Il aurait pu se rallier aux conservateurs et au Bloc québécois pour faire tomber le gouvernement, mais il a plutôt utilisé son levier pour faire adopter ses politiques. Comme le décrit Layton dans son livre Speaking Out Louder, ce budget «a permis aux sans-abri d’avoir un toit, a amélioré le service des autobus dans les transports en commun, a facilité l’entrée des étudiants dans des collèges et universités... et a offert plus d’aide étrangère canadienne à ceux qui en ont le plus besoin partout dans le monde.»

Jack Layton affirme qu’il faut respecter tous les députés. Une assertion pouvant être remise en cause par la publicité du NPD destinée aux Québécois où Harper est présenté comme le miroir de George W. Bush. «Pro-Bush, idéologie rétrograde, autoritaire, intolérante» sont les qualificatifs pour Harper dans la bande annonce. Lorsque que questionné par La Grande Époque à ce sujet, sa réponse par courriel n’était pas très claire.

«En tant que chef canadien des néo-démocrates, je considère que c’est mon travail d’inspirer les électeurs à participer au processus politique», a-t-il écrit.

Peut-être que cela veut dire leur donner espoir que le Parlement fonctionne, ou peut-être les effrayer pour qu’ils votent pour n’importe qui, sauf Harper.

Mais en général, Layton a été constant durant toute sa carrière politique. Il a débuté en tant que conseiller à la ville de Toronto et était reconnu pour se présenter aux rencontres du conseil en jeans et avec les cheveux ébouriffés. À un certain point, une coalition de conseillers du NPD était pratiquement en charge de la ville. Il a par la suite dirigé la Fédération canadienne des municipalités.

Entre ses tâches en politique municipale, il a fondé le Green Catalyst Group Inc., une entreprise conseil en environnement qui a remporté un prix de l’ONU en design environnemental.

Layton a gagné la course au leadership du NPD en 2003 et a remporté un siège à la Chambre des communes à l’élection de 2004. Durant cette élection, le nombre de sièges du NPD est passé de treize à dix-neuf. Certains sondages à la fin de 2003 suggéraient même que le NPD avait la chance de constituer l’opposition officielle. En 2006, le parti néo-démocrate a remporté dix sièges de plus pour un total de 29.

Bien que Jack Layton ait tiré à boulets rouges sur les conservateurs durant l’élection actuelle, il a joué un rôle significatif dans un des évènements les plus importants du 39e Parlement : les excuses formelles du gouvernement aux victimes du système des pensionnats indiens.

Bien que ce soit Stephen Harper qui a offert les excuses historiques aux étudiants autochtones qui ont été forcés de quitter leurs domiciles et qui ont souvent été victimes de mauvais traitements dans les pensionnats, le premier ministre a reconnu que M. Layton l’avait aidé à prendre la décision.

Harper a déclaré que les conseils de Layton, dans différentes circonstances, étaient «grandement appréciés».

Alors que la campagne électorale bat son plein et que le NPD diabolise les conservateurs, il est peu probable que ce genre de coopération survienne de nouveau advenant un autre gouvernement conservateur minoritaire.

Et sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, M. Layton s’entend parfaitement avec Mme May, qui semble plus déterminée à s’assurer que Harper ne soit pas élu plutôt qu’à faire élire ses propres candidats au Parlement.

Dans une récente entrevue avec la revue Maclean’s, May affirme que Harper et Layton travaillent ensemble pour nuire aux libéraux. Alors que Layton a récemment laissé entendre qu’il travaillerait avec un gouvernement libéral minoritaire, le chef libéral Stéphane Dion l’a attaqué, affirmant que les impôts aux entreprises proposés par Layton «élimineraient des emplois partout au pays».

Entre-temps, May appuie Dion depuis longtemps et a suggéré à plusieurs reprises qu’une victoire de Dion serait tout aussi satisfaisante que sa propre victoire.

Pas nécessairement de la bonne politique, mais May a déjà affirmé que l’environnement passe avant tout pour elle.

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Elizabeth May, militante écologiste

May est née aux États-Unis et a grandi sous la tutelle d’un des militants antinucléaires les plus reconnus du pays : sa mère.

La famille de May a déménagé au Cap-Breton, Nouvelle-Écosse, lorsqu’elle était adolescente. Encore jeune adulte, elle a mené un groupe de quinze propriétaires terriens dans une bataille juridique contre une compagnie forestière qui répandait, par voie aérienne, des insecticides déjà bannis en Suède.

  • Elizabeth May, chef du Parti vert.(Stringer: DAVID BOILY / 2008 AFP)

Le groupe a perdu en cour et s’est vu imposer d’importants frais légaux. May a réussi à faire éviter le pire aux propriétaires terriens et à empêcher qu’ils perdent leurs terrains, mais elle a elle-même perdu 70 acres et sa propre maison dans le processus.

Une fois le cas clos, les pesticides étaient déjà bannis au Canada.

Durant cette période, Elizabeth May a complété un diplôme en droit au Dalhousie Law School (1983) et a finalement déménagé à Ottawa (1985), où elle a participé à la mise sur pied du Canadian Environmental Defence Fund, un organisme offrant de l’aide monétaire aux groupes et aux individus qui se battent pour des causes environnementales.

May a également travaillé en tant qu’avocate environnementale, prêtant conseil au ministre de l’Environnement de Brian Mulroney. Ce dernier a par la suite été nommé le premier ministre canadien «le plus vert» par un jury sur lequel May siégeait. Mulroney a souligné que May le considérait comme «le meilleur parmi les mauvais».

Comme beaucoup de gens qui se présentent aux élections, May a été impliquée dans une longue liste de projets – une très longue liste – mais elle s’est toujours consacrée uniquement aux questions environnementales. En 1989, elle a été la directrice exécutive fondatrice d’un des groupes écologistes les plus en vue au pays, le Sierra Club of Canada.

Elle a réussi à faire pression auprès du ministre des Finances, Paul Martin, pour qu’il «verdisse» son budget et a par la suite récidivé avec le ministre des Finances sous Paul Martin, Ralph Goodale.

En 2006, elle a quitté le Sierra Club pour prendre la tête du Parti vert du Canada. Plus tard dans la même année, elle a surpris certains analystes en allant chercher 26 % des voix dans une élection partielle en Ontario en devançant les candidats conservateur et néo-démocrate, mais perdant derrière le libéral Glen Pearson.

Les Verts sont souvent considérés davantage comme un mouvement politique qu’une alternative politique viable, mais cela a changé lorsque May s’est débattue pour être incluse dans le débat des chefs télévisé, attirant alors une grande attention médiatique.

C’était le genre de campagne dans lequel elle excelle. En fait, elle a écrit un livre sur le sujet : How to Save the World in Your Spare Time. C’est un petit volume rempli de trucs sur la manière de combattre le système, et c’est exactement ce qu’elle a fait.

Autant Layton que Harper avait initialement bloqué sa participation aux débats, ayant apparemment peur qu’elle aiderait son vieux pote Dion, qu’elle décrit comme «honorable». Layton a par la suite rebroussé chemin après que May a soulevé l’indignation publique qui nuisait à la campagne du NPD. Ne voulant pas être l’unique méchant, Harper a également fait marche arrière.

Mais malgré tous ces succès, ses chances de remporter un siège dans sa circonscription semblent minces. Elle se frotte au très populaire Peter MacKay, dont le père tenait le comté avant lui. À part une défaite, lorsque les conservateurs de Mulroney ont implosé et que Mulroney s’est lui-même présenté dans ce comté dans une élection partielle, un MacKay a conservé la circonscription depuis près de 40 ans.

Regrette-t-elle de se présenter dans un comté difficile à remporter? May dit n’avoir jamais hésité.

«C’est là que j’habite, c’est là que je me présente», a-t-elle assuré à La Grande Époque dans une entrevue. Je veux être un membre du Parlement pour Central Nova, et je le serai.»

Il reste à voir si elle pourra prendre une forteresse conservatrice. Mais considérant son parcours, ça ne semble pas totalement hors d’atteinte.

May et Layton sont clairement dans le champ gauche. Les libéraux essaient de leur côté d’attirer des électeurs stratégiques pour vaincre les conservateurs. Le NPD veut pour sa part devenir un parti d’opposition légitime. Les Verts, quant à eux, veulent avant tout sortir Harper.

Peu importe ce qui arrive le 14 octobre, au moins personne ne pourra dire qu’il n’a  pas eu le choix.