Censure de Skype en Chine: le mouvement anticommuniste comme cible principale

Écrit par Matthew Little, La Grande Époque
17.10.2008

  • Un utilisateur du logiciel Skype à Hong Kong(Staff: RICHARD A. BROOKS / 2007 AFP)

La nouvelle a fait le tour de la planète en peu de temps : Pékin espionne les utilisateurs chinois du logiciel Skype, permettant de téléphoner par Internet, et censure les messages jugés sensibles. Pas tellement une surprise, considérant la situation du web en Chine et la collaboration des firmes étrangères dans le blocage des contenus «tabous».

Mais dans ce cas présent, ce qui se cache derrière la nouvelle est plus intéressant que la nouvelle elle-même.

En effet, très peu d’attention a été accordée à ce qui constitue une grande partie des termes censurés par le régime chinois. Et aucune analyse sérieuse non plus.

Une portion substantielle des registres de surveillance-censure concerne le mouvement populaire pour éliminer la dictature du Parti communiste chinois (PCC).

Ce mouvement a été déclenché par la publication de la série éditoriale Neuf commentaires sur le Parti communiste  (version Vidéo) - mise en circulation en 2004 par l’édition chinoise de La Grande Époque (Dajiyuan). La série relate l’histoire du PCC, de ses débuts à nos jours, et invite les Chinois à démissionner du parti et de ses organisations affiliées.

À ce jour, près de 45 millions de personnes ont démissionné du PCC. Ce mouvement est rendu possible grâce à l’appui de Chinois de la diaspora qui expédient en Chine, par divers moyens, les Neuf commentaires. De bouche à oreille également, les participants au mouvement incitent et aident chaque individus à rompre avec les institutions communistes qui contrôlent le pouvoir.

Une des méthodes utilisées pour envoyer la documentation en Chine est le logiciel Skype.

«Beaucoup des messages [censurés] étaient en rapport avec cette campagne», explique Nart Villeneuve, un chercheur du Citizen Lab de l’Université de Toronto ayant découvert que les fichiers qui contiennent les historiques de Skype étaient surveillés et archivés.

«En regardant les fichiers de registre, le commentaire critiquant le Parti communiste est ciblé.»

Skype en Chine opère conjointement avec une compagnie locale, du nom de Tom. Le logiciel s’appelle donc Tom-Skype.

Villeneuve indique qu’il a enquêté sur Tom-Skype, car il suspectait qu’il y avait quelque chose de louche.

Lorsque les internautes en Chine veulent télécharger Skype, le logiciel qui permet de clavarder (discuter par clavier interposé) et d’appeler à travers le monde sans frais interurbains, ils se font rediriger vers Tom-Skype.

Tom-Skype fonctionne comme le Skype normal, mais il n’est pas aussi sécurisé. Et si vous mentionnez les mots «Falun Gong», «Taiwan», «Parti communiste», «démocratie» ou une panoplie d’autres, votre conversation est enregistrée.

Le régime chinois utilise l’information fournie par des compagnies comme Yahoo, Google et Microsoft pour surveiller les dissidents, et certains d’entre eux ont été arrêtés et condamnés en raison de cela.

Le cas le plus célèbre est celui du journaliste Shi Tao, condamné à dix ans de prison après que le bureau hongkongais de Yahoo ais partagé ses informations personnelles avec les autorités.

Il semble que Skype a maintenant rejoint une liste grandissante de compagnies étrangères épaulant le régime chinois dans la tâche de surveiller et de réprimer des internautes.

Nart Villeneuve ne voulait pas ébruiter trop de détails concernant les discussions découvertes dans les historiques de conversation afin de protéger la sécurité des personnes impliquées.

C’est également la raison pour laquelle les bénévoles des Centres de démission du Parti communiste en Amérique du Nord mettent en garde les "clavardeurs" au sujet de la surveillance, commente Rong Yi, d’un bureau local de Flushing à New York.

«Nous craignons qu’une fois que le gouvernement chinois obtient les noms de ces personnes, leur vie est en danger.»

Rong Yi souligne que les bénévoles sont «très préoccupés», car il apparait qu’aucun moyen de communication n’est plus désormais sécurisé.

«Nous ne pouvons utiliser Yahoo messenger, le courriel n’est pas sûr, les téléphones non plus, et maintenant Skype n’est plus sécurisé. Nous ne savons plus quoi utiliser.»

Un rapport publié par Citizen Lab indique que les résultats des recherches de Nart Villeneuve devraient servir d’avertissement aux groupes impliqués dans le militantisme politique ou qui utilisent des technologies pour contourner la censure Internet à travers des compagnies qui compromettent les droits de l’Homme.

«Ce qui est clair, c’est que Tom-Skype fait de la surveillance intensive sans souci apparent pour la sécurité et la vie privée des utilisateurs de Skype. Ceci est en contradiction directe avec les déclarations publiques de Skype concernant sa politique en Chine», fait remarquer le rapport.