Anglais | Chinois | Coréen | Français | Allemand | Espagnol | Japonais | Russe | Ukrainien | Hébreu | Roumain | Bulgare | Slovaque | Tchèque | Indonésien | Vietnamien
Faites un don

L’utilité du conflit territorial Cambodge-Thaïlande

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque - Paris
21.10.2008
| A-/A+
  • es moines bouddhistes cambodgiens circulent dans le temple Preah Vihear le 21 juillet 2008(Stringer: TANG CHHIN SOTHY / 2008 AFP)

Les providentiels accrochages entre troupes thaïlandaises et cambodgiennes autour du temple Preah Vihear sont devenus une bouée de secours pour un gouvernement thaïlandais à la dérive et proche de la chute. Du côté cambodgien, ils restimulent un vieux nationalisme. L’antique temple khmer, récemment inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO et situé sur une zone frontalière disputée, sert donc de béquille politique des deux côtés de la frontière tandis que quelques soldats finissent leur vie sur les mines antipersonnel semées autour du lieu saint.

Le conflit autour du temple Preah Vihear date de plus de 50 ans. Le temple est, par une décision de la Cour internationale de justice en 1962, cambodgien, ce que les Thaïlandais n’ont jamais vraiment pu accepter. En 1962, des manifestations violentes avaient fait suite à la décision de la cour. Les Thaïlandais remettaient en cause la validité de la carte utilisée par le Cambodge pour revendiquer la propriété du temple – la même carte qui a été utilisée par l’UNESCO lors de sa décision au mois de juillet d’inscrire le temple au patrimoine mondial de l’humanité. La Thaïlande avait auparavant, en 2006 et 2007, réussi à bloquer cette décision en s’appuyant sur l’indétermination de la nationalité des cinq kilomètres carrés de terre autour du temple.

Le 15 juillet, des gardes-frontières cambodgiens ont placé brièvement en détention trois manifestants thaïlandais qui refusaient de quitter la zone, outrés par la décision de l’UNESCO. Des troupes thaïlandaises ont alors passé la frontière pour récupérer leurs compatriotes. Quelques jours plus tard, les armes lourdes et plus de 1000 soldats des deux pays étaient face à face dans la zone.

De quoi provoquer une escalade

Puis, le 6 octobre, deux soldats thaïlandais ont, lors d’une patrouille de routine, marché sur des mines antipersonnel qui leur ont coupé les jambes et les ont propulsés à plusieurs mètres. L’accident a eu lieu au nord de Phu Ma Khua, dans une zone adjacente au temple Preah Vihear.

«Le gouvernement thaïlandais voit cet incident avec grande inquiétude, car il est une violation de la convention d’Ottawa en 1997 pour l’interdiction des mines antipersonnel et une menace à la paix internationale», indique le directeur adjoint du département de l’Information thaïlandais, Thani Tongpakdi, cité par le Bangkok Post.  «Les mines qui ont été retrouvées semblent aussi être récentes car elles n’étaient pas rouillées», ajoute M. Thani.  «Notre gouvernement attend que les autorités cambodgiennes enquêtent et trouvent les responsables de ces violations de la législation internationale.»

Après une série de réunions sans succès, les combats du 15 octobre ont fait suite à la fin de l’ultimatum lancé deux jours auparavant par le premier ministre cambodgien, Hun Sen, pour que les troupes thaïlandaises se retirent du secteur contesté.

Discussions et inertie

Vendredi 17 octobre, les deux parties n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur des patrouilles conjointes aux frontières, bien qu’elles aient initialement été prévues lors de la première réunion après les violents accrochages du 15 octobre. L’accord trouvé entre les états-majors se limite finalement à maintenir le statu quo : chaque pays maintient ses troupes sur place et s’engage à ne pas en faire venir de nouvelles.

Le premier ministre cambodgien a, le même jour, refusé l’aide de médiateurs internationaux pour résoudre le conflit. Le Cambodge, dont trois soldats sont morts le 15 octobre, a par contre accepté de libérer treize soldats thaïlandais capturés le même jour.

«Le résultat de la rencontre est bon», dit le général Chea Morn, commandant cambodgien de la région, cité par le Phnom Penh Post.  Le lieutenant-général Wiboonsak Neeparn, de l’armée thaïlandaise, regrette, lui, que le retrait des troupes n’a pu être décidé. «Nous n’avons pas fait beaucoup de progrès, mais nous avons pu tomber d’accord sur le fait de rester où nous en sommes.»

 

L’inertie observée dans tout le processus des négociations entre Cambodge et Thaïlande depuis le début de l’année s’explique sans doute, pour une part, par l’instabilité du pouvoir thaïlandais. C’est le premier gouvernement élu depuis le putsch de l’armée en 2006.

Somchai Wongsawat, premier ministre depuis le 17 septembre, n'est pas en position de calmer les esprits sur ce conflit territorial et n’a probablement pas intérêt à le faire : la «menace extérieure» qu’agite le face-à-face frontalier est l’une des seules planches sur laquelle le premier ministre puisse s’appuyer pour garder son poste.

En effet, les opposants au gouvernement thaïlandais, organisés au sein de l'Alliance du peuple pour la démocratie (PAD), campent depuis le 26 août devant le siège du gouvernement dominé par le Parti du pouvoir du peuple (PPP).  Unis par leur opposition à l’ancien premier ministre, Thaksin Shinawatra, accusé de corruption et renversé par des généraux royalistes en septembre 2006, ils veulent la tête de M. Somchai. Ce dernier a le principal défaut d’être le beau-frère de M. Thaksin. Le PAD appelle à sa démission plus vigoureusement encore depuis les incidents de Bangkok le 7 octobre : deux personnes ont été tuées et près de 500 blessées lorsque la police a violemment dispersé des milliers d'opposants royalistes qui avaient organisé un blocus du Parlement.

Chute de premiers ministres

Le premier ministre Somchai continue de son côté à faire la sourde oreille aux appels de la rue, alors que la pression de l’armée monte. Le chef de l’armée, interrogé par le Bangkok Post, ne fait pas mystère de son opinion : «Pour être honnête, si j’étais lui, je démissionnerais. Pourquoi rester? Le pays est en ruine. Cela ne tiendra pas.»

M. Somchai est également visé par une enquête de la Commission nationale contre la corruption, pour des faits remontant à l’époque où il était secrétaire permanent du ministère de la Justice. Il lui est reproché de ne pas avoir su empêcher la corruption d’un juge dans une affaire de vente de terrains. Un groupe de sénateurs rajoute à la pression sur lui en l’accusant de ne pas respecter les obligations d’indépendance des membres du gouvernement. Cette fronde sénatoriale, menée par Ruangkrai Leekijwattana, argue pour cela que la constitution interdit aux responsables politiques d’être actionnaires d’entreprises privées sélectionnées dans des appels d’offre public. Les 100 000 actions dans l’entreprise CS Loxinfo Co de M. Somchai sont donc visiblement gênantes.

Les risques d’une crise «utile»

Les deux pays peuvent voir une utilité à ce conflit frontalier. Le néonationalisme, des deux côtés de la frontière, se nourrit de ces évènements qui créent un esprit de corps du peuple avec les pouvoirs en place. S’il est peut-être le seul espoir de survie du gouvernement thaïlandais, il est également positif pour Hun Sen, premier ministre cambodgien dont le pays s’est toujours senti étouffé par ses plus puissants voisins, la Thaïlande et le Vietnam.

{mospagebreak}

Hun Sen, dont le lien passé avec les khmers rouges reste une tache indélébile sur son parcours, peut ainsi se décrire comme l’ardent défenseur d’une grande nation cambodgienne.

La solution n’était pourtant pas loin : si on en croit ce qu’a dit au Bangkok Post le général Chavalit Yongchaiyudh, vice-premier ministre thaïlandais démissionnaire suite aux violences du 7 octobre. Il a affirmé avoir réussi avant son départ à négocier avec le Cambodge un retour à une situation apaisée : «J'avais pris toutes les dispositions et nous n'attendions plus que le premier ministre Somchai parvienne à un accord avec eux.»

Le Phnom Penh Post a publié, le 18 octobre, des entretiens avec de jeunes Cambodgiens qui disaient vouloir rejoindre l’armée nationale pour défendre leur pays. Le cordon de sécurité autour de l’ambassade thaïlandaise s’est de plus singulièrement renforcé ces deux dernières semaines.

Cette atmosphère fait craindre une possible répétition des violences anti-Thaïlandais de 2003, durant lesquelles l’ambassade de Thaïlande au Cambodge ainsi que de nombreuses boutiques thaïlandaises avaient été incendiées.

À l’époque, l’évènement déclencheur avait été l’article d’un journal cambodgien clamant qu’une célèbre actrice thaïlandaise avait affirmé qu’Angkor Wat, le plus important symbole de la nation cambodgienne, était thaïlandais. La responsabilité des émeutes n’a jamais été établie, mais il est supposé qu’elles ont d’abord été stimulées, avant de se trouver hors de contrôle, par le gouvernement de Hun Sen. Probablement encore pour créer un nouvel équilibre dans les relations avec la Thaïlande.

Les autorités thaïlandaises recommandaient dès la semaine dernière à leurs ressortissants de ne pas voyager au Cambodge; l’évacuation de ses ressortissants par l’ambassade de Thaïlande à Phnom Penh a même commencé, alors que des avions militaires restent, d’après le ministère des Affaires étrangères, en état d’alerte en cas de besoin d’évacuation massive. Ils seraient déjà 500 sur les 1500 Thaïlandais vivant au Cambodge à avoir quitté le pays.

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.