Pétrole, terrorisme et États commanditaires

Écrit par Antoine Latour, La Grande Époque - Montréal
28.10.2008
  • Le chef suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei,(Stringer: STR / 2007 AFP)

Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Tandis que la crise financière sévit – abattant de grandes banques sur son passage, faisant sombrer les valeurs en bourse et poussant les gouvernements à reconsidérer le système financier international – certains observent le tout avec appétit, se délectant de toute malchance pouvant affliger les États-Unis et le monde occidental.

Individus hostiles au capitalisme, groupes terroristes jihadistes et gouvernements luttant contre l'hégémonie américaine perçoivent la débâcle actuelle comme une opportunité à saisir. Mais les économies étant interreliées, les réjouissances de certains vont peut-être s’avérer prématurées.

En effet, d'où sont provenus les revenus permettant à la Russie, à l'Iran et au Venezuela de se renforcer et de projeter leur puissance à l'extérieur de leurs frontières? Des hydrocarbures. Les prix dopés de ces derniers auront peut-être été une manne de courte durée. Avec le ralentissement des économies, le baril de pétrole ne vaut plus que la moitié de ce qu'il valait en juillet dernier. Une perspective qui a poussé l'Organisation de pays exportateurs de pétrole (OPEP) à diminuer la production.

Tour de piste des réjouissances

La déconfiture des marchés en a incité plusieurs à annoncer la fin du capitalisme. Chez la théocratie iranienne et les groupes islamistes, le satan occidental reçoit une «punition divine» pour sa décadence.

«L'école du marxisme s'est effondrée et on peut maintenant entendre le son de la démocratie libérale de l'Occident qui craque», a déclaré le chef suprême de l'Iran, l'ayatollah Ali Khamenei. Pour ce dernier, tout indique une «victoire de la révolution islamique».

Chez les groupes islamistes terroristes, même son de cloche. Douglas Farah, journaliste et consultant en matière de sécurité et de terrorisme, écrit sur son site que le Hamas (rattaché aux Frères musulmans) et Al-Qaïda voient tous les deux la crise financière sous la même lentille. Il en tire une conclusion plutôt abrupte : «Ce qui est frappant c'est que le narratif des islamistes, qu'il s'agisse du Hamas et des Frères musulmans ou d'Al-Qaïda, se termine toujours lorsque les derniers d’entre nous sont morts.»

La rhétorique de Téhéran et celle des groupes terroristes islamistes sont pratiquement les mêmes : Israël doit périr et l'Amérique doit être détruite. Si les attentats représentent une manière ouverte de mener la lutte, un expert sur le terrorisme fait remarquer qu'une autre arme a été évoquée par Al-Qaïda et les Frères musulmans pour accomplir leur mission : celle du pétrole. Walid Phares émet l'hypothèse que la hausse continuelle des prix du brut aurait pu jouer un rôle d'accélérateur dans la crise financière. Les prix exorbitants de cet été auraient en fait donné le coup de grâce.

Pour appuyer son point, il évoque la proximité de certains pays producteurs de pétrole et membres de l'OPEP avec l'idéologie jihadiste. Le Sheikh Yussuf al Qardawi, un idéologue des Frères musulmans, aurait «ouvertement appelé à [utiliser] l'arme du pétrole», selon Phares. Ce dernier admet que les régimes pétroliers n'admettront jamais vouloir mettre à genoux l'économie américaine, mais que ce plan a été évoqué par Ossama Ben Laden.

«Un contre-argument à cette thèse dirait avec vigueur que la déstabilisation alléguée de l'économie américaine par l'OPEP est illogique, car plusieurs pays du Golfe subissent une récession en raison de la crise à Wall Street. En d'autres mots, ils se feraient mal à eux-mêmes. Cependant, les forces idéologiques qui utilisent l'arme du pétrole ne sont pas particulièrement concernées par la stabilité économique. Leur facteur de motivation est le jihad», écrit Walid Phares sur le Counter-Terrorism Blog.

À la différence des groupes terroristes qui souhaitent le chaos et aiment l’idée d’une Amérique combative et intraitable à leur égard, comme le suggère un message d’appui d’Al-Qaïda au candidat républicain John McCain publié la semaine dernière, le régime iranien, lui, a besoin d’une stabilité relative pour survivre. Dans cette optique, leurs célébrations ont peut-être été un peu précoces. Si le système financier iranien a été relativement peu ébranlé par la crise, en raison de son peu d’ouverture et du contrôle gouvernemental, il est indéniable que la chute des cours du pétrole aura un effet amer sur le pays.

«Moins de revenus pétroliers signifie moins de réserves de capitaux, plus de fermetures d’usines, moins d’importations de biens de consommation, moins de confort, plus de chômage et plus de mécontentement au sein de la population», affirme au L.A. Times Reza Kaviani, un économiste à Téhéran. Il est aussi clair que dans ce contexte le programme nucléaire ne peut être poursuivi avec la même agressivité, et les activités terroristes d’entités affiliées ne peuvent être soutenues avec autant d’enthousiasme.

On souligne que ce pourrait être un mauvais signe pour le radical président, Mahmoud Ahmedinejad, qui a pris la présidence grâce à des promesses populistes et qui cherche à se faire réélire au mois de juin. Mais Ahmedinejad a déjà reçu la bénédiction du chef suprême ayatollah Khamenei et, comme le souligne le journaliste dissident iranien, Akbar Ganji, dans un essai publié dernièrement, le vrai pouvoir en Iran demeure dans les mains de l’ayatollah, peu importe qui est président.

La fin de l’ère Poutine?

La Russie sous le président russe, Vladimir Poutine, a connu un essor économique et militaire incontestable, le tout grâce aux prix des hydrocarbures augmentant sans cesse. Avec le géant gazier Gazprom, une compagnie d’État, Moscou a fait la pluie et le beau temps en Europe, se faisant régulièrement accuser d’utiliser le gaz comme une arme. Puis, en raison de cette nouvelle fortune, de nombreuses pratiques militaires abandonnées depuis la chute de l’Union soviétique ont pu être remises en branle, question d’avertir que la Russie serait à nouveau un joueur important sur la scène internationale.

Malgré ce que laissent croire les hauts dirigeants du Kremlin, tout cela pourrait être remis en question. Officiellement, ils ont salué l’effondrement du marché américain, y voyant la possibilité de créer un nouvel ordre mondial où les États-Unis ne siègeraient plus au sommet. En réalité, l’économie russe est dans un état de plus en plus chancelant. Mais le premier coup dans ce cas, ce sont les dirigeants russes qui se l’ont porté eux-mêmes. L’invasion de la Géorgie en août dernier a créé un climat d’instabilité sur le marché russe, provoquant une fuite des investissements. Selon un responsable gouvernemental se confiant au Times, ces fuites auraient été de l’ordre de 33 milliards de dollars en août et septembre derniers.

On rapporte qu’en Russie, les médias – dont une très grande partie est liée au pouvoir – cultivent l’impression que la crise financière affecte seulement les autres pays. C’est un peu ce que laisse entendre Poutine, malgré l’injection de milliards de dollars de Moscou dans l’économie locale. Ceci est rendu possible grâce aux immenses réserves de devises et il n’est pas clair à quel point cela pourra efficacement, et pour combien de temps, maintenir l’illusion que la Russie n’est pas affectée.

La chute des revenus pétroliers n’est pas le seul problème qui guette la Russie. Le Caucase russe demeure toujours une zone d’instabilité, bien que l’on doive y tenir les Jeux olympiques d’hiver en 2014. L’immense territoire est une question toujours irrésolue, en raison d’infrastructures par endroits déficientes et d’une capitale extrêmement loin des régions orientales. De plus, en même temps que la population diminue constamment, l’hostilité envers les Russes non ethniques et les immigrants a provoqué de nombreux crimes racistes ces dernières années.

Selon les données actuelles, la superpuissance russe pourrait se révéler un tigre en papier, et le vrai homme fort du Kremlin, Vladimir Poutine, pourrait y laisser son aura d’invincibilité.

{mospagebreak}

La bête noire

Un autre ennemi notoire des États-Unis se réjouit en public de voir le capitalisme tituber. Hugo Chavez, président du Venezuela, a déclaré que «le modèle de capitalisme américain s’effondre». Mais si le Venezuela de Chavez a pu s’enrichir autant, c’est en exportant plus de la moitié de son pétrole aux États-Unis.

Une diminution de la consommation de pétrole aux États-Unis affecte directement le Venezuela. Actuellement, même avec des clients diversifiés, le résultat serait le même car la crise est mondiale.

Bloomberg rapporte que selon une estimation de la CIA, avec les prix du pétrole des derniers jours, les budgets de l’Iran et du Venezuela ne peuvent balancer. «Certains pays comme l’Iran et le Venezuela ont besoin de prix supérieurs à 80 $ le baril», affirme à Bloomberg Leo Drollas, vice-directeur du Centre for Global Energy Studies.

Caracas pourra peut-être éviter le pire avec l’utilisation de ses réserves stratégiques, mais ce sera insuffisant advenant une crise prolongée. Une telle éventualité pourrait pousser Chavez à durcir son programme socialiste à l’interne, mais son implication dans la région pourrait devoir se replier.

Liens terroristes

Qu’ont en commun l’Iran, le Venezuela et la Russie? Oui, ces États sont de grands producteurs d’hydrocarbures et ils entretiennent des relations plus que correctes, voire chaleureuses. Ils coopèrent dans le domaine de l’énergie et du militaire. Ils sont tous animés du désir de voir périr la domination occidentale.

Ils ont aussi le qualificatif particulier d’appuyer le terrorisme. Pour l’Iran, cela ne fait aucun doute, le Hezbollah étant considéré directement lié à Téhéran. Pour le Venezuela, des pistes et des signes assez convaincants font le lien entre Chavez et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Quant à la Russie, plusieurs pourraient s’insurger et remettre en question l’affirmation qu’il s’agit d’un État qui commandite le terrorisme. L’argument avancé pourrait être que la Russie est aux prises avec ses propres groupes terroristes internes.

Mais une telle assertion ne prend pas en considération la nature des dirigeants au pouvoir et l’historique du Kremlin en la matière. Le KGB était largement impliqué dans le soutien d’entités terroristes avant le démantèlement de l’URSS. L’aide venait par l’apport de renseignements, de matériel et d’appui logistique. Qui contrôle l’État russe actuellement? Une grande majorité d’ex-membres des services secrets russes, avec Vladimir Poutine en tête.

Fabulations? Israël a récemment accusé la Russie de fournir des renseignements aux groupes terroristes qui luttent contre elle.

Konstantin Preobrazhensky, un ex-lieutenant-colonel du KGB, écrivait en juillet dernier dans le Sunday Herald que «les renseignements russes utilisent le terrorisme islamique partout dans le monde. Ils essaient actuellement d’empêcher toute baisse de tension dans le Moyen-Orient afin de maintenir les prix du baril de pétrole élevés pour [remplir] les coffres du Kremlin».

«Il est étrange que l’Occident considère encore la Russie comme son alliée dans la lutte contre le terrorisme international, alors que le terrorisme est un concept qui a initialement été inventé dans les quartiers généraux du KGB en guise d’outil pour la révolution communiste internationale. Le terrorisme est partie intégrante de l’idéologie communiste», affirme-t-il.

Arme du pétrole, États antioccidentaux et groupes terroristes : des pistes qui valent la peine d’être étudiées.