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«Y’a pas de p’tits nains qui viendront t’aider»

Écrit par Michal Neeman, La Grande Époque - Paris
30.10.2008
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  • Sara Shilo. (攝影: / 大紀元)

La Grande Époque a recueilli les propos de Sara Shilo, romancière faisant partie de ceux qui créent la littérature israélienne contemporaine. Elle nous parle de son livre, du processus d’écriture, de la féminité et de la vie en Israël. Sara Shilo habite en Galilée, une région qui a subi de nombreuses attaques terroristes dans les années 70 et bombardée depuis des bases du Hezbollah situées au sud Liban jusqu’à aujourd’hui.

Cette atmosphère de la vie quotidienne, sous la constante menace d’un bombardement ou d’une attaque, est au coeur du livre de Sara Shilo. Y a pas de p’tits nains qui viendront t’aider est la traduction non-offi cielle du titre original Shoum Gamadim lo yavou du premier ouvrage pour adulte de cet auteur en vogue. Mais le livre de Shilo qui a reçu plusieurs prix importants en Israël et qui est déjà à la base d’une pièce de théâtre produite par le théâtre du Kameri à Tel- Aviv, n’est pas facile à cataloguer. L’auteur décrit la vie d’une famille défavorisée dans une petite ville en développement sous les bombardements au nord du pays. Les membres de la famille sont dispersés hors de la maison et chacun croit que le reste de la famille est dans l’abri souterrain du quartier. Chacun des protagonistes attend la chute du missile dans un endroit différent, essayant de résoudre à la fois sa propre peur et son inquiétude pour les autres. En toile de fond et omniprésente, la mort subite de la figure paternelle quelques années auparavant ainsi que les empreintes que sa disparition a laissées. Comment résoudre ou plutôt réconcilier la menace collective avec le deuil personnel? C’est l’une des questions récurrentes du livre.

Cinq personnages, donc cinq voix différentes, cinq registres, avec un style d’écriture différent pour décrire l’univers de chaque personnage et rendre sa vision du monde. C’est aussi l’histoire d’une femme qui tente de se libérer du fantôme de son mari décédé depuis déjà six ans; c’est l’histoire de ces deux frères adolescents qui se forgent envers et contre tout une identité; celle d’un fils opportuniste qui veut simplement améliorer la vie de sa famille ; et enfin d’une fille qui, elle, est poète. Mais c’est aussi et surtout l’histoire de toute une population qui, peu chanceuse, est susceptible – du fait de sa souffrance et de sa propre peur – d’être entraînée à haïr l’autre. Le livre qui a déjà été traduit en italien et en anglais est en cours de traduction en allemand mais n’a pas encore trouvé de maison d’édition pour être traduit en français.

Vous avez quatre enfants plus deux filles que vous avez accueillies chez vous alors qu’elles se trouvaient en difficulté. Est-ce qu’écrire a été pour vous une décision ? Et comment avez-vous pu écrire avec la charge d’une famille aussi nombreuse?

C’est vrai qu’être à la fois parent et écrivain exige qu’on donne beaucoup de soi. La lutte avec le côté maternel est très dure. Quand on a des enfants, il faut être disponible à chaque instant, à l’écoute de leurs demandes et puis tout d’un coup il y a autre chose qui exige cette disponibilité. Pendant des années j’ai senti que l’écriture contredisait la famille. L’écriture, c’est quelque chose qui veut avoir tout pour elle, ça ne veut pas être en interaction avec autre chose.

C’est une occupation très égocentrique. Je ne lui avais jamais laissé la moindre place avant mes quarante ans. Et même maintenant, j’écris à quatre heures du matin ou en voyageant. Souvent je pouvais sentir des personnages et des scènes naître en moi. Parfois c’était capricieux. Le personnage de la mère, Simona, a été écrit durant une semaine très intensive dans mon petit bureau, au grenier. Je me souviens que quand je suis rentrée dans la cuisine après cette semaine, j’ai trouvé les légumes dans le frigo complètement pourris. C’était clair que j’étais absente. Mais la plupart du temps, l’inspiration venait petit à petit. Le personnage de Kobi, je l’ai senti comme une bulle fragile qu’il faut tout de suite écrire avant qu’elle ne disparaisse.

Effectivement j’ai eu des moments diffi ciles quand il me fallait être à l’écoute de mes enfants alors que je commençais juste à sentir un épisode ou un personnage naître en moi et que je devais tout de suite le mettre sur papier. En même temps, j’ai senti que le processus de la création allait très bien avec la maison. Il y a toujours quelque chose qui s’y passe. Il y a une séparation qui fait qu’on a une vie extérieure et une vie intérieure. Et la vie intérieure est une vie à part entière. Ce qui m’a motivé pourtant ce n’était pas de raconter ma propre vie mais d’être quelqu’un d’autre et de comprendre l’«autreté» de cet autre. J’ai cherché des moyens pour devenir l’autre tout en étant contrainte de rester moi.

C’était ça le voyage. En même temps mon comportement de femme mariée et de mère de famille diffère complètement de celui de la célibataire que je suis quand je me retrouve dans la solitude. On peut dire que dans la solitude, il y a plus de place pour le silence que pour la parole. En famille ton silence se remplit tout de suite avec la parole des autres, avec leurs questions, etc. J’ai un silence très animé... Maintenant je sens que ça recommence, que je veux ça. Ce qui veut dire qu’on ne sait pas encore ce qu’elle [l’écriture] va exiger mais que de toute façon, on donnera tout sans négocier.»

J’ai beaucoup aimé l’histoire de la femme poulpe racontée par la jeune fille...

L’histoire de la femme poulpe est une sorte de solution mystique qui permet à la mère de redevenir femme. Les petits enfants narrent cette histoire pendant que la mère est allongée à l’intérieur des buts d’un terrain de football en attendant que tombe la Katiousha. La vie a fait qu’elle est devenue comme un poulpe à huit bras. En fait, c’est l’histoire d’une femme très belle qui vend sa beauté à une sorcière pour avoir plus de bras et pouvoir assumer les trop nombreuses tâches ménagères qui lui incombent. À force de vendre ses atouts un à un, à la fi n il ne lui reste que son bon cœur à donner à la sorcière.

Et lorsque celle-ci le prend, elle devient soudainement gentille et rend à la femme sa beauté. Je crois que chaque femme a une sorte de sorcière qui lui prend ses qualités pour la rendre plus pratique ou pragmatique. Mais toutes ces qualités ne sont pas perdues, elles sont conservées quelque part et on peut toujours les récupérer. Maintenant, quand j’y réfl échis, je pense que ça doit être ça. Je pense que c’est vrai pour moi aussi. Pendant des années je ne me suis plus acheté de disque, j’écoutais la musique des enfants, j’ai oublié complètement ce que moi j’ai aimé, mais en effet ça existe toujours et on peut le retrouver.

Vous dites que c’est l’ «autreté» qui vous intéresse et d’ailleurs on pourrait croire que les personnages des deux adolescents ont été écrits par un homme, par quelqu’un qui a réellement vécu ces choses et eu ce genre de pensées...

Oui, depuis ma jeunesse je me suis sentie très proche de ce côté masculin. J’ai pu sentir ce que ces garçons ressentent eux-mêmes, à travers le langage. Itsik (un de mes enfants) dit toujours: ‘tu comprends ce que je te dis?’. J’ai répété et répété cette phrase et à force de la répéter j’ai ressenti ce que ça veut dire quand on veut être compris et aussi ce que c’est que la méfiance.

 

Par ailleurs, c’est changer l’équilibre en moi. Par exemple je suis très sensible à l’ouïe, donc j’ai décidé de me forcer à me servir plus de mes yeux et à observer, et ainsi d’inverser l’équilibre. Pour devenir le personnage de Kobi, par exemple, moi, j’aime tout de suite raconter ce que je suis en train de vivre, je trouve que c’est une qualité féminine. Là, pour le personnage de Kobi, j’ai décidé d’entreprendre le silence sélectif qui le caractérise dans ma propre routine, d’avoir le choix et de décider quand dévoiler les choses. Tout d’un coup, j’ai pu sentir la douceur de ce que j’avais toujours détesté chez les hommes : le silence sélectif.

Vous habitez dans un quartier aisé. Pourtant, vous avez choisi comme cadre pour l’histoire une ville défavorisée, pourquoi?

Je suis d’une famille d’origine orientale. J’ai été victime du racisme. C’est peut-être pour cette raison d’ailleurs que j’ai choisi de m’installer dans une ville en développement où j’ai vécu pendant 15 ans. Je tiens à réfuter la réputation qu’on fait aux gens qui habitent des villes défavorisées. C’est ce qui est à la base de leur déshumanisation. On ne les traite pas comme des individus, mais on fait des généralités comme si tout le monde avait peur des katioucha où souffrait du manque d’argent. Je tenais à montrer aussi que ces gens, malgré la pauvreté de leur langage, pouvaient être des peintres, des poètes, des philosophes. C’est juste qu’ils n’ont jamais eu la chance de réaliser leur potentiel

On dirait que vous créez un lien entre l’apparition dans le village du Rav Kahana (un extrémiste de droite apparu sur la scène politique dans les années soixante dix puis assassiné par un extrémiste musulman aux États Unis en 90) et la tragédie de cette famille - la mort du père.

Oui, le Rav Kahana... J’ y ai réfléchi. Pour moi le père représente une sorte d’Itzhak Rabin (le Premier ministre assassiné par un extrémiste de droite en 1995 alors qu’il était en train de conclure des accords de paix). J’ai l’impression qu’on l’a laissé tout seul, qu’on a écouté et suivi les extrémistes. Le père dans l’histoire connaît tout le monde, leur goût. Pourtant les gens on choisi de partir ailleurs. J’ai montré que le fils n’écoute même pas Kahana, tout ce qu’il fait c’est pour avoir une meilleure vie. On dit que les habitants des villages défavorisés sont plus racistes et votent pour l’extrême droite. En effet la question n’est pas là. tout ce qu’ils cherchent c’est à avancer dans la vie.

 

Je voulais montrer que la peur est une matière qu’on peut manipuler et comment la politique s’en sert. Comment on arrive à enrôler les gens avec la peur. C’est lié au rôle du père. Si on va dans l’autre sens, la famille s’écroule. Il sent qu’on l’a abandonné pour choisir le mauvais chemin. Symboliquement son coeur n’a pas tenu. Sa mort est ambiguë, on en ignore encore les causes mais ce qui est sûr c’est qu’on l’a retrouvé par terre dans une fl aque d’huile avec une piqûre d’abeille dans le cou. Chacun imagine la cause de sa mort différemment et invente des pièges en fonction de ce qui, d’après lui, a causé la mort du père, et cela dans l’intention de neutraliser les terroristes avant qu’ils ne puissent atteindre le village.

 

Par exemple Kobi pense que c’est l’huile qui a causé la mort du père en le faisant glisser et donc il met en place une bouteille d’huile qui se répandra au bon endroit et au bon moment pour faire tomber les terroristes. Il y a une sorte de parallélisme entre ces images qui sont liées au concept de la réalité formé par l’individu, et la façon dont les habitants d’Israël se positionnent et réagissent politiquement. En fait, tout dépend de comment chacun perçoit ‘sa propre tragédie’. On parle toujours de la leçon de la Shoa. Ne pas aller comme des moutons à l’abattoir ! Qu’est-ce que ça veut dire? Qu’il faut toujours lutter? Cela dépend de la perception du tragique et de la manière dont on élabore nos stratégies de survie et d’existence.

 

En lisant le livre, j’ai eu l’impression que rien n’avait changée en Israël

Quand j’écrivais le livre, des gens m’ont dit que d’ici à ce que le livre soit publié personne ne se souviendra plus des katiouchas. Les katiouchas sont de nouveaux tombées six mois après sa publication. Et maintenant des missiles kassam. Mais la question n’est pas celle de la menace extérieure.

Les personnages doivent choisir une vie privée. La vie personnelle ici n’est pas quelque chose d’évident comme ailleurs. Il faut lutter pour l’avoir. Par exemple, aujourd’hui-même mon fils me téléphone pour me dire qu’il y a eu un attentat. La première chose qu’on veut faire c’est vérifier que tous les gens qu’on connaît vont bien, on allume la télé. Les angoisses nous submergent. Mais j’ai fait un choix, j’ai décidé de fermer la télé et d’ignorer tout. Ne pas être aspirée et rester dans ma vie. C’est pareil dans l’histoire. Chacun des membres de la famille choisit de sortir de l’abri car il y a quelque chose de plus urgent dans sa vie que la chute de la Katioucha, de la menace extérieure. Je crois que c’est ce qui symbolise le plus la lutte pour la vie ici. C’est qu’il faut choisir à chaque instant d’avoir une vie personnelle. Ce n’est pas simplement se lever le matin et vivre une vie mais c’est le faire envers et contre tout. Depuis la guerre je le ressens très fort. J’ai des souvenirs très forts : on était sur la terrasse, moi je voulais réparer un fauteuil ma fi lle devait prendre un cours de conduite et la guerre a éclaté.

 

J’ai lu La Storia d’Elsa Morante: comment la Seconde Guerre mondiale a éclaté et duré des années. À un moment, moi aussi je me suis posée la question : et si la guerre ne se termine jamais alors les fi lles n’iront jamais à l’école ? On était là et d’un moment à l’autre tout a été bouleversé, on a entendu les bombardements. À l’époque où on est sorti du Liban, on a cru qu’on aurait le calme, on l’a vraiment cru. On a l’impression qu’on ne peut jamais être dupe. En fi n de compte malgré le fait qu’on a toujours des preuves que les pessimistes ont raison, on veut faire confi ance. Voilà, ça c’est un combat : s’obstiner à vouloir faire confi ance. Faire confi ance aux gens, aux proches aux lointains, faire confi ance aux négociations, qu’un jour tout changera, c’est aussi une lutte. Dans la famille que je décris il n’ y a pas de confi ance, personne ne révèle ses secrets. La mort du père a bafoué la confi ance. L’acte de la mère, d’aller sur un stade de foot sous les bombes n’est pas moins fou que l’acte des 150 voisins qui courent vers un abri dont la porte est fermée, attendant dehors quand les katiouchas tombent. Pour moi l’acte de Simona représente mon acte à moi quand j’ai commencé l’écriture. C’était aussi un jour d’alerte. Au lieu de rentrer dans la chambre de sécurité je suis montée dans la chambre en haut pour écrire car j’ai senti qu’il y avait quelque chose de plus important que de me protéger et c’était justement de raconter cette histoire

TRADUCTION LIBRE DE LA PREMIERE PAGE DE L’OUVRAGE DE SARA SHILO «Y A PAS DE P’TIT NAINS QUI VIENDRONT T’AIDER»

Qui aurait dit que cette Katyusha m’aurait eue dehors? Six ans qu’ je sors pas. Je marche sans penser : maison-marché-travail-maison-clinique- travail-maison-marché-travailmaison. «Vient la Katioucha et a eu Simona, qui est plus sur son chemin...». J’ai mis le manger sur la table pour eux, le couscous de mardi, avec poulet, avec citrouille avec pois chiche avec tout là-dedans. Je me trouve avec les Katioushas qui tombent sur ma tête, et qu’est-ce qu’il y a dans ma tête? S’ils ont mangé le couscous jusqu’à ce que le premier soit tombé ou s’ils sont descendus à l’abri le ventre vide. Je les compte d’ici quand ils courent tous par là-bas à l’abri: Kobi, Chayim, Oshri, Etti, Dudi, Itsik.

Je dis à mes pieds d’aller à la maison. Mes pieds n’y vont pas. Je suis sur la balançoire de l’aire de jeu, je pousse avec mes pieds sur le sol. Je suis assise sur la balançoire des enfants, moi, balancer, en avant-en arrière, en avant-en arrière, c’est la tombée de la nuit comme l’enfer: il fait un noir de mort. Le premier est tombé, a enlevé toute l’ électricité de la ville. Seules les lumières du village sur l’autre colline restent allumées. Toutes leurs maisons et tous leurs poulaillers ont de la lumière. Dans le village de l’autre côté, ils ont de la lumière. Je suis assise et me balance: «Hey Simona de Dimona Mona, Mona hey Simona de Dimona». Quand la balançoire s’arrête, je chante: «Cerf cerf ouvre moi et serre-moi la main», et je commence à pleurer.

Katiousha*: obus tirés du sud Liban par le Hezbollah sur les villages du nord d’Israël.

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.