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Les cadavres encombrants de la mafia croate

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque - Paris
31.10.2008
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Aux portes de l’Europe et invitée à joindre l’OTAN par le président Georges W. Bush, la Croatie étale son impuissance à lutter contre le crime organisé. Les cadavres se multiplient dans Zagreb, dont la mort violente peut être liée à tant «d’affaires» que les observateurs étrangers ont bien du mal à se retrouver dans les réseaux d’intérêts politico-criminels qui communiquent entre eux par cadavres interposés. Faut-il, comme le suggère l’avocat angevin d’origine croate, Ivan Jurasinovic, aller chercher les responsabilités jusqu’au sommet de l’État croate et parmi les plus proches amis du président Stjepan Mesic? Auquel cas, il est difficile d’envisager que le gouvernement croate, accusé par des anciens hauts responsables du renseignement d’avoir partie liée avec les groupes mafieux locaux, agira efficacement.

Le samedi 25 octobre, le président américain Georges W. Bush a formellement appuyé la candidature de la Croatie et de l’Albanie à l’OTAN, après les avoir félicitées d’avoir su se tirer du communisme et devenir des pays «ouverts et en paix». Ceci pourrait mener à leur adhésion, effective dès 2009, à l’Organisation du Traité de l'Atlantique Nord. Pourtant, en affirmant que «les peuples d’Albanie et de Croatie aident le monde à se rapprocher de ce qui sera un grand triomphe de l’histoire – une Europe entière, une Europe libre et une Europe en paix», le président américain pose un mouchoir pudique sur les réseaux mafieux hérités de l’ère communiste, qui gangrènent tous les pays de l’ancien bloc soviétique et qui, durant le mois d’octobre, ont montré en Croatie avec quelle parfaite impunité ils pouvaient agir.

Les représentants de l’Union européenne, que la Croatie espère également rejoindre prochainement, n’ont pas choisi, eux, le dithyrambe aveugle pour évoquer la situation à Zagreb. Le rapporteur de la candidature croate, Hannes Swoboda, ne cache pas ainsi son inquiétude et indique clairement que les récents assassinats faisaient reculer la candidature de la Croatie à l’Union : «Le gouvernement doit réussir à mettre de l’ordre à cela et éliminer l’apathie observée ces derniers mois et années, ou il n’y aura pas d’entrée rapide de la Croatie dans l’Union européenne», indique le rapporteur, cité par le site Internet [Javno.hr]. Un rapport d’étape de la Commission européenne doit par ailleurs être publié dans les prochaines semaines pour faire le point sur l’avancée du processus d’une adhésion initialement espérée en 2011.

Le message ferme de l’Union fait suite à un mois d’octobre sanglant à Zagreb, avec comme summum l’assassinat de deux journalistes très influents, le 23 octobre dernier.

Ivo Pukanic, propriétaire et ex-rédacteur en chef de l'hebdomadaire Nacional, et le directeur de marketing du magazine, Niko Franjic, ont été tués par l’explosion d’une bombe à côté de la berline Lexus de M. Pukanic. Quelques semaines auparavant, celui-ci avait réchappé de justesse à une attaque à l’arme à feu.

Le président croate, Stjepan Mesic, n’a pu que reconnaître la gravité de la situation : «Le terrorisme gagne les rues de la capitale croate», a-t-il prévenu, cité par des correspondants du site Le Courrier des Balkans. «C’est un défi entièrement nouveau pour chacun d’entre nous. Les institutions de l’État doivent réagir immédiatement et avec fermeté. La société croate doit s’unir, on ne peut plus attendre, c’est soit eux soit nous», avait-il ajouté.

Nombreux sont ceux en Croatie qui demandent maintenant au gouvernement croate de décréter l'état d'urgence et de déclencher une opération «mains propres».

Fin d’un personnage médiatique

La mort d’Ivo Pukanic fait beaucoup de bruit, car le sulfureux patron de presse était un homme puissant, proche du pouvoir politique croate et très introduit dans les milieux du renseignement national.

Pukanic était également un ami proche d’Hrvoje Petrac, homme dont le nom se retrouve associé de près ou de loin à des dizaines d’affaires d’enlèvement, de meurtre et d’extorsion.

Grâce à une fuite organisée par la femme d’Ivo Pukanic – les divorces conflictuels ont au moins cela de bon – la Société des Journalistes Croates a pu être informée du deal proposé à Hrvoje Petrac par le gouvernement croate. Emprisonné entre autres pour l’enlèvement du fils de l’ex-général croate Vladimir Zagorec, Petrac avait envoyé des lettres à son ami Pukanic, qui indiquent qu’un accord a été trouvé avec quelqu’un «au sommet de l’État» pour témoigner contre Vladimir Zagorec en échange d’une réduction de peine.

Dans ce deal, Ivo Pukanic servait d’intermédiaire avec la présidence croate. Illustration de l’influence du journaliste décédé : en avril 2008, celui-ci a réussi à faire interner de force dans un hôpital psychiatrique son ex-épouse, arrêtée par la police chez elle alors qu’elle accordait une entrevue et faisait de nouvelles révélations.

L’ex-militaire Vladimir Zagorec est lui soupçonné de détournement de fonds et a été arrêté à la fin de septembre à Vienne. Ancien vice-ministre de la Défense, il était en charge de l’approvisionnement en armes de l’armée croate au début des années 1990 – en plein embargo - et en sait beaucoup trop sur les réseaux inavouables d’importation d’armes de l’époque – parmi lesquels auraient figuré des partenaires autrichiens, allemands et jusqu’à l’armée française.

Message aux avocats?

La fille de Zvonimir Hodak, avocat de Vladimir Zagorec, a elle été abattue le 7 octobre, en plein jour et en plein centre de Zagreb, de deux balles dans la tête. Ivana Hodak, 26 ans, avocate elle-même, travaillait avec son père. Le cadavre de la jeune femme est devenu un de ces messages que les clans mafieux envoient comme avertissement, et qu’ils affichent ensuite en toute impunité, comme un tableau de chasse, dans les bars de Zagreb bien connus qu’ils fréquentent. Pour compliquer la situation, Ivana Hodak entretenait une liaison avec Ljubo Pavasovic Viskovic, l’avocat de Hrvoje Petrac… soit le principal témoin à charge dans l’inculpation du client de son père.

Mais le casse-tête ne s’arrête pas là : Yvan Jurasinovic, jeune avocat français en prise directe avec le président croate, a révélé au quotidien Ouest France que c’est par le moyen de Zvanimir Hodak qu’il a pu déposer plainte contre le président Mesic. La signature des services de renseignement croates est d’après son client – l’ancien n° 2 des services secrets croates – visible dans ce meurtre.

Un avocat français au milieu

Yvan Jurasinovic s’attaque au président Mesic à qui il demande d’expliquer ses liens avec un parrain de la mafia croate qui a financé ses campagnes électorales. Le jeune avocat, qui a subi des intimidations diverses, a déjà obtenu, le 24 octobre, 10 000 euros de dommages et intérêts dans la plainte qu’il a lui-même déposée contre le président croate pour insulte et menace. Stjepan Mesic a en effet conseillé publiquement à l’avocat un séjour dans l’hôpital psychiatrique Vrapce, une institution largement connue comme un centre de tortures et de disparitions organisées lors de la période communiste.

Les hypothèses

Le journal Slobodna Dalmacija, cité par le Courrier des Balkans, voit plusieurs moyens d’expliquer l’assassinat d’Ivo Pukanic. Celui-ci pourrait être la réponse au meurtre d’Ivana Hodak, Pukanic ayant été intermédiaire du pouvoir croate dans sa campagne pour l’extradition du général Vladimir Zagorec, défendu par le père de la jeune fille. Le journal Nacional avait de plus publié le premier la liaison gênante de la jeune fille.

Cette hypothèse, en particulier du fait de la co-incidence temporelle des décès, semble la plus solide. Elle n’exclut cependant pas une implication de la mafia monténégrine des cigarettes, que le Nacional avait écorchée par ses articles sur les circuits de contrebande entre Montenegro et Serbie, ou bien d’islamistes répondant à la publication par le journal des caricatures danoises de Mahomet, mais ce n’est que théorie.

Des moyens de papier

Le 7 octobre, lendemain du meurtre d’Ivana Hodak, le premier ministre croate, Ivo Sanader, a limogé le ministre de l’Intérieur et le ministre de la Justice ainsi que le chef de la police. Ceux-ci ont été jugés responsables de l’inertie des actions contre la mafia.

Peu après, le premier ministre a annoncé la mise en place d’une loi sur la confiscation des biens accumulés par des personnes reconnues membres du crime organisé, initiative dont l’efficacité potentielle a divisé l’opinion. Au-delà de ces mesures, les autorités croates disent ne pas envisager de décréter l’état d’urgence, à l’inverse de ce qui avait été fait en Serbie après l’assassinat de l’ancien premier ministre, Zoran Djindjic, en mars 2003. L’opération «Sabre» qui, sans les éradiquer, a su pour quelque temps contenir en Serbie les syndicats du crime, n’est souhaitée en Croatie que par les citoyens lassés de voir l’impuissance d’un gouvernement dont les liens avec le «second pouvoir» sont probablement trop étroits.

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.