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Afrique du Sud : fin de la période Mbeki

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque - Paris
04.10.2008
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  • Thabo Mbeki(Stringer: DESMOND KWANDE / 2008 AFP)

 

Rien n’empêchait théoriquement le président sud-africain, Thabo Mbeki, de finir son mandat comme prévu en avril 2009 et de laisser alors la transition se faire vers une présidence très probablement offerte à son rival Jacob Zuma, nouveau président de l’ANC (Congrès national africain). Mais le choix des membres du bureau de l’ANC a été d’humilier Mbeki publiquement, de l’envoyer au tapis. C’est évidemment la dernière étape d’un règlement de comptes politique entre les deux hommes, dont la lutte n’est pas encore terminée. Ceci ouvre une période d’incertitude pour l’Afrique du Sud.

L’ANC se déchire depuis le départ de Nelson Mandela, au point que peu hésitent à prévoir un éclatement de cette coalition anti-apartheid datant de 1912. Le 20 septembre dernier, l’ANC a lancé une véritable bombe en forçant le président Mbeki à démissionner suite aux révélations d’un juge chargé des poursuites pour corruption contre Jacob Zuma, nouveau président de l'ANC et rival historique de Thabo Mbeki. Des proches de Thabo Mbeki auraient exercé des pressions politiques pour arriver à une condamnation de Zuma.

Si Mbeki a immédiatement présenté sa démission, le règlement de comptes a pris une ampleur imprévue lorsque près d’un tiers du gouvernement l’a suivi en démissionnant de même. Certains départs sont peut-être jugés heureux, comme celui de la ministre de la Santé, Manto Tshabalala-Msimang, célèbre pour avoir affirmé que l’on peut guérir du sida en buvant du jus de betterave. Mais celui du ministre des Finances, Trevor Manuel, a par contre immédiatement fait dévisser les cours de la bourse de Johannesburg. Trevor Manuel est en effet largement considéré comme le père de la croissance économique du pays et il a fallu qu’il précise qu’il restait disponible pour participer à un nouveau gouvernement pour réoxygéner les investisseurs.

Dernier élément pour rassurer le pays et le continent, le nouveau président choisi par l’Assemblée nationale est Kgalema Motlanthe, homme de conciliation et de compromis. Celui-ci aura la tâche difficile de maintenir unie, jusqu’en avril prochain, une ANC de plus en plus divisée. «Les sœurs s'attaquent entre elles et les camarades se sautent à la gorge», déplorait en décembre dernier l'ex-femme du Nobel de la Paix, Winnie Madikizela-Mandela.

L’ANC regroupe en effet des tendances politiques allant des communistes aux conservateurs, dont l’union en période de lutte contre l’apartheid n’a plus de sens aujourd’hui. Pour certains, le seul ciment restant au sein de l’ANC est le copinage. «Aujourd'hui, nous sommes au gouvernement et les gens baignent dans l'argent et le pouvoir. Ils ne veulent pas tout lâcher», déplore Kebby Maphatsoe, un militant historique de l’ANC durant les années de lutte contre l'apartheid.

Les étapes d’un règlement de comptes

Dans le monde généralement feutré de la politique, quel conflit a pu être assez grave pour que la revanche soit une humiliation publique du premier personnage de l’État?

Il faut remonter à la présidence de Mandela, de 1994 à 1999, pour en voir les premières marques. Thabo Mbeki, alors vice-président, a rapidement assumé des responsabilités exécutives et préparé son accession au pouvoir en éloignant un à un tous les autres candidats potentiels, en particulier le brillant Cyril Ramaphosa, accusé de complot, qui s’est alors tourné vers l’industrie pour en devenir un des plus efficaces patrons.

Le choix de Thabo Mbeki comme successeur de Mandela a été le choix d’un style froid, «aristocratique». Le père de Mbeki était compagnon de cellule de Mandela et c’est le père de Mbeki aussi qui, en prison, a formé Jacob Zuma, lui apprenant à lire et à réfléchir en politique durant ses dix années d’incarcération.

Thabo Mbeki faisait, lui, de brillantes et tranquilles études en Angleterre, d’où il est revenu avec un accent anglais aussi impeccable que la tenue de ses costumes. Mbeki était, d’une certaine manière, légitime pour le poste de président qu’il a assumé à partir de 1999 : son profil technocratique était rassurant, occidental et devait permettre de stimuler les investissements étrangers.

Mais à l’époque déjà, Mandela alertait son successeur contre ce qui lui a depuis toujours été reproché, son hermétisme hautain : «Une tentation du dirigeant élu sans opposition est d’utiliser sa puissante position pour s’occuper de ses détracteurs, les marginaliser, dans certains cas s’en débarrasser, et de ne s’entourer que de “oui monsieur”.»

Jacob Zuma, président de l’ANC depuis décembre dernier et artisan de l’élimination de Mbeki, est le profil exactement opposé de son adversaire. Face au gentleman froid, Zuma est, lui, un personnage exubérant et populiste, marié puis séparé de onze femmes. Ce Zoulou, qui a gardé du bétail en zone rurale avant d’être formé par le père de Thabo Mbeki, a d’abord soutenu le président, l’aidant à éloigner ses adversaires.

En 1994, il réalise la prouesse de convaincre le parti zoulou Inkhata de participer aux premières élections générales libres qui consacreront l’arrivée au pouvoir de l’ANC et mettront fin à une période de violences dans le pays. Il y gagne la reconnaissance et la confiance des plus hauts cadres de l’ANC.

La popularité de Jabob Zuma, proche du peuple, communicateur chaleureux et reflet inverse de celle de Thabo Mbeki, n’a pas été ternie pas les différentes affaires de corruption dans lesquelles il est accusé d’avoir baigné.

Après sa victoire facile aux élections de l’ANC en décembre dernier, Jacob Zuma vient donc de franchir une étape supplémentaire dans son ascension et dans sa revanche contre Mbeki qui, depuis des années, tente de le noyer sur le terrain judiciaire.

Dans ce coup bien préparé, Jacob Zuma aurait été aidé en particulier par Cyril Ramaphosa, qui avait lui aussi un vieux compte à régler avec Mbeki. Mais le soutien le plus vigoureux à l’élimination anticipée de Thabo Mbeki est sans doute le bilan des dix années de sa présidence. Si la croissance économique est bien présente en Afrique du Sud, le gouvernement est socialement en échec complet.

Au printemps, des émeutes liées aux pénuries d’électricité et au chômage ont, par exemple, conduit au lynchage de dizaines d’immigrés zimbabwéens accusés de voler les emplois des Sud-Africains. Et la construction de deux millions de logements ne dissimule pas la croissance incontrôlée des bidonvilles.

Les années Mbeki resteront également marquées par le refus de donner accès aux médicaments contre le sida et par le refus de reconnaître tout lien entre une infection VIH et la maladie.

Politiquement enfin, sur le continent, l’Afrique du Sud – dont les positions sont de plus perçues comme impérialistes – s’essouffle et est régulièrement contestée. Le dernier exemple à ce jour étant le soutien à Robert Mugabe au Zimbabwe, malgré l’évidence de la défaite de celui-ci aux élections présidentielles de juin.

L’Afrique du Sud reste donc en période de turbulences, avec une ANC fragilisée et une cocotte-minute sociale à contrôler. De plus, Thabo Mbeki ne se privera probablement pas de faire jouer ses réseaux pour agir contre Jacob Zuma en particulier et contre d’autres cadres de l’ANC. Il a d’ailleurs, dès la semaine dernière, commencé à riposter sur le terrain judiciaire en introduisant un recours devant la Cour constitutionnelle contre les attendus du jugement le mettant en cause.

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.