Anglais | Chinois | Coréen | Français | Allemand | Espagnol | Japonais | Russe | Ukrainien | Hébreu | Roumain | Bulgare | Slovaque | Tchèque | Indonésien | Vietnamien
Faites un don

Les États-Unis et l'Inde solidifient leur partenariat stratégique

Écrit par Noé Chartier, La Grande Époque - Montréal
07.10.2008
| A-/A+

  • La secrétaire d’État américaine, Condoleezza Rice, serre la main du ministre des Affaires étrangères indien, Pranab Mukherjee(Staff: RAVEENDRAN / 2008 AFP)

Nucléaire et armements pour des relations chaleureuses

La présidence de George W. Bush tire à sa fin et certains évènements l'auront marquée de traces indélébiles. Parmi ceux-ci viennent automatiquement en tête le 11-septembre, les guerres d'Afghanistan et d'Irak subséquentes, puis la débandade économique se déroulant actuellement. Outre ses zones d'ombre, que certains qualifient volontiers de trous noirs, Bush aura peut-être aidé à donner un nouveau souffle à Washington sur la scène internationale en réussissant peu à peu à amener dans son orbite une Inde jusque-là réticente mais en plein essor.

Les conséquences de ce rapprochement ont des implications géostratégiques majeures qui ne devraient pas tarder à avoir un impact sur la scène internationale.

Le maillon fort de cette alliance s'est concrétisé dernièrement par le pacte de coopération nucléaire États-Unis-Inde. Malgré que l'Inde soit une puissance nucléaire «rebelle», non signataire du Traité de non-prolifération (TNP), le groupe des fournisseurs nucléaires a levé l'embargo sur le commerce nucléaire avec celle-ci au mois de septembre. Auparavant, l’Agence internationale de l’énergie atomique avait également donné le feu vert. Pour Washington, la voie politique de ce commerce s'est ouverte plus récemment avec l'approbation de l’entente par le Congrès et le Sénat. En fin de semaine dernière, Condoleezza Rice, secrétaire d’État américaine, était en Inde pour régler certains détails administratifs. L’entente est conclue, reste plus qu’à la signer.

L'ouverture de ce nouveau marché des atomes ne profitera cependant pas seulement aux firmes américaines. L'Europe, avec la France en tête, et la Russie pourront également s'aventurer dans le domaine. D'ailleurs, certains soulignent que ces entités ont un avantage en la matière sur les firmes américaines, que l'on juge moins à la page technologiquement.

Néanmoins, les États-Unis conserveront le crédit d'avoir fait débloqué les choses. La confiance qui s'est bâtie entre Washington et New Delhi ces dernières années semble assez profonde. Les États-Unis sont prêts à partager leur technologie nucléaire avec un État non signataire du TNP, alors qu'ils font des pieds et des mains pour empêcher – avec peu de succès – le développement d'un pays signataire, soit l'Iran.

Affinité politique diront certains, nécessité stratégique font valoir d'autres. En réalité, une heureuse combinaison des deux. L'Inde, malgré tous ses défauts, demeure un gros îlot démocratique collé sur l'instable Pakistan et la Chine dictatoriale.

L'industrie nucléaire peut certes se réjouir de ce nouveau débouché et les marchands d'armes américains en font tout autant. L'Inde achète traditionnellement une bonne partie de son armement en Russie, mais cela a commencé à changer dernièrement.

Le groupe Jane's, spécialisé en renseignement militaire, rapportait en septembre dernier la probable vente des États-Unis vers l'Inde de missiles Harpoon anti-navires d'une valeur de 170 millions de dollars. Toujours selon Jane's, New Delhi négocierait l'achat de huit avions Boeing P-81 de reconnaissance maritime (valeur de 2,2 milliards de dollars). Ceci fait suite à l'achat de six avions de transport C-130J-30 de Lockheed Martin au coût de 962 millions de dollars plus tôt cette année.

L'Inde cherche également à se doter de nouveaux avions de chasse et plusieurs fabricants de différents pays sont en lice pour obtenir le contrat de 10 milliards de dollars. Advenant l'octroi du contrat à une firme américaine, Boeing ou Lockheed Martin, l'engagement de New Delhi envers Washington ne laisserait plus beaucoup de doutes.

Outre l'armement, les deux pays négocieraient pour conclure une entente permettant aux armées des deux pays d'utiliser réciproquement les installations militaires de l'autre pour l'entretien, les soins médicaux, le ravitaillement et les communications.

Contrer la Chine

Chez les analystes, on estime que le rapprochement indo-américain vise avant tout à contrer l'influence de la Chine dans la région.

Si des percées diplomatiques sont survenues entre New Delhi et Pékin ces dernières années, les deux pays les plus peuplés de la terre possèdent davantage de pommes de discorde que de fruits à partager. D’une part, des disputes territoriales ne sont toujours pas résolues et s’étaient soldées par une guerre à l’avantage de la Chine en 1962. D’autre part, l’Inde abrite le gouvernement tibétain en exil et celui que le régime chinois considère comme le diable en personne, soit le Dalaï-lama. Plus encore, Pékin demeure un soutien de longue date à Islamabad, ennemi juré de New Delhi.

Outre ces aspects que certains pourraient être tentés de ramener à du simple folklore, il y a des réalités stratégiques qui commencent à inquiéter le leadership des deux pays.

L’approvisionnement en hydrocarbures de la Chine se fait largement par voie maritime, si bien que certains analystes considèrent actuellement le détroit de Malacca – entre la Malaisie et l’Indonésie – comme le talon d’Achille de Pékin. L’Inde, en tant que net compétiteur pour les ressources naturelles et pour l’influence politique dans la région, représente un obstacle au plan de domination asiatique de la Chine.

{mospagebreak}

«Si vous désirez établir l’hégémonie sur le territoire asiatique, la puissance avec qui vous devez avoir à faire c’est l’Inde», affirme au Telegraph le général indien G. D. Bakshi. «L’Inde est comme un porte-avion impossible à couler au milieu de l’océan et de leurs voies maritimes essentielles.»

Si l’Inde, avec sa marine respectable en taille mais vieillissante, imposait un blocus dans la région du détroit de Malacca, cela porterait un dur coup à l’économie chinoise et aux capacités opérationnelles du régime. L’envoi de navires de guerre chinois pour protéger ses routes maritimes pourrait faire des flammèches.

  • Le porte-avions indien INS Viraat (droite) et le destroyer américain USS Higgins (Stringer: SEBASTIAN D'SOUZA / 2005 AFP)

Le quotidien britannique Telegraph explique les derniers développements. Pour contrer l’éventualité d’un blocus, la Chine a entrepris la construction d’un port à Gwadar, au Pakistan, qui pourrait devenir un point d’attache pour sa marine militaire. Un pipeline pourrait également y commencer pour acheminer le pétrole venu du Moyen-Orient vers la Chine, sans avoir à contourner l’Inde. Sur le flanc est, la Chine construit un port et un terminal pétrolier à Kyauk Phyu, en Birmanie, pour acheminer les hydrocarbures par pipeline vers la ville chinoise de Kunming, dans la province australe du Yunnan.

Ajoutant la pièce moins stratégique du Népal, récemment passé par voie électorale aux mains des maoïstes, les stratèges militaires indiens ressentent l’encerclement.

Pour les États-Unis, une alliance avec l’Inde augmente les possibilités de pouvoir contenir la Chine. C’est un atout majeur sur le front sud, tandis que le front nord-est est gardé par le Japon, dans le giron américain depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Le jeu du triangle

M. D. Nalapat, un analyste du centre de réflexion Jamestown Foundation, souligne dans un essai de janvier 2008 les similitudes entre les dénouements stratégiques d’aujourd’hui et ceux du début des années 1970, concernant la politique étrangère américaine.

À cette époque, le président américain Nixon et son secrétaire d’État Kissinger avaient établi des relations diplomatiques avec Pékin pour faire jouer la Chine communiste contre sa rivale l’Union soviétique. Un jeu du triangle que beaucoup ont considéré comme un coup de maître stratégique. Une théorie que rebute M. D. Nalapat. Il explique que l’antagonisme entre Pékin et Moscou était assez prononcé, de sorte qu’il n’y avait aucun besoin d’un rapprochement sino-américain. Mais il note surtout que ce «coup de maître» a finalement permis à la Chine d’avoir la force suffisante de devenir à ce jour un compétiteur stratégique des États-Unis.

Washington a donc créé lui-même son problème en croyant obtenir des gains à court terme. Les États-Unis avaient ouvert le bal à une plus grande reconnaissance de la Chine communiste sur la scène internationale. Maintenant, il est très probable que sans l’afflux massif de capitaux étrangers sous les réformes économiques de Deng Xiaoping, l’économie chinoise se serait effondrée et le régime aurait subi le même sort.

C’est là où intervient l’Inde, plus de 30 ans plus tard. La Chine se fait servir la même médecine que l’URSS. Après avoir misé sur Pékin, finalement à son détriment, Washington mise sur New Delhi pour contrer Pékin. Mais, cette fois, l’issue pourrait être plus avantageuse pour les États-Unis, car le nouvel allié est plus compatible politiquement et même culturellement, l’Inde ayant un passé sous contrôle britannique et la présence de la langue anglaise y est toujours importante.

Mais on se garde de dire que New Delhi deviendra une simple marionnette de Washington. Le géant indien est une puissance régionale à part entière et misera avant tout à défendre ses propres intérêts. Certains de ceux-ci passent actuellement par des relations correctes avec l’Iran et par le soutien à la junte birmane, dans l’espoir qu’elle ne soit pas complètement dans les bras chinois.

Et après?

Pour l’establishment indien, tout cela est une très bonne nouvelle. Ce sera bon pour l’économie et ça rassurera les dirigeants préoccupés par l’encerclement. Pour les élites américaines, c’est un pas dans la bonne direction. L’idée que les États-Unis ont sacrifié beaucoup de leur sécurité en renforçant le régime chinois est courante, et cela continue d’être alimenté par des rapports signalant le rapide développement du dispositif militaire chinois. Dans ce contexte, pouvoir renforcer l’armée indienne en équipement et en partage de savoir-faire sera une bénédiction.

Le brouillon d’un nouveau rapport du Département d’État américain, dont le Washington Times a obtenu copie, reflète cette préoccupation plus accrue envers la Chine. «Utilisant des capacités militaires techniques américaines supérieures, les États-Unis devraient entreprendre le développement de nouvelles armes, de capteurs, des communications et d’autres programmes et tactiques pour convaincre la Chine qu’elle ne pourra pas supplanter l’armée américaine.»

La course aux armements en Asie est une réalité. L’interconnexion des économies et la bombe nucléaire sont souvent présentées comme des éléments dissuasifs importants permettant d’éviter l’éclatement de conflits majeurs, mais la course aux ressources et l’expansion des puissances réunissent deux éléments pouvant avoir le dessus sur la raison : le besoin et le désir.

 

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.