Anglais | Chinois | Coréen | Français | Allemand | Espagnol | Japonais | Russe | Ukrainien | Hébreu | Roumain | Bulgare | Slovaque | Tchèque | Indonésien | Vietnamien
Faites un don

Obama, si!

Écrit par Nicolas Harguindey, Collaboration spéciale
18.11.2008
| A-/A+
  • Barack Obama rencontre George W. Bush le 11 novembre à la Maison-Blanche.(Staff: JIM WATSON / 2008 AFP)

Le nouveau président américain élu enthousiasme l’Amérique latine, mais des préoccupations demeurent

Dans un pays qui n’a retiré qu’en juillet 2008 Nelson Mandela de la célèbre U.S. terrorism list, pour la première fois un afro-descendant accèdera à la présidence américaine. Tandis que la planète entière semble en liesse, envoûtée par une Obamania faisant tache d’huile, sur le plan international, l’élection d’Obama le 4 novembre dernier est particulièrement significative pour l’Amérique latine.

La proximité géographique et les sources historiques communes ont fait de l'Amérique latine postcoloniale un terrain prioritaire dans l'entreprise hégémonique étasunienne et, encore aujourd'hui, l'évolution des États-Unis préoccupe foncièrement le sous-continent.

Barack Obama n’a pas encore emménagé à la Maison-Blanche que déjà, en sol latino-américain, on sent que le nouveau président pourrait être vecteur de changements, notamment par le biais de sa politique extérieure.

En fait, la stratégie américaine en Amérique latine a commencé à évoluer significativement depuis quelques années en corrélation avec l’effritement du leadership du président Bush et le fiasco de la guerre au Moyen-Orient.

Suite au 11 septembre 2001, le repli étasunien du sous-continent aura, au-delà des circonstances, engendré le déclin de l'hégémonie américaine dans une région jadis considérée par l'establishment comme une cour arrière.

Symbole d’une ère nouvelle dans les relations États-Unis-Amérique latine, cette fois-ci il y eût même des félicitations en provenance de Cuba qui, tout en félicitant le président élu, en a profité pour demander la fin de l’embargo. Pour la première fois en une décennie, le président désigné s’est dit partisan de la levée de certaines restrictions sur Cuba comme celles relatives aux voyages des ressortissants et à l’envoi d’argent, mesures qui seraient immédiatement abrogées.

Dans ce contexte, il ne serait pas non plus utopique, pensent certains spécialistes, de voir à court terme le président désigné établir une rencontre avec son homologue cubain, Raul Castro. L'administration à venir se montre déterminée à redonner la priorité traditionnelle à l'Amérique latine au sein de sa politique étrangère. «Ce qui est bon pour l’Amérique latine l’est pour les États-Unis.» C’est ainsi que Dan Restrepo, conseiller principal d’Obama dans la région, scelle le futur de son pays et du sous-continent en un même destin.

De ce fait, Restrepo envoie en quelque sorte un message aux tenants de l’antiaméricanisme pressés de voir l’Amérique latine divorcer définitivement avec l’historique influence américaine : leurs intérêts seraient toujours «mariés», pour le meilleur et pour le pire.

De toute évidence, en Amérique latine, les analyses exhaustives scrutent à la loupe la future politique extérieure d’Obama pour tenter d’en appréhender ses couleurs avant l’heure, signe que malgré une certaine émancipation symbolique, la région dépend encore manifestement des États-Unis, notamment économiquement.

Au niveau commercial, Obama semble vouloir renouer avec une dynamique centripète plutôt que centrifuge, donc favorisant plutôt le protectionnisme au détriment d’une optique libre-échangiste rayonnant sur ses partenaires commerciaux.

Même si dans le cadre de la crise financière Obama soutient le libre marché, on sait que le président élu s’oppose au Traité de libre commerce entre les États-Unis et l’Amérique centrale (plus la République dominicaine), le CAFTA. Rappelons que ce traité a été adopté dans la Chambre des représentants en 2006 par deux votes de différence et approuvé par seulement quinze démocrates.

Le président désigné s’oppose au traité de libre échange que George W. Bush souhaite ratifier avec la Colombie d’ici la fin de son mandat, tout en donnant son appui à la pérennisation du Plan Colombia, établi officiellement pour combattre le narcotrafic et fortifier les institutions civiles, mais rejeté par la gauche latino-américaine.

À la demande des syndicats, le prochain président a aussi signalé son intention de réviser l’ALENA, l’Accord de libre échange de l’Amérique du Nord approuvé au Congrès sous Clinton en 1993.

En Amérique centrale et au Mexique, il sera impératif pour Barack Obama d’approfondir la dite «intégration fonctionnelle» de la région, initiative qui à plusieurs égards se démarque justement par son disfonctionnement, surtout en matière de sécurité au travers d’une lutte multiétatique contre les cartels de la drogue et les gangs juvéniles liés au crime organisé, les maras. Plusieurs secteurs latino-américains revendiquent d'ailleurs une politique extérieure américaine dans la région qui outrepasse les seules problématiques du terrorisme et du trafic de drogue.

La politique actuelle des États-Unis en Amérique du Sud émerge d’un consensus démocrate-républicain élaboré en 2007 et articulé par son chef exécutif, Thomas Shannon, sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères latino-américaines. Dans le but d’élargir les amitiés étasuniennes hors du traditionnel bastion colombien, la priorité de Shannon dans la région demeure le Brésil et ensuite les pays gouvernés par des États plutôt à gauche politiquement, mais s’insérant dans la dynamique de l’économie globale tel le Chili, le Pérou et l’Uruguay.

{mospagebreak}

Quant à la présidente argentine, Cristina Kirchner, elle fit preuve d'un notoire enthousiasme face à l'élection d'Obama et semble prête à tourner la page avec l'inimitié entretenue envers l'administration Bush, un pas énorme quand on considère les relations glaciales entre Buenos Aires et Washington.

Quant aux trois piliers actuels de l’antiaméricanisme latino-américain, le Venezuela chaviste, la Bolivie d’Evo Morales et l’Équateur de Rafael Correa, l’approche d’Obama devrait perpétuer à leur égard celle de Shannon : favoriser la contention des tensions plutôt qu'exacerber les antagonismes.

Le très coloré Hugo Chavez affirma même son désir d’établir de nouvelles relations avec les États-Unis et de relancer un agenda bilatéral. Il dit par ailleurs vouloir dialoguer avec el negro : racisme pur et dur, expression démagogique ou ironie teintée d’antiaméricanisme? Au lecteur d’en juger.

D’aucuns croient que cette ouverture découle de l’incapacité à remédier à l’échec du modèle néolibéral et aux énergies concentrées au Moyen-Orient, plutôt qu’à un acte de bonne foi face à la nouvelle gauche latino-américaine. Si les plus optimistes prévoient l’avènement d’une ère nouvelle dans les relations qui nous occupent, d’autres relativisent le progressisme d’Obama aux États-Unis qui – extrapolé à la scène politique latino-américaine – relèverait plutôt d’une ligne de pensée de centre-droit, surtout en matières de politique internationale.

Un exemple soutenant l’approche relativiste demeure la posture d’Obama quant à l’incursion militaire colombienne en mars 2008 contre un campement des FARC situé en Équateur qui avait eu raison de Raul Reyes, numéro deux de l’organisation. Barack Obama avait alors affirmé que «la Colombie a le droit de combattre les terroristes qui cherchent refuge au-delà des frontières».

On pourrait penser qu’effectivement, l’aura progressiste du président élu au niveau national n’est pas garante d’une politique extérieure nécessairement plus conciliante, du moins en Amérique latine. De manière générale, l'analyste Jorge Castro pense que malgré l’intention anticipée de l’administration Obama de faire un «retour» en Amérique latine, il n’y aura pas de renaissance de l’hégémonie américaine, et ce, même sous la singulière attraction qu’articule le soft-power d’Obama1.

Certains, comme le politicologue argentin Atilio Boron, soutiennent d’ailleurs que «le président des États-Unis est une figure beaucoup plus faible que ce qu’il en a l’air». D’après cette lecture, Obama «est» au pouvoir, mais il ne «possède» pas pour autant un pouvoir qui se composerait d’enchevêtrements de forces, échappant à la puissance décisionnelle du président.

Reprenant la thèse du politicologue mexicain John Saxe-Fernandez, le pouvoir réel aux États-Unis formerait un triangle composé par la Maison-Blanche et particulièrement le département de la Défense, de l’Énergie et du Trésor, conjugué au gigantesque département de Sécurité nationale2. Ensuite, les grandes corporations auraient un rôle prépondérant, surtout celles reliées à la défense, au pétrole et au gaz. Puis, en dernière instance, les comités clés du Congrès et spécialement ceux de la Chambre des représentants et du Sénat en Énergie et Ressources naturelles ainsi qu’au niveau des forces armées.

Sont donc nombreux ceux qui minimisent la portée de «l’effet Obama» en Amérique latine, avançant de surcroît que l’antiaméricanisme est définitivement trop enraciné dans l’histoire récente de la région pour qu’Obama soit l'homme qui puisse renouer les liens effrités entre les États-Unis et la branche progressiste latino-américaine.

Toutefois, il demeure le premier américain à compter dans son entourage politique deux spécialiste de l'Amérique latine et vétérans des luttes antidictatoriales de la région : le sénateur Christopher J. Dodd et le gouverneur du Nouveau-Mexique, Bill Richardson.

Par ailleurs, spécifions la différence majeure entre l’antiaméricanisme traditionnel en Amérique latine et «l’anti-bushisme» désormais répandu au niveau mondial, une image négative dont Obama devra se déprendre.

Fort d’un incroyable capital politique et a priori avec des rarissimes détracteurs dans la communauté internationale, Obama a certes la capacité de se défaire du fantôme du Texan. Au niveau national, Barack Obama cherchera à combler le vide de leadership laissé à la Maison-Blanche par le président le plus impopulaire de l’histoire étasunienne dans un monde où – comme le décrit Alan Greenspan – «plus rien n’est pareil».

La tâche est titanesque; redonner le prestige sur la scène internationale aux États-Unis dans l’œil de la tourmente financière, alors que la géopolitique mondiale reflète une multipolarité toujours plus accentuée. Néanmoins, l’administration Obama promet certes, en Amérique latine comme ailleurs, de se montrer plus ouverte au dialogue perpétuant la tradition démocrate favorisant le multilatéralisme. Entre espoirs et scepticismes, pour le moment c’est surtout en contraste avec le fiasco de l’administration Bush et en partage d'une histoire esclavagiste qu’une majorité de Latino-Américains acclament l’élection d’Obama au pouvoir.

1.    Clarin, 6 novembre 2008.

2.    Pagina 12, 5 novembre 2008.

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.