Souveraineté alimentaire à l’heure de la crise

Écrit par Patrice-Hans Perrier, Collaboration spéciale
20.11.2008
  • Des agriculteurs indiens tamisent le riz près de Hyderabad. (Stringer: NOAH SEELAM / 2008 AFP)

Crier famine! Les 12e Journées québécoises de la solidarité internationale font le point sur la crise agricole et alimentaire qui menace de larges pans de la population mondiale

Dans un contexte de crise économique généralisée, plusieurs observateurs craignent que nos modèles de développement agraire ne mettent en péril la sécurité alimentaire de larges pans de la population des pays pauvres… mais aussi chez les peuples mieux nantis. Il y a péril en la demeure, alors que le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations Unies estime que pas moins de 826 millions de personnes souffrent d’une forme ou d’une autre de sous-alimentation.

Les 12e Journées québécoises de la solidarité internationale tâcheront donc de faire le point sur la question, donnant la parole à une pléiade d’intervenants qui profitent de l’évènement pour poser des diagnostics, mais aussi pour proposer des solutions. Vous avez jusqu’à dimanche prochain pour venir vous sustenter à l’aune d’une série d’évènements ouvrant la porte à de nouvelles alternatives.

Pour reprendre les propos des organisateurs de l’évènement, «l’heure serait donc venue pour une profonde remise en question du système agroalimentaire mondial». Car, il faut bien le dire, malgré les promesses des partisans d’une libéralisation à tous crins des marchés agroalimentaires, le pourcentage des habitants de la planète souffrant de malnutrition ne fait qu’augmenter. Et, qui plus est, dans une perspective de pénurie de carburants fossiles, les grandes oligarchies se sont mises à produire du biodiésel et autres biocarburants de remplacement, à l’instar de l’éthanol, qui ont eu pour effet de provoquer une inflation des prix des céréales sur les marchés. Le résultat est à l’avenant : les petits producteurs de viande et de produits laitiers ne parviennent plus à acheter des céréales pour nourrir leur bétail.

Une option d’avenir

Les instigateurs de cette semaine solidaire en ont profité pour éditer un document qui fait le point sur cette crise alimentaire qui alimente, c’est le cas de le dire, les manchettes. La souveraineté alimentaire : la seule option envisageable pour l’avenir, prône une vision qui est en porte-à-faux face aux dictats de l’Organisation mondial du commerce (OMC) et les autres agences de régulation des marchés, à l’heure d’une mondialisation qui connait des ratés. Les auteurs reprochent aux tenants du néolibéralisme de sacrifier la sécurité alimentaire sur l’autel du libre-échange. Alors que la flambée des prix des denrées alimentaires menace de large pans des populations du globe, les partisans de la «souveraineté alimentaire» arguent qu’«un pays qui s’oriente vers la souveraineté alimentaire donne à sa classe agricole le mandat premier de subvenir aux besoins alimentaires de sa population et de mettre sur le marché des denrées qui sont saines et diversifiées».

Il y a loin de la coupe aux lèvres, alors que même les quartiers pauvres de la métropole du Québec ne peuvent compter sur une offre alimentaire substantielle. Les grandes surfaces étant disséminées en périphérie, en fonction du pouvoir d’achat et des modes de transport de la classe moyenne, les habitants des anciens faubourgs de Montréal sont laissés pour compte. Vu sous la loupe d’une approche systémique, la crise actuelle serait principalement causée par la mainmise des grands monopoles agroalimentaires sur les réseaux de productions, de distribution et de vente au détail des denrées alimentaires. C’est ainsi que les grandes surfaces alimentaires offrent peu de place aux produits du terroir québécois… une offre qui rétrécie en peau de chagrin malgré les vœux pieux des pouvoirs publics.

Protéger la paysannerie

Le militant José Bové, ancien porte-parole de l’organisme Via Campesina, était de la partie le 12 novembre dernier, dans le cadre d’une conférence programmée comme un coup d’envoi de cette semaine qui s’annonce chargée d’évènements détonateurs. Le bouillant robin-des-prés monte aux barricades pour protéger une paysannerie qui représenterait plus de 50 % de la population mondiale. Malgré les plans de match du Fonds monétaire international (FMI), Bové tenait à nous rappeler que «seulement 10 % de la production agricole est échangée d’un continent à un autre en ce moment». Le conférencier tenait aussi à préciser que «75 % des denrées consommées ont été produites dans un rayon de moins de 100 km… ce qui fait que l’agriculture vivrière demeure toujours la principale source alimentaire du monde».

Le principal intéressé souligne que, depuis la création de l’OMC, «plusieurs pays ont été obligés d’ouvrir leurs frontières et de démanteler leurs politiques agricoles en imposant des prix internationaux». Cette politique de dumping serait responsable, toujours selon M. Bové, du fait que «certains pays ne peuvent contrôler qu’environ 10 % de leur production locale et, qui plus est, les cours de la bourse font en sorte que les prix des denrées agricoles souffrent des affres de la spéculation». La mainmise des conglomérats sur les marchés de l’agroalimentaire ferait en sorte que la paysannerie soit chassée de ses terres et que près des deux tiers des habitants de la planète soient contraints de vivre dans des bidonvilles. Cette situation justifierait le fait de remettre en cause le fonctionnement des instances multilatérales – FMI et Banque mondiale – qui ont fait éclater la souveraineté des États et des peuples sur la production agroalimentaire locale.

Éviter les intermédiaires

Un autre invité de cette conférence, André D. Beaudoin, secrétaire général de l’Union des producteurs agricoles (UPA), section Développement international, estime qu’il est urgent que le Québec se dote de dispositions concrètes afin de mettre de l’avant une souveraineté alimentaire qui puisse aider nos régions à consolider leur capacité de production de denrées alimentaires.

Il estime qu’il «faut de mettre de l’avant la notion de label, c'est-à-dire d’authentifier la provenance et la qualité des denrées, sur la foi d’un cahier des charges précis». Par ailleurs, M. Beaudoin argue qu’il faut «protéger nos mécanismes de gestion de l’offre que nous avons mis en place durant les années 1950 et qui font en sorte que tous les producteurs peuvent obtenir le même prix pour une même denrée, peu importe où ils sont situés sur le territoire». Poursuivant sa réflexion sur le thème des marchés, le porte-parole de l’UPA croit que nous «devrons changer nos paradigmes de développement, amenant les citoyens à pouvoir choisir le type d’alimentation qu’ils désirent». C’est d’ailleurs dans cet état d’esprit qu’un nombre croissant d’agriculteurs souhaite que l’on élimine les intermédiaires, histoire de rapprocher les producteurs des consommateurs.

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La souveraineté alimentaire

Miriam Nobre, la coordonnatrice de la Marche mondiale des femmes (Brésil), en aura profité pour se joindre à cette tribune dynamique. Elle aime nous rappeler qu’«il ne faut pas mener des luttes parcellaires en définitive», précisant que l’«expansion de la monoculture a fait en sorte d’empêcher les femmes de prendre en charge l’alimentation de leur famille».

Les femmes, toujours selon Mme Nobre, seraient les récipiendaires de traditions séculaires qui permettent de protéger les coutumes alimentaires et de reproduire des modes de production qui font grands cas du respect de la terre, du libre usage des semences ou de modes d’organisation socioéconomique favorisant la coopération. Elle s’en prend plus particulièrement aux multinationales Monsanto et Novartis, qui ont «poussé très loin leurs recherches afin de réduire et d’effacer les cycles de la nature». Sans ériger de remparts entre la lutte des femmes et les autres causes humanitaires, l’oratrice brésilienne n’a de cesse de nous rappeler qu’il est urgent d’organiser notre quotidien de façon à éviter la surconsommation.

Il n’y a pas à dire, ces 12e Journées québécoises de la solidarité internationale permettront à plusieurs d’entre nous de questionner des habitudes de vie et de remettre en question bien des lieux communs. Si l’aventure vous tente, vous avez jusqu’au 23 novembre pour assister aux conférences, projections de films, expositions de photos ou spectacles qui vont s’échelonner cette semaine.

Infos : Souveraineté alimentaire