Un vent de renouveau?

Écrit par Patrice-Hans Perrier, La Grande Époque - Montréal
26.11.2008
  • Amir Khadir (攝影: / 大紀元)

Dans un contexte électoral où les véritables enjeux semblent être absents des débats, la formation Québec solidaire propose des alternatives

 

À l’aube d’une bataille électorale plutôt terne, la formation Québec solidaire (QS) aimerait bien être invitée à la table des grands débats. Mais les autres formations préfèrent tirer la couverture de leur côté, fermant les yeux sur la diversité politique. Sans prendre parti, La Grande Époque a décidé d’improviser une tribune, histoire de donner la parole à cette jeune formation qui a la prétention de redéfinir la gauche en terres québécoises.

Amir Khadir, un des deux codirigeants de la formation écologiste et altermondialiste, nous accordait une entrevue dans un café du Plateau Mont-Royal, pas très loin de chez lui. Livrant bataille dans le comté de Mercier, le ressortissant d’origine iranienne aime à rappeler le concept de simplicité volontaire mis de l’avant par Serge Mongeau, le candidat de Québec solidaire dans la circonscription d'Hochelaga-Maisonneuve. «Il faudra bien sortir du cycle consommation-croissance auquel le capitalisme nous a habitués», nous prévient-il d’entrée de jeu. À l’heure de la décroissance économique et de l’échec des politiques néolibérales, Amir Khadir martèle que «nous sommes devant une impasse, l’euphorie financière de la dernière décennie ayant fait place à un état de panique qui contamine l’ensemble du système capitaliste».

Pour reprendre une expression d’Omar Aktouf, un économiste et enseignant aux HEC, l’«économie casino» a fini par rompre les digues, alors que «les marchés financiers, contre toutes attentes, sont incapables de s’autoréguler», poursuit notre interlocuteur. Les éminences grises de Québec solidaire rejettent en bloc les prétentions d’économistes, tels qu’Adam Smith, qui arguaient qu’une sorte de «main invisible» pouvait tenir les marchés en laisse, la machine productive et les activités commerciales s’autorégulant par la force des choses. A contrario, notre interlocuteur est persuadé que c’est plutôt «une main collective qui devrait subordonner l’économie à la société».

Un marché devenu fou

Au-delà de la crise des subprimes et des autres manipulations boursières qui ont dégénéré, Amir Khadir estime que les ténors du néolibéralisme se sont évertués à «nous faire croire que la richesse allait se créer d’elle-même, au sein d’un système où les marchés n’avaient plus à être régulés d’aucune façon… on connaît la débâcle qui en a résulté», poursuit-il. Défendant l’idée d’un contrôle collectif sur les forces du marché, le bouillant activiste ne prône pas pour autant un socialisme d’État sclérosant. Prenant en exemple la crise forestière qui sévit en région, il ajoute que l’industrie «est en train de tout raser avec les conséquences environnementales que l’on connaît, mais sans aucune retombée économique pour le Québec en bout de ligne». Raffinant son exposé, il précise qu’«on dépense pour construire des routes afin d’aller couper du bois toujours plus loin et, comble de l’aberration, le gouvernement consent des crédits d’impôt pour le reboisement».

Alternatives au système bancaire dominant

C’est plutôt le mouvement coopératif, le petit crédit de proximité et les marchés locaux qui mobilisent l’attention d’un parti politique qui s’inspire des prédicats d’un célèbre économiste du Bangladesh. En effet, le professeur Yunus, lauréat du prix Nobel de la paix en 2006, a démontré qu’il est possible de permettre aux plus démunis d’intégrer les circuits économiques par le recours à des sources de crédit qui ne les étrangleront pas à coup d’intérêts et de conditions de remboursement prohibitifs. Les études de l’économiste bengali ont clairement établi que les critères de solvabilité du système bancaire traditionnel avaient pour effet de maintenir dans la précarité des pans entiers de la population mondiale. C’est sur la foi de ce constat que le professeur Yunus a mis sur pied une institution de microcrédit, la banque Grameen, dans le sillage de la terrible famine ayant frappé le Bangladesh en 1974.

Poursuivant sur sa lancée, M. Khadir admet qu’«on ne dégage pas de grandes marges de profits en utilisant le microcrédit – comme levier de développement économique – mais on encourage de la sorte l’achat local, et ce type d’investissement n’est pas soumis aux fièvres boursières qui affectent les marchés internationaux». Par ailleurs, à l’instar de plusieurs économistes réputés, les instances décisionnelles de Québec solidaire défendent l’idée qu’il faille obliger les grandes entreprises à payer leur juste part d’impôt, en mettant un terme à l’usage abusif des paradis fiscaux ou places offshore qui échappent aux contrôles fiscaux.

Prendre en compte le développement local

Rejetant le dirigisme étatique ou la mainmise des puissants lobbies d’intérêts, Amir Khadir aime à citer en exemple le modèle des bassins versants, en ce qui concerne la gestion de l’eau au Québec. «Il s’agit d’un modèle qui fonctionne bien et qui a le mérite d’avoir permis de réunir les écologistes, les communautés locales et les responsables des Municipalités régionales de Comté (MRC) autour d’une même table. N’ayons pas peur des mots, c’est, d’après moi, un des meilleurs modes de gestion éco-systémique que l’on a réussi à mettre sur pied ici, au Québec.» Au lieu de laisser les forêts et la matière ligneuse être gérées par des concessions, Québec solidaire fait pression pour que le modèle de gestion des bassins versants soit appliqué à ce secteur qui périclite à l’heure actuelle.

Sans remettre en cause la notion d’offre et de demande sur les marchés, les ténors de Québec solidaire proposent de repositionner le rôle de l’État. Conscient que «les sociétés d’État peuvent commettre de grands abus, M. Khadir croit qu’il est grand temps d’encourager des structures de pouvoir plus décentralisées, assurant un contrôle communautaire du bien commun». Toutefois, loin d’épouser certaines visées «libertariennes», la formation progressiste est consciente qu’il faille maintenir la primauté de l’État national. En fait, «il s’agit d’un outil incontournable afin d’assurer une saine gestion des acquis de la collectivité et du bien commun. Et, fort justement, la tourmente actuelle démontre les limites de la mondialisation et du démembrement des États», précise-t-il.

Récupérer nos leviers

Peu importe l’alternance des gouvernements au Québec, Amir Khadir se désole que, depuis une dizaine d’années, «plusieurs leviers d’action ont été privatisés au gré d’une dilution des prérogatives du secteur public par l’entremise de ces fameux partenariats public-privé (PPP)». Chemin faisant, d’importants dossiers, tels que la gestion des déchets domestiques, les ports méthaniers, le pont de la 25 ou les méga-hôpitaux, se sont retrouvés en partie entre les mains du secteur privé, avec les conséquences que l’on connaît. Le porte-parole de Québec solidaire nous rappelle que «lorsque l’on fabrique un hôpital, c’est l’État qui gère le chantier et la mise en opération de ce type d’infrastructure. Mais l’un n’empêche pas l’autre, ce qui fait que les entreprises privées s’occupent de fournir les matériaux de construction, le matériel médical et les équipements qui permettront à l’hôpital de fonctionner par la suite».

{mospagebreak}

Et, là où le bât blesse, c’est justement au chapitre des PPP, s’il faut en croire notre interlocuteur. «La gestion deviendra opaque, poursuit-il, puisque le secteur privé argue devoir maintenir certaines informations confidentielles afin de préserver ses parts de marché. Ce phénomène, qui s’apparente à une dérive, fait en sorte que le privé obtienne un contrôle disproportionné et exerce un arbitrage qui ne lui revient pas en principe… déterminant de son propre chef les postes de dépense à couper afin de dégager des marges de profits.» Il en profite pour nous faire remarquer que ce modèle de gestion hybride a connu un échec retentissant dans le domaine de la santé chez des pays tels que la Nouvelle-Zélande, l’Angleterre ou l’Australie.

Les chevaux de bataille de Québec solidaire

Amir Khadir ne mâche pas ses mots lorsqu’il affirme qu’il est urgent de «remettre l’économie au service de la communauté, faisant en sorte que la prospérité puisse émerger à partir de la base». C’est ce qui amène Québec solidaire à prôner une hausse du salaire minimum, une amélioration des conditions de vie de la classe moyenne en diminuant leur fardeau fiscal et des mesures qui feront en sorte d’obliger les grandes corporations à payer leur juste part d’impôt.

On ne peut s’empêcher de penser à certaines prérogatives du nouveau président américain. Qui plus est, nos puissants leviers économiques, à l’instar de la Caisse de dépôt et placement (CDP) du Québec, devraient être mis au service de l’économie locale. M. Khadir tient à prévenir nos lecteurs qu’«à l’heure où l’on se parle environ 85 % des actifs de CDP se font balloter sur des marchés boursiers spéculatifs ou sous la forme d’investissement dans des firmes étrangères. C’est peut-être ce qui explique que notre bas de laine collectif a perdu autour de 20 % de sa valeur en un très court laps de temps».

Sans prôner pour autant un repliement sur soi-même, notre interlocuteur conclut que cette approche «est contreproductive, alors que l’on pourrait investir nos économies dans des projets québécois, favorisant des domaines tels que les énergies renouvelables ou la fabrication de véhicules électriques, mettant à profit notre expertise locale». C’est ce qui amène Québec solidaire à soutenir qu’une «nouvelle économie associative et participative» représente l’unique porte de sortie dans un contexte où les acteurs économiques semblent avoir privilégié leurs intérêts individuels au détriment du bien commun. Reste à voir si le Québec actuel, hésitant entre le modèle de l’État providence et les appétits des intérêts corporatifs, sera prêt à reprendre les rênes de son développement futur.

D’ici là, Québec solidaire et ses partisans souhaitent que la société civile fasse entendre sa voix sur la place publique…

Pour en savoir plus : Quebec solidaire