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Les plans d’alliance turco-slave de Moscou

Écrit par Aurélien Girard
09.11.2008
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  • Image de 1994 : un Arménien sur la tombe de son fils au Karabakh(攝影: / 大紀元)

 

Organisateur de la rencontre à Moscou, ce dimanche 2 novembre,des présidents « ennemis »arméniens et azerbaïdjanais pour aborder la question de la zone séparatiste du Haut Karabakh,enclave arménienne en Azerbaïdjan, le Kremlin se veut garant d’un succès de négociations qui pourraient être le point d’amorce d’une réconciliation des trois nations du Sud-Caucase: Azerbaïdjan, Arménie,Turquie.

Par son positionnement dans la région, Moscou disposerait alors possiblement d’une tenaille sur l’irritante Géorgie, ainsi que d’un levier pour demeurer le passage privilégié des hydrocarbures sur leur trajet de l’Asie centrale vers l’Europe. La Haut-karabackh, zone montagneuse enclavée en Azerbaïdjan, «jardin noir» habité majoritairement par des Arméniens mais séparé de l’Arménie –plus à l’Ouest – par l’étroit corridor de Lachin, est aux yeux de la communauté internationale un territoire azerbaïdjanais.

 

Mais, depuis l’indépendance controversée du Kosovo et les deux couleuvres avalées de l’indépendance de facto cet été de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, la vision de la communauté internationale sur les territoires séparatistes tend à l’hypermétropie: claire de loin, elle laisse la place au vague de près. La Russie, profitant de la place laissée par l’inaction américaine en cette fin d’administration Bush, a donc décidé de prendre la main en invitant à résoudre la question en suspens du Haut-Karabakh, et à se porter garante du résultat attendu – c’est à dire une stabilisation régionale, pour ce qui est de la part affichable de la motivation russe. Au-delà de cette louable première intention, Moscou cherche à redorer son image dans le Caucase. La diplomatie russe introduit donc ses efforts vis-à-vis de Bakou et Erevan comme la conséquence de la compréhension profonde gagnée lors du conflit avec la Géorgie.

 

C’est sur cette base que, lors de sa visite à Erevan à la mi-octobre, le président russe Dimitri Medvedev a invité son homologue arménien Serge Sarkissian à se joindre à une rencontre tripartite à Moscouavec le président azerbaïdjanais. Etce n’est que la veille de la rencontre qu’on a appris de la bouche du médiateur américain,Matt Bryza – cité par l’agence de presse Trend Azeri – que la rencontre accueillerait des représentants du groupe de Minsk de l’OSCE (organisation pour la sécurité et la coopération en Europe),groupe chargé de la question arménienne et du Haut-Karabakh. Dans ce groupe,coprésidé par la Russie, les Etats-Unis et la France, la position des deux derniers ressemble donc à celle d’un spectateur sur strapontin.

 

Ceci a pu faire supposer que la Russie décidait de passer au-dessus de la tête de la France – et au travers d’elle de l’Europe– et des Etats-Unis, ce que les analystes russes confirment. Pour expliquer la soudaine reprise des discussions, le président arménien, cité par Armenia Now, précise: «La situation réelle est qu’après une longue phase passive le processus de résolution du conflit du Nagorno-Karabakh est entré dans une phase active. Ceci vient d’au moins deuxf acteurs importants : les élections présidentielles en Arménie et Azerbaïdjan sont passées. Et après les événements bien connus de la guerre en Géorgie, il est devenu clair qu’il n’y a pas de solution militaire au problème. »

LA VISION RUSSE DES CHOSES

Quel intérêt la Russie a-t-elle à coordonner et à s’engager sur le résultat des discussions entre Arménie et Azerbaïdjan? Moscou, constamment agressé par l’expansion de l’OTAN – dont plusieurs freins ont été enlevés par l’intervention russe en Géorgie, a tout intérêt à s’ancrer comme un partenaire régional de référence au Sud Caucase.

 

Ceci passe en particulier par l’obtention d’une « neutralité» de la Turquie – laquelle a déjà, lors du conflit géorgien, freiné l’arrivée des navires américains dans la Mer Noire –et par une alliance avec l’Azerbaïdjan. Les liens avec l’Arménie, forts et au beau fixe, ne doivent eux qu’être maintenus.Une marche vers l’indépendance du Karabakh serait donc contre-productive dans une optique de séduction de l’Azerbaïdjan,et il y a tout à parier, croit Alexander Dugin, un des experts les plus en vue et les plus proches du pouvoir russe, quele plan soit « de déployer des forces de maintien de la paix russes, en obtenant leretrait total des troupes arméniennes du Karabakh. »

 

S’y ajouterait le retour des Azeris originaires du Karabakh et chassés par la guerre 1992-1994, voire la restitution à Bakou de quelques zones tampon autour du Karabakh. « Tout cela a pour but de résoudre les problèmes régionaux sans interférence américaine, qui essaie de provoquer des heurts inter-ethniques dans la région, comme il l’a fait en Ossétie du Sud », indique Alexander Dugin.Idéologue superstar du néo-nationalisme russe, ancien fondateur du Front National Bolchévique dont le nouveau Parti (Eurasie) est financé par le Kremlin, le point devue de Dugin peut être considéré comme une référence tant cet ancien du KGB estproche de Vladimir Poutine et de DimitriMedvedev.Poussé à la concession, le gouvernementarménien pourrait espérer en échange une ouverture à l’international– via la Turquie et l’Azerbaïdjan – de ses voies de transport routier, qui passent à l’heure actuelle exclusivement parla Géorgie et ont été bombardées lors duconflit russo-géorgien du mois de juillet.

 

L’OBJECTIF D’UN BLOC CAUCASIEN

La Turquie a, parallèlement, proposé de créer un nouveau forum pour la communication entre les pays du Sud-Caucase et leurs voisins. Immédiatement après le début du confl it russo-géorgien, le Premier ministre Turc Recep Tayyip Erdogans’est rendu à Moscou, Tbilissi et Bakou,où il a dévoilé son plan de « Pacte de Stabilitépour le Caucase ». Le point clé du plan : une stabilité garantie par des rencontres régulières entre Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan, avec la présence de deux grands pays frontaliers, la Turquie et la Russie. L’Iran a élargi cette proposition en suggérant une formule « 3+3 »:les trois pays du Caucase et leurs troisvoisins. Iran compris, donc.

Mais pour Moscou, l’axe à construire n’inclut pas la Géorgie, trop atlantiste.L’évolution de la position turque est d’une grande importance : historiquement et ethniquement proche de l’Azerbaïdjan,Ankara n’a pas pardonné à l’Arménie la guerre au Karabarh des années 1990; pendant longtemps, la condition à la normalisation des relations entre les deux pays a été, pour Erevan, la reconnaissance du génocide arménien de 1915-1916, et pour Ankara le retour du Karabarhà l’Azerbaïdjan. La visite récente d’Abdullah Gull, à l’occasion d’un match de football,en Arménie a donc été une petite révolution, à la suite de laquelle le président urc a affirmé sans être démenti avoirreçu la promesse d’un retrait arménien du Haut-Karabakh.

LA LOGIQUE DES COURTISÉS

Russie comme Etats-Unis et Europevoient un rapprochement des trois pays comme stratégique. Pour Sinan Ogan,expert turc au Centre d’Etudes Stratégiques,l es Etats-Unis et l’Europe souhaitent pouvoir ajouter l’Arménie au projet Nabucco qui permettrait de s’affranchir de la Russie pour le transport de pétrole et de gaz en provenance de la mer Caspienne,en reliant directement Europe etAsie centrale. Ce gazoduc doit permettre d’approvisionner en gaz naturel l’Europe à partir du Turkmenistan, du Kazakhstan,de l’Azerbaïdjan, via la Turquie, la Bulgarie,la Hongrie et l’Autriche. Soit une longueur de plus de 3.000 kilomètres, sans incorporer l’hypothèse de connections parle Sud pour transporter les productions iraniennes et irakiennes.

 

La volonté européenne de s’affranchir des pressions énergétiques russes dépend donc, elle aussi, de la qualité des relations entre Turquie, Arménie et Azerbaïdjan,focalisées sur la question du Haut Karabakh.Pour la Russie, le maintien de ces pressions et le contrôle par le Sud d’une Géorgie trop pro-américaine au goût de Moscou passe par la même voie.Turquie comme Azerbaïdjan ménagent aujourd’hui les deux grands blocs et ne peuvent dépendre uniquement de l’un ou de l’autre : Bakou cherche par exemple des voies alternatives pour exporter sa production énergétique sans passer par l’instable Géorgie.

 

Cela signifie trouver une alternative à l’oléoduc BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan), inauguré en 2006 et motivé par les Etats-Unis. Elle négocie donc avec la Russie pour accroître la capacité de l’oléoduc Bakou-Novorossiyskdit «route du Nord» qui peut délivrer le pétrole de la Caspienne jusqu’à la mer Noire puis l’Europe en passant par la Russie.Le 5 novembre, le président azerbaïdjanais Ilam Aliyev se rendra en Turquie pour y rencontrer son homologue Abdullah Gul, qui sera lui-même présent à Bakou le 14 novembre pour un sommet sur l’énergie.Washington n’est plus maître des lieux etl e successeur de George W Bush devra opérer une reconquête diplomatique du Caucase s’il souhaite empêcher les manoeuvres énergétiques de Moscou. D’ores et déjà pourtant, pour Maxime Lefebvre, politologue et professeur enquestions internationales à l’IEP-Paris,avec la crise géorgienne, «la Russie a pris sa revanche sur les humiliations et les concessions à répétition qui ont suivila fin de la guerre froide.»

 

«La Russie a encore gagné en se réimposant comme la maîtresse du Caucase. Elle a reculé ses frontières stratégiques, conservé le tunnel d’accès de Roki, allongé la côte qu’elle contrôle sur la mer Noire […] Plus que jamais, l’Europe est tributaire pour ses approvisionnements gaziers de la Russie(y compris dans l’accès aux réserves de la Caspienne) et / ou de l’Iran».

 

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.