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Au Turkménistan, premières élections parlementaires «ouvertes»

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque - Paris
16.12.2008
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  • es femmes turkmènes passent devant un monument (Stringer: AFP / 2008 AFP)

Vote transparent pour un scrutin... sans candidats de l’opposition

Le Turkménistan a longtemps été la curiosité politique des steppes de l’Asie centrale, au bord de la Caspienne. La plus méridionale des ex-républiques soviétiques, sur une superficie de 488 000 km2 de déserts plantés au-dessus de milliards de tonnes de gaz naturel, a été dirigée pendant quinze ans par un leader absolu et vénéré. Le culte de celui-ci s’efface aujourd’hui lentement, à mesure que son successeur tente d’ouvrir le pays aux investisseurs étrangers. Dans ce cadre, les élections législatives sans surprise du 14 décembre dernier ont participé à une campagne de communication internationale visant à établir la nouvelle respectabilité de la petite république. Mission accomplie.

Comment rétablir des relations internationales ouvertes dans un pays qui a donné, aux mois de l’année, les noms de son ancien dirigeant et de sa mère, qui a fermé bibliothèques rurales et hôpitaux, qui a interdit l’opéra et qui a rendu obligatoire la lecture d’une bible nouvelle – écrite par le «cher dirigeant»?

Dans ce pays de 5,2 millions d’habitants, les statues en or du défunt président Niazov et de sa génitrice ornent les places des plus grandes villes du pays. Des photos du «père des Turkmènes» sont à chaque coin de rue, éléments visibles d’un culte de la personnalité permanent qui a su créer un amour quasi religieux chez les Turkmènes pour leur ancien dictateur.

Au Turkménistan, le taux d’incarcération est le plus élevé au monde avec celui de la Corée du Nord, rappelle la Fédération internationale des droits de l’homme. La liberté de déplacement est quasi nulle à l’intérieur même du pays et les langues minoritaires, l’ouzbek par exemple, ne survivent que dans le cercle familial, le gouvernement ayant interdit leur enseignement. Au point que le gouvernement kazakh a mis en place un programme de rapatriement de ses ressortissants, et que le seul régime qui semble égaler celui du Turkménistan sous ces aspects est celui de Kim Jong-il en Corée du Nord.

Le Turkménistan bénéficie de la quatrième réserve mondiale en gaz d’après son gouvernement – la douzième d’après les experts internationaux – et est également riche en or et en uranium, et compétitif dans la culture du coton. Province transcaspienne russe à la fin du 19e siècle, le Turkménistan est devenu république soviétique en 1925, avant de gagner son indépendance en 1991, comme les autres pays du bloc soviétique.

C’est alors que Saparmurat Niazov, chef du Parti communiste turkmène, a gagné la première présidence du Turkménistan, porté par un référendum dans lequel 99 % des votants l’ont choisi, et reconfirmé en 1992 et en 1994. Nommé président à vie par le Parlement en 1999, Niazov a alors pris le nom discret de Turkmenbachi, le père de tous les Turkmènes. Démiurge plus que dirigeant, il a survolé en gourou absolu la vie turkmène – chef d’État, chef du gouvernement, chef de l’armée, président du seul parti politique autorisé – jusqu’à son décès d’une crise cardiaque en décembre 2006.

Effacement progressif du messie Niazov

Le défunt Turkmenbachi a alors été remplacé par son vice-premier ministre et dentiste personnel, en lieu et place du légitime président du Parlement, ce dernier ayant par coïncidence subi le désagréable empêchement d’être arrêté pour soupçon d’activités criminelles. Gurbanguly Berdimuhammedow, d’abord président intérimaire, a été confirmé deux mois plus tard par près de 90 % des votants dans une élection présidentielle largement décrite comme truquée.

Les temps, cependant, ont changé et si le culte de la personnalité du Turkmenbachi continue, c’est sous une forme atténuée dans le nouveau Turkménistan. Signe voulu d’un changement d’époque, l’hymne national turkmène, rédigé par le Turkmenbachi lui-même, changera à partir du 21 décembre pour omettre les références marquées au dictateur Niazov, deux ans après sa mort. Le changement – dont l’initiative est, formellement au moins, parlementaire – a été approuvé par le président Berdimuhammedow. Disparaîtra ainsi le premier vers du refrain : «La grande création du Turkmenbachi / Pays natif, État souverain / Turkménistan, lumière et musique de l’âme / vivra pour toujours en prospérité».

Depuis le décès du président Niazov à la fin de 2006, son remplaçant Berdimuhammedow tente donc de sortir le pays de son image de bizarrerie sectaire pour l’habiller d’une image internationalement présentable : les mois de l’année ont repris leur nom d’origine, la statue en or géante de Niazov à Ashgabat pourrait même être retirée de son socle. Il est même envisageable que la lecture de Ruhnama, le livre mystique écrit par Niazov censé donner accès au Ciel à quiconque le lit trois fois, puisse n’être plus que facultative.

 

Marques d’ouverture

Pour le gouvernement turkmène, les élections du 14 décembre, s’affichant comme un grand pas vers la démocratie, auxquelles ils ont souhaité inviter des observateurs internationaux, même si tous les candidats sont membres du parti au pouvoir ou d’organisations non gouvernementales affiliées au pouvoir.

Depuis dix-sept ans qu’il est indépendant, le Turkménistan n’a vu que peu d’élections.  La toute dernière, deux ans après le décès du président Niazov, a été ponctuée de mesures inédites : officiellement au moins, les différents candidats ont disposé du même temps de parole dans les médias. Les Turkmènes expatriés ont eu le droit de voter par correspondance et, pour la première fois, les prisonniers ont bénéficié de bureaux de vote.

Autre signe fort, on a appris, le 9 décembre dernier par le site Eurasianet, que l’emblématique activiste Valery Pal faisait partie des 391 prisonniers libérés dans le cadre de l’amnistie du 12 décembre, pour le «Jour de la neutralité». Valery Pal, incarcéré depuis le début de 2008, est accusé d’avoir volé des cartouches d’imprimante en 2004 dans son entreprise – ce pour quoi il a été condamné à douze ans de prison.

D’après l’association Human Rights Watch, la condamnation visait en réalité à le punir d’avoir ouvert l’accès à Internet à des compatriotes grâce à ses connaissances en informatique.

Globalement, pour ces élections sans surprise, l’Occident n’attendait que de pouvoir se réjouir d’un effort de démocratisation turkmène afin de pouvoir se permettre des tentatives d’accès aux réserves de gaz du Turkménistan.  Bien que l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ait reçu des plaintes de dissidents comme Gurbandurdy Durdykuliev et Sazak Durdymuradov qui n’ont pas été autorisés à se présenter aux élections, le pari turkmène de l’ouverture peut être considéré comme déjà gagné. La réforme constitutionnelle annoncée cette année devrait renforcer le rôle du Parlement, qui double son nombre de sièges pour arriver à 125. Et après quinze années de règne du président Niazov, tout changement ne peut qu’être vu comme positif.

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.