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Plébiscite au « socialisme bolivarien » de Hugo Chavez

Écrit par Nicolas Harguindey, Collaboration spéciale
04.12.2008
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  • Le candidat de l'opposition, Antonio Ledesma(Stringer: PEDRO REY / 2008 AFP)

Le 24 novembre dernier, presque 17 millions de Vénézuéliens étaient appelés à se rendre aux urnes pour les élections régionales désignant pas moins de 22 gouverneurs, 328 maires et 300 postes municipaux. Pour la première fois depuis sa formation en 2006, le Partido Socialista Unido de Venezuela (PSUV), incarnant le chavisme, se soumettait à une élection; jusqu’à maintenant, le président Hugo Chavez avait remporté toutes ses élections, fort d’alliances.

À l’aube des élections régionales enflammant les passions, tout le Venezuela spéculait sur la nouvelle disposition des autorités régionales, un enjeu stratégique aussi important pour le chavisme que pour l’opposition. L’exercice démocratique se jouait cette fois à plusieurs puisque l’opposition a fait la promotion de ces élections et n’a pas boycotté les urnes comme à l'habitude.

Ce vote des autorités régionales s’est vu interprété comme une sorte de test au leadership de Hugo Chavez cherchant à faire oublier le référendum constitutionnel de 2007. On se rappellera que le président proposait alors la modification de la Constitution qui lui permettrait de se perpétuer indéfiniment au pouvoir. Le leader charismatique avait alors reconnu la légitimité du rejet référendaire, mais avait fini par qualifier cette victoire – devant les caméras – de «victoire de merde», emporté par son tempérament bouillant.

Or, plus qu’une reconfiguration ordinaire des pouvoirs régionaux, ces élections ont eu essentiellement le sens d’un plébiscite au projet socialiste dit «bolivarien» qui tient tant à cœur Hugo Chavez et ses partisans. Comme il l’aura reconnu, ces élections devaient confirmer un feu vert pour une «nouvelle étape révolutionnaire», c’est-à-dire des réformes plus radicales prévues entre 2009 et 2019, où il pense articuler de nouveaux modes d’organisation populaires, de nouvelles formes de propriété et une reconfiguration de la «géométrie du pouvoir» du territoire national. Depuis son avènement au pouvoir en 1999, Hugo Chavez a entrepris l’étatisation des abondantes ressources naturelles soutenues de compensations économiques aux compagnies expropriées.

C’est principalement avec les capitaux obtenus de l’exploitation du pétrole abondant que le gouvernement de Chavez est parvenu à articuler des programmes sociaux, mais aussi – sur le plan international – à s’imposer comme une référence dans le tiers-monde. En effet, des subventions énergétiques ont été destinées pour les pays les plus pauvres de l’Amérique latine et des Caraïbes et même aux habitants du Bronx new-yorkais, clin d’œil provocateur à Washington.

Malgré ces gestes politiques, les réformes de la «révolution bolivarienne» chaviste sont loin de faire l’unanimité : «Chavez donne à tous, sauf aux Vénézuéliens», s’indignait par ailleurs un expatrié résidant à Montréal. D’aucuns contestent la portée véritable de ses programmes sociaux, dénoncent les abus de pouvoir, l’obstruction des institutions démocratiques et un système népotiste carburant à la corruption et au clientélisme politique.

Cette dernière campagne de Chavez fut particulièrement agressive avec certains discours tenaces allant parfois jusqu’aux insultes, comme celui prononcé dans l’État de Zulia. Une des têtes de Turc privilégiées de Chavez fut d’ailleurs Manuel Rosales, rival aux élections de 2006 et candidat à la mairie de Maracaibo, la capitale de Zulia. Pour sa part, l’opposition interne orchestrée par la droite nationale et aidée par des réseaux internationaux a cherché à augmenter sa marge de manœuvre dans un cadre où les espaces de pouvoir sont extrêmement restreints.

Malgré que Chavez conserve une ample majorité suite aux élections, l’avancée de l’opposition sur l’échiquier national est stratégiquement significative, car le chavisme perd deux États fondamentaux ainsi que la Mairie supérieure de Caracas, la capitale du pays. L’opposition a réitéré sa présence à Nueva Esparta et à Zulia, les États les plus peuplés du Venezuela et a gagné un terrain considérable avec Táchira, Carobo et le riche Miranda qui inclut aussi une partie de la capitale. Dans l’État caribéen de Nueva Esparta, où se trouve l’île Margarita très prisée par les touristes, et à Zulia – flottant sur une mer de pétrole – sauf un miracle, Chavez ne pouvait que perdre.

Même si la victoire était annoncée, Hugo Chavez et le (PSUV) ne sortent donc pas indemnes de ces élections régionales, alors que l’opposition tentera de capitaliser ses avancées. En ce sens, malgré la victoire de l’officialisme dans 17 des 22 États, le bilan des élections régionales laisse un certain goût amer aux chavistes.

{mospagebreak}Par contre, le PSUV a récupéré cinq États dirigés par des «chavistes dissidents», grands perdants de ces élections qui se retrouvent les mains vides; les États de Trujillo, Aragua, Guárico y Sucre et Barinas passent sous le contrôle chaviste.

D’après le politicologue Atilio Boron, ces élections mettent surtout en lumière une droite qui peine à se poser en tant qu’alternative concrète. Ces dernières années, celle-ci s’est définie d’abord «en négation de» et souhaite inconditionnellement le départ d’el comandante en boudant les processus électoraux, spéculant – à tort ou à raison – sur les fraudes électorales. Tibisay Lucena, présidente du Conseil national électoral (CNE), a considéré une réussite ces élections régionales notamment avec un taux de participation de 65,45 %, la plus massive pour des élections locales et régionales.

Suite aux élections, le chef d’État a profité de l’occasion pour réactualiser la mystique bolivarienne interprétant que «cette grande victoire socialiste est un message très fort. Le peuple me dit : Chavez continue par le même chemin, le chemin du socialisme.»

Remarquons que cette fois-ci, le leader ne s’est pas laissé emporter par ses accès verbaux et félicita les vainqueurs de l’opposition tout en les sommant de préserver «le plus grand comportement démocratique» et de reconnaître sa légitimité en tant que président. Sur un ton moins conciliant toutefois, Chavez a aussi mis en garde l’opposition de ne pas opter pour le golpismo, l’histoire du Venezuela comme celle de la plupart des pays latino-américains étant criblée de coups d’État, tradition dans laquelle le même Chavez s’est inscrit en 1992, avec une tentative ratée. Enfant terrible de la communauté internationale, force est de constater que Chavez génère immanquablement sympathies et indignations dans son sillage.

La fougue de l’incorrigible leader charismatique lui vaut tantôt l’admiration pour son zèle face aux pontes occidentaux, tantôt le ras-le-bol pour son arrogance, symbolisé par ce «porque no te callas?» (pourquoi tu ne te tais pas?) passé à l’histoire, que lui a imploré le très respecté roi d’Espagne. Détracteurs, mais aussi partenaires comme le président brésilien Lula, ont critiqué son manque récurant de diplomatie découlant d’un style politique indéniablement populiste, représentation quasi caricaturale de l’autoritarisme traditionnel des caudillos latino-américains.

Il n’en demeure pas moins que ce «Castro» des temps modernes est devenu, malgré ses excès, une figure phare pour la gauche latino-américaine et pour le tiers-monde anti-impérialiste. Au-delà des réelles critiques auxquelles le chavisme est sujet, les réussites sociales du gouvernement Chavez demeurent sans précédent au Venezuela : l’UNESCO vient de ratifier le pays comme exempt d’analphabétisme et le chômage est en baisse avec un taux de 6,7 %.

Le pays est cependant encore extrêmement violent, avec plus de 13 000 homicides annuellement. Et si Chavez a créé un marché alimentaire pour les plus pauvres avec des produits subventionnés à environ 40 % en dessous des prix du marché, l'inflation est la plus élevée des Amériques (30 %) et le pays est aux prises avec des pénuries alimentaires sporadiques.

Actuellement, 70 % des Vénézuéliens sont plongés dans la pauvreté, et la crise internationale actuelle doublée de la chute drastique des prix du pétrole menace d’aggraver la situation de ce pétro-État. Alors que 21 % du PIB est destiné à des plans sociaux, certains analystes affirment que ceux-ci pourraient être affectés si la conjoncture dure plus d’un an. Néanmoins, tant le chavisme que l’opposition sont d’avis que le Venezuela possède les réserves nécessaires pour pallier à court terme à l’ouragan financier, soit 40 milliards de réserves en dollars et 40 milliards de fonds d’investissements.

Dans les prochains jours, Caracas accueillera d’ailleurs un sommet de l’ALBA (Alternative bolivarienne pour les Amériques) afin d’analyser au peigne fin la crise financière et tenter d’élaborer un rapport avec des «solutions alternatives» à l’actuelle crise globale.

Suites aux élections régionales, plusieurs observateurs soulignent que la victoire la plus notoire peut être attribuée à la démocratie électorale où tous les acteurs de la société vénézuélienne ont pris partie. Difficile de déchiffrer avec certitude ces élections; comme le décrit l’écrivain et journaliste vénézuélien Modesto Emilio Guerrero, «si quelque chose aide à comprendre les résultats électoraux du Venezuela c’est sa logique interne faite de contradictions et de déplacements inquiétants» (Pagina 12, 25 novembre).

Mais grosso modo, la plupart des observateurs soulignent que ces élections donneront un élan au processus socialiste bolivarien de Chavez, avec une consolidation de l’opposition dans les secteurs les plus nantis de la société. Au-delà de la continuité à la «révolution bolivarienne», d’aucuns pensent qu’il faudra probablement s’attendre à voir à moyen terme Chavez revenir à la charge sur son projet visant à modifier à sa faveur la Constitution vénézuélienne. 

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.