Des avancées technologiques menacent la vie privée

Écrit par Joan Delaney, La Grande Époque – Victoria
01.02.2008
  • Vue de la salle des activités spéciales de la police londonienne(Staff: Daniel Berehulak / 2007 Getty Images)

Depuis la tragédie du 11-septembre, la vie privée des citoyens de plusieurs pays partout dans le monde s’est effritée avec l’entrée en vigueur de multiples mesures visant à assurer la sécurité intérieure.

Pendant que les gouvernements faisaient des pieds et des mains pour déjouer les attaques terroristes et protéger leurs frontières, de nouvelles lois et des méthodes de surveillance plus perfectionnées ont fait leur apparition; les États-Unis et la Grande-Bretagne en représentent le terrain le plus fertile.

Même si le Canada possède certaines des mesures les plus efficaces pour protéger la vie privée, ses citoyens peuvent s’attendre à voir leur intimité diminuer en 2008.

L’année 2007 s’est conclue par une mise en garde de la commissaire à la protection de la vie privée, Jennifer Stoddart : l’année qui vient en sera «une autre de défi» en ce qui a trait à la vie privée au Canada.

«Les risques accrus en matière de sécurité nationale, l’appétit de plus en plus dévorant des entreprises pour les renseignements personnels et les progrès technologiques constituent tous des menaces potentielles – et croissantes – au droit à la vie privée», indique la commissaire Stoddart dans un communiqué.

Quelques jours après cet avertissement, l’organisme de défense du droit à la vie privée basé à Londres, Privacy International, a publié un rapport soulignant que, durant les dernières années, les Parlements du monde entier ont voté des lois «visant à augmenter exhaustivement l’intrusion dans la vie privée de presque tous les citoyens et résidents».

Le rapport, qui évalue les dossiers relatifs à la vie privée de 47 pays, a donné la meilleure note au Canada, à la Roumanie et à la Grèce. La Grande-Bretagne et les États-Unis, de même que la Chine, la Russie et Singapour, se retrouvent au dernier rang avec une surveillance endémique.

Le rapport mentionne que les résultats de 2007 reflètent une diminution générale des protections de la vie privée partout dans le monde. Ceci est motivé par des inquiétudes concernant l’immigration et le contrôle des frontières poussant les pays à «mettre en place des bases de données et des systèmes de contrôle d’identité avec la prise d’empreintes digitales, souvent sans égard pour la vie privée de leurs propres citoyens».

«Il est très difficile d’avoir le plus haut niveau de protection de la vie privée lorsque l’État ou le gouvernement veut obtenir des informations personnelles pour des raisons de sécurité», explique Janina Kon, professeure à la Sauder School of Business de l’Université de Colombie-Britannique et présidente de la section nationale du droit de la vie privée de l’Association du barreau canadien.

Selon Mme Kon, l’existence au Canada d’une «structure très détaillée» de lois aux niveaux fédéral et provincial permet, par rapport à d’autres endroits, une plus grande protection de la vie privée contre l’intrusion du gouvernement.

De plus, il existe des lois au Québec, en Alberta et en Colombie-Britannique qui réglementent comment les entreprises peuvent utiliser l’information qu’elles recueillent sur des individus. Toutefois, Mme Kon fait remarquer que l’information qui traverse la frontière au Sud n’est pas aussi bien protégée.

Bien qu’il y ait des lois sévères sur la protection de la vie privée en Californie et dans d’autres États, le Patriot Act, introduit après le 11-septembre, peut outrepasser toutes les autres lois.

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«Nous partageons une frontière, donc il y a beaucoup de pression politique», admet Janina Kon. Néanmoins, elle ne voit pas une telle législation s’implanter au Canada.

«Il y a beaucoup moins d’appui au Canada pour sacrifier la vie privée au nom de la sécurité, et le gouvernement en est conscient, donc il y aura des contrôles plus sévères au Canada selon moi.»

Le rapport de Privacy International critique la Grande-Bretagne pour son projet d’introduire un système d’identité qui sera «le plus invasif au monde», par ses caméras de surveillance omniprésentes, par un manque de transparence, etc. Les résultats de 2007 démontrent une tendance à la hausse chez les gouvernements de recueillir des données sur les communications et les rapports géographiques et financiers de tous leurs citoyens.

«Ceci mène à la conclusion que tous les citoyens, peu importe leur statut légal, sont considérés comme suspects.» Ian Kerr, président de la Chaire de recherche du Canada en éthique, droit et technologie de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, explique que les inquiétudes concernant l’effritement de la vie privée vont en augmentant avec le développement des systèmes informatiques et des bases de données.

Toutefois, dans l’intérêt de la sécurité de l’État, des événements, comme celui du 11-septembre, peuvent faire que l’information dans de telles bases de données devienne accessible et soit utilisée pour des raisons autres que leur objectif de collecte initiale.

«C’est définitivement vrai que nous vivons dans ce que l’on conçoit comme une société basée sur le risque, où nous arrangeons la structure de notre société autour des risques et donc la rhétorique dominante fait qu’on entend souvent que la sécurité doit prévaloir sur la vie privée», élabore M. Kerr.

Actuellement, le gouvernement canadien évalue de nouvelles lois afin de ratifier la Convention européenne sur la cybercriminalité qui pourrait affaiblir la protection de la vie privée, mentionne M. Kerr.

Une des lois qui «sera vraisemblablement proposée» ordonnerait à tous les fournisseurs de services de télécommunications d’introduire une fonctionnalité d’interception ou une «porte arrière» dans leurs technologies de manière à augmenter les capacités des autorités à recueillir des informations lors d’enquêtes, explique Ian Kerr.

Ceci pourrait, dans certaines circonstances, permettre à la police d’intercepter des communications sur Internet. Une telle loi permettrait également aux autorités d’ordonner aux fournisseurs de services Internet de fournir le nom et l’adresse d’un individu sans injonction.

Privacy International, pour qui la vie privée est considérée comme un droit de l’homme, estime que les avancées technologiques et la mondialisation de l’information ont pour effet de créer des «sociétés de surveillance qui favorisent un environnement hostile pour la vie privée».

«Il n’y a aucun doute qu’il y a toutes sortes de surveillances ayant cours», remarque Ian Kerr. «Il y a toutes sortes de manières de recueillir de l’information et, en ce moment, la loi n’est pas claire sur ce qui est légal et illégal, donc vous pouvez vous imaginer que les entreprises du secteur privé repoussent les limites.»