Afghanistan : La traversée du désert des troupes de l’OTAN

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque - Paris
10.02.2008

  • Vladimir Poutine encourage les jeunes recrues devant la presse le 1er février 2008.(攝影: / 大紀元)

 

Les 7 et 8 février, les ministres de la défense de l’OTAN se réunissent à Vilnius, en Lituanie. Un agenda chargé et loin de faire consensus les attend : En pleine dérive totalitaire de la Russie, la réunion devra aborder la difficile transition vers l’indépendance du Kosovo, la suspension unilatérale de la Russie du Traité sur les Forces Conventionnelles (FCE), et les difficultés croissantes des troupes alliées en Afghanistan -- qui envisagent jusqu’à une possible défaite face aux talibans.

Depuis deux ans, la situation militaire en Afghanistan se dégrade avec la régularité des courbes d’un cercle vicieux. Les actions des talibans se sont énormément renforcées dans le Sud et dans l’Est du pays, appuyées par la manne financière de la production d’opium, au point que les contingents britanniques et canadiens présents dans ces régions n’ont pu que constater leur impuissance en endiguant les insurgés qui ne semblent pas affectés par les lourdes pertes humaines qu’ils ont subies. La nouveauté inquiétante de 2007 aura été l’expansion des actions terroristes dans le Nord et même l’Ouest du pays, régions pourtant bien éloignées des fiefs traditionnels des talibans. Plus de 200 attentats ont été commis en 2007, dont trois très meurtriers à Kaboul en décembre 2007.

Plus de 28.000 soldats de l’OTAN sont déjà opérationnels dans le pays, en plus du contingent de 26.000 soldats américains. Les forces américaines, massées dans les régions frontalières du Pakistan, à l’Est de l’Afghanistan, sont forcées de constater l’échec de la stratégie menée depuis 6 ans. Les forces de l’OTAN, censées assurer la sécurité générale du pays, partagent ce constat. L’OTAN s’interroge donc sur l’utilité du renforcement des troupes auquel Washington l’invite avec constance : « Nous encourageons tous nos alliés de l’OTAN à faire tout leur possible pour envoyer des ressources en Afghanistan, que ce soit des ressources financières, des envois d’effectifs, des envois de forces combattantes », a ainsi encore expliqué le porte-parole du département d’État, Sean McCormack, peu après avoir rencontré le ministre français de la Défense, Hervé Morin, le 1er février.

La position américaine est encouragée par les Canadiens qui ont indiqué qu’en l’absence de renforcement des troupes de l’OTAN dans le Sud de l’Afghanistan, les 2.500 soldats canadiens se désengageraient du terrain en 2009 ; elle reçoit également l’appui des Britanniques et certains signes font penser qu’elle pourrait avoir celui de la France (qui a récemment envoyé six avions de chasse Mirage au Sud de l’Afghanistan).

L’unanimité est cependant loin d’être atteinte, ce qu’illustre la forte opposition manifestée par l’Allemagne et l’Italie. La seule solution efficace est-elle, comme le préconisent ces derniers, de renforcer l’armée et les forces de sécurité afghanes, dans une logique de désengagement progressif de l’OTAN ? Est-elle, comme les États-Unis semblent l’envisager également, d’armer les tribus à la frontière pakistanaise, comme cela a été fait dans les années 80 pour empêcher la main-mise communiste sur le pays, et comme les forces américaines le font actuellement avec un succès visible en armant des tribus sunnites en Irak ?

Plusieurs courants d’influence s’exercent en même temps, rendant difficile une prédiction d’effets. La situation politique en Afghanistan évolue en effet depuis plusieurs années au diapason des échecs de la stratégie militaire occidentale : le gouvernement d’Hamid Karzai a, depuis déjà deux ans, entamé des discussions avec les talibans pour mettre fin à l’insurrection, et est publiquement appuyé en cela par les Nations unies qui considèrent que les négociations devraient également être la tâche essentielle des forces alliées en 2008. D’après Karim Pakzad, chercheur associé à l’Institut des Recherches Internationales et Stratégiques à Paris, les Britanniques ont déjà réalisé ce type de négociation directe avec comme conséquence d’abandonner volontairement des communes du Sud de l’Afghanistan – et leurs populations – aux talibans.

Pour autant, le gouvernement afghan est essentiellement composé d’ex-moudjahiddines – membres de l’Alliance du Nord en tête – qui même s’ils sont actuellement contraints d’accepter de négocier craignent profondément le retour des talibans, car ceux-ci symbolisent une suprématie de l’ethnie pachtoune sur les autres ethnies afghanes. La société civile, avec le souvenir encore vif de l’extrémisme et des exécutions barbares réalisées par les talibans, devrait aussi voir d’un mauvais œil ces négociations.

Mais l’OTAN n’est pas là face à son seul problème urgent. Les Balkans, dans un contexte où le Kosovo rejette tout nouveau dialogue sur la question de l’indépendance avec la Serbie – estimant celle-ci justifiée et acquise – pourraient cristalliser la formation d’un nouveau bloc pro-russe sous forme de fantôme de la guerre froide.

LA RUSSIE EN BOTTES MILITAIRES, SERBIE ET KOSOVO À COUTEAUX TIRÉS

Les élections législatives russes de l’automne dernier ont été un scrutin de validation réussi pour la politique de Vladimir Poutine. Forte participation, plébiscite des urnes (facilité par le contrôle quasi-total des médias), l’opposition politique a été laminée par des conditions drastiques d’enregistrement des partis et d’éligibilité. Le résultat de l’élection présidentielle russe à venir, tous les opposants sérieux n’ayant pas même pu se porter candidats, ne fait pas le moindre doute. C’est à une Russie redevenue État totalitaire que l’OTAN doit et devra faire face.

Ce renouveau d’une opposition entre grands blocs est visible dans le contraste des positions sur l’indépendance du Kosovo entre Europe – considérant globalement l’indépendance comme inéluctable, et Russie fermement opposée à ce qui donnerait un fâcheux précédent sur le droit à l’autodétermination des Ossètes, des Abkhazes, et des Tchétchènes.

Depuis la mi-1999, une force de l’OTAN, la KFOR, sert au maintien de la paix au Kosovo, protégeant les Kosovars albanophones d’incursions serbes et – théoriquement – les Serbes du Kosovo des représailles par la population albanophone. L’efficacité opérationnelle de la KFOR a été largement remise en cause – moyens mal adaptés, loi du silence au sein de la population, logiques tribales et mafieuses profondément ancrées… Un véritable pogrom anti-serbe a été mené en 2004 sans que la KFOR soit capable de l’endiguer.

Le Kosovo n’est donc pas apaisé malgré près de dix ans de présence de l’OTAN, qui a annoncé en décembre qu’elle maintiendrait sa force de 17.000 hommes quel que soit le devenir politique du Kosovo.

La Russie, qui exige que toute indépendance du Kosovo passe sous les fourches caudines du conseil de Sécurité de l’ONU – où elle exercerait son véto – voit d’un mauvais œil arriver les mois de février et mars, qui devraient voir une déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo normalement assez largement acceptée en Europe et aux États-Unis. Cette tension se répercute sur les relations de Moscou avec l’OTAN, malgré des marques voulues d’apaisement comme la série d’exercices militaires conjoints réalisés en Allemagne à la fin du mois de janvier. La Russie a ainsi suspendu début décembre sa participation au Traité sur les Forces Conventionnelles (FCE). Ce traité, signé à Paris en 1990, avait sonné le glas de l’escalade militaire en établissant entre membres de l’OTAN et membres de l’ancien Pacte de Varsovie (dont la Russie) une procédure de désarmement progressif. Le Kremlin s’irrite en particulier du fait que l’adoption d’une version modifiée du FCE soit conditionnée par l’OTAN à un retrait définitif des troupes russes encore stationnées en Géorgie et Moldavie.

Dans le contexte du projet de batteries anti-missile américaines en Europe de l’Est – aux portes de la Russie, dans le contexte des efforts de l’Ukraine pour rejoindre l’OTAN, et de ceux de la Lettonie, de l’Estonie, de la Géorgie et autres pays de l’ancienne fédération pour s’éloigner de leur passé russe, il va probablement pour longtemps y avoir de l’eau dans le gaz entre Russie et OTAN.