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La religion de la Sainte-Flanelle

Écrit par Normand Tougas, Collaboration spéciale
10.02.2008
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Ou la passion démesurée des partisans du Canadien

  • Andrei Kostitsyn du Canadien de Montréal est stoppé par Ray Emery des Sénateurs d’Ottawa(Stringer: Phillip MacCallum / 2008 Getty Images)

Le hockey à Montréal me rappelle un passage du livre Slaughterhouse Five de Kurt Vonnegut. Des extraterrestres kidnappent des humains et les mettent dans un genre de zoo. Un grand écran se trouve dans leur enclos où défilent les cotes d’une bourse fictive. Les ravisseurs de l’outre-monde font croire aux naïfs humains qu’ils sont propriétaires de certaines actions de compagnies, et l’attraction principale est d’observer les sautes d’humeur des terriens. Lorsque les actions montent, ouf! quelle réjouissance! Lorsqu’elles baissent, c’est la déprime totale. Les extraterrestres, ne connaissant pas l’émotion humaine, trouvent tout à fait particuliers ces comportements complètement irrationnels. Vous voyez où je veux en venir?

Maintenant, remplacez les cotes en bourse par un match du Canadien de Montréal. L’effet serait le même, voire plus enlevant : cris, pleurs, huées, jurons, bière et compagnie. Victoire ou défaite, ce n’est pas une question de vie ou de mort. Néanmoins, ça nous agrippe, nous, Montréalais. Je ne suis certainement pas le premier à parler du hockey qui se vit comme une religion à Montréal. Un des sobriquets du club a même le mot «sainte». Le capitaine de l’équipe a même miraculeusement (avec un peu d’aide de la science…) vaincu une maladie mortelle. Mais lorsque les choses se corsent, on peut même parler de crucifixion!

Avec la date limite des transactions qui approchent, l’effervescence est grande, les rumeurs courent et les boucs émissaires des brefs égarements du CH deviennent de plus en plus nombreux. Amèrement critiqué plus tôt dans l’année pour sa non-maîtrise de la langue de Molière, Saku Koivu s’est fait rattraper par ses contre-performances et ses punitions hérétiques beaucoup trop courantes.

Si, ces derniers temps, ce sont ses compagnons de trios qui étaient accusés du péché de la paresse, de plus en plus de gens soulèvent l’implication du capitaine dans leurs déboires respectifs. Ça n’a pris qu’un petit clouage au banc, à la fin d’un match contre Ottawa, pour qu’une horde de commentateurs de tout acabit jettent la première pierre.

Alors que certains voient d’un bon œil que Koivu tente de se relancer sous un autre ciel, d’autres le considèrent comme un intouchable, lui qui œuvre pour Montréal depuis ses débuts dans la LNH et ayant traversé vents et marées. Mais l’évidence est claire, il n’a plus la trempe d’un joueur de premier trio. Et il ne semble plus avoir le feu pour jouer le berger rassembleur pouvant guider l’équipe dans les moments plus sombres, et encore moins la fougue pouvant ouvrir la mer Rouge (des Sénateurs d’Ottawa) séparant le Canadien du premier rang.

Quant au gardien du temple (ou du but, si vous préférez), les Montréalais tardent à l’apprivoiser, comme s’ils savaient qu’il n’était qu’un temporel avant l’arrivée du messie. José Théodore avait, à ses débuts, l’aura d’un sauveur, mais ses égarements dans les tentations de la vie mondaine et les déboires de sa famille l’ont fait tomber de son nuage. Il représentait le plus bel espoir depuis «Saint-Patrick Roy», et voilà que les partisans du Tricolore sont toujours en attente d’un autre grand qui pourra chausser ses patins. Cristobal Huet est un gars fiable mais de passage. Quant à son successeur Carey Price, son calme qu’on lui attribuait devant le filet s’est prouvé «ébranlable» avec sa descente dans le bas monde (de la Ligue américaine). Mais il est encore bien jeune, il a beaucoup de temps devant lui pour fortifier sa technique et son esprit.

L’esprit est vraiment la clé pour jouer à Montréal. Le talent va un peu de soi lorsque vous évoluez dans la LNH, mais la force de caractère n’est pas propre à tous. Cette force, ce n’est pas seulement les joueurs du Canadien qui en ont besoin, mais leurs partisans également. Si le sport national se vit comme une religion, disons que ça devrait être au moins comme une «bonne religion», et non comme ces religions qui enflamment les passions au point de perturber le tissu social.

La folle passion du hockey ne peut être exorcisée, mais il ne faut pas perdre de vue que c’est une construction culturelle. Personne ne naît avec le CH tatoué sur le cœur, quoique certains drôles pourraient peut-être prétendre le contraire. Là où je veux en venir? L’assainissement de l’environnement à Montréal est un facteur-clé pour améliorer les performances de l’équipe. Si les partisans sont plus rationnels, les journalistes alimentant la controverse n’auront plus d’audience. Les joueurs seront ainsi plus relax et pourront se concentrer pour gagner des matchs.

C’est déjà un «miracle» de voir le Canadien flirter avec les sommets du classement. La «bible» du hockey, Hockey News, prédisait une saison de malheur à l’équipe avant le début des hostilités. L’ambition de viser toujours plus haut est essentielle dans le sport professionnel, mais bouger trop vite pour gagner à court terme est une erreur que l’on retrouve dans toutes les facettes de la vie.

Je crois que Bob Gainey, le grand manitou, a compris ce point. Tous les partisans espèrent l’arrivée d’un grand joueur, et avec raison. Depuis combien d’années sont-ils privés d’une super vedette? Mais tout vient à point à qui sait attendre : souhaitons le repêchage et le développement maison de bons prospects, quelques bons Québécois, de préférence, qui auraient une passion de défendre les couleurs du club chéri des Montréalais.

Sinon, la Terre continuera de tourner, les millions continueront de pleuvoir sur les «pousseux de puck», tandis que guerres et famines font rage dans des contrées plus hostiles. Drôle de monde. Imaginez si nous étions autant passionnés pour la démocratie et les droits de l’homme…

Plus de 204 720 056 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.