Daniel Mesguich et Satoshi Miyagi montent Neige d’été à Ménilmontant

Écrit par Michal Neemann
11.02.2008

  • L'affiche du spectacle(攝影: / 大紀元)

Daniel Mesguich et Satoshi Miyagi travaillent ensemble sur une création aussi onirique que grave Neige d’été, qui sera au théâtre de Ménilmontant à Paris à partir du 5 février. Grave, car le spectacle est une allégorie de la lutte entre un matéralisme moderne, obtu et ivre de pouvoir, et la force tranquille d’une tradition millénaire. Onirique car théâtre et réalité se mêlent et se parlent, avec une frontière si ténue qu’il faut s’accrocher pour retrouver les acteurs, fixer dans nos esprits ce qui est pièce et ce qui ne l’est pas.

 

Le rideau s’ouvre sur une troupe de comédiens chinois qui, en 1999, répètent Dou E, l’innocente condamnée, une  pièce du répertoire classique écrite par Guan Han Qing qui vécut sous la dynastie des Yuan au XIIIe siècle. Au fur et à mesure que les acteurs s’identifient à leur personnage, leur propre destin va basculer dans une tragédie similaire à celle qui se déroule dans la pièce antique qu’ils sont en train de répéter – mais c’est leur propre vie qui est en jeu lorsque la radio annonce que le Parti communiste déclare la méthode bouddhiste Falun Gong hors la loi et lance une nouvelle campagne de terreur dans tout le pays.

Le metteur en scène sera le premier à disparaître, comme pour symboliser avec son départ l’arrivée du chaos. Le destin de Joie, le personnage principal de la pièce, doublement interprété par l’actrice japonaise Ayako Terauchi et l’actrice française Marie Frémont, rejoint celui de Dou E, l’héroïne antique qu’elle incarne. C’est elle qui fera à son tour tomber la neige en plein été.

Cette triple mise en abîme est aussi « efficace » qu’elle est poétique et Céleste Florian et R. Alexandre De l’Ambre qui cosignent la pièce, nous emmènent au cœur d’une tragédie dont on ne sort pas indemne. Magistralement mise en scène par Daniel Mesguich et Satoshi Miyagi, Neige d’Eté est une excellente surprise de ce début d’année.

DANIEL MESGUICH ET SATOSHI MIYAGI REPONDENT A LA GRANDE ÉPOQUE

LGE : Y a-t-il une différence entre les acteurs français et japonais ?

Satoshi Miyagi : Ce qui donne la particularité du jeu des acteurs japonais par rapport aux acteurs français, c’est qu’ils ont vécu au Japon, qu’ils ont parlé le japonais et que leur identité est profondément liée à la culture japonaise.

D’ailleurs Daniel Mesguich, pour qui la langue française est très importante, a choisi de faire parler Ayako Terauchi, l’actrice japonaise, dans sa langue maternelle, ce qui donne sur scène une rencontre de deux langues, Ayako Terauchi représentant le Japon et les acteurs français représentant la France, cette différence donne une grande valeur au spectacle.

LGE : Par rapport aux prochains Jeux olympiques de Pékin, y a-t-il quelque chose que vous voulez dire au peuple chinois ?

Satoshi Miyagi : Après la deuxième guerre mondiale et la défaite du Japon, la culture japonaise traditionnelle dans le monde n’était pas à la mode et les Japonais avaient une grande souffrance dans le coeur. Ils ont essayé d’y remédier par la réussite économique, mais cela a été un échec. On ne soigne pas les blessures du cœur par la réussite économique. Je souhaite que les Chinois ne tombent pas dans ce piège avec les Jeux olympiques mais qu’ils puissent chercher plutôt vers l’intérieur, car la culture chinoise est d’une grande richesse.

LGE : La pièce pose également le problème de la liberté de conscience et de la liberté d’expression en Chine, quelle est votre position là-dessus ?

Satoshi Miyagi : L’une des grandes  faiblesses de l’humanité est de séparer les gens en deux groupes, les amis et les ennemis en acceptant les uns et en excluant les autres, ceux qui pensent autrement que nous. Pour moi, ce manque de tolérance a pour conséquence de « salir » l’humanité.

LGE : Pourquoi avoir choisi de monter Neige d’été ?

Daniel Mesguich : Les raisons pour lesquelles je me suis intéressé à la pièce de Céleste Florian sont multiples et de différents ordres. La première est le pouvoir de persuasion de Céleste Florian, la deuxième c’est que le contenu de la pièce m’intéressait à divers titres, tout d’abord l’intrigue ou la structure qui se confondent. En l’occurrence, il s’agit donc d’une pièce ancienne qui date du XIIIe siècle et qui est une oeuvre célèbre du répertoire chinois et puis de textes qui ont été écrits par Céleste Florian et Alexandre de l’Ambre et qui se faufilent dans les interstices de la première pièce. Le tout donne une pièce qui s’intitule aussi Neige d’été – si la première s’intitule Neige d’été – pour des raison de clarté, nous avons intitulé la première, la pièce ancienne Dou E, l’innocente condamnée, mais au fond Neige d’été devient un titre indécidable. De qui est Neige d’été?

De l’auteur chinois du XIIIe siècle Guan Han Qing? Ou de Céleste Florian? On ne le saura pas vraiment.

Des deux bien sûr mais pas vraiment. C’est cette structure là qui est ce qu’on pourrait appeler le nerf de la guerre de la pièce qu’a écrite Céleste, dans la mesure où, ce qui se passe en fiction, une injustice, se passe dans la réalité, une injustice donc. Et la manière dont les pièces se tressent, s’entrecroisent, se répondent, sont en écho l’une de l’autre, est pour moi une sorte d’espace, comme un abîme. Et cet espace ou cet abîme a un nom: il s’appelle le théâtre.

La troisième raison est que c’est un jeu entre classique et moderne. [...]

Peut-être que l’injustice de Dou E raconte littéralement telle ou telle injustice contemporaine en Chine. Nous avons des exemples comme celui-là. Par exemple sous l’occupation on jouait Les mouches de Sartre ou Antigone d’Anouilh mais ça ne voulait pas dire qu’on jouait Les mouches ou Antigone, ça voulait dire qu’on jouait la résistance contre l’oppression nazie. Voilà, n’importe quoi tend vers autre chose que lui même. Mais peut-être que c’est à la fois passionnant et faible comme discours. Parce que dans ce cas-là, pourquoi ne pas écrire directement un article dans Le Monde?

 

Pourquoi passer deux mois et demi à répéter une pièce? Pourquoi inféoder l’art du théâtre à quelque chose qui pourrait tenir en un article dans Le Nouvel observateur? Peut-être que ce n’est pas si intéressant que ça, malgré les allures libératoires que ça peut avoir, malgré les allures intellectuellement sournoises que ça peut avoir: « vous croyez que je vous dis ça mais en fait je vous dis telle autre chose », peut être que c’est faible. La pièce de Céleste Florian m’intéresse parce qu’elle dit littéralement les choses, on n’a pas pris Dou, l’innocente condamnée, la pièce ancestrale, pour lui faire dire quelque chose sur la Chine contemporaine, on a écrit, enfin Céleste Florian a écrit, une pièce contemporaine dans son rapport avec la pièce ancienne. Je trouve ça plus sain, plus net, plus franc... Peut-être plus beau.

[...] Au-delà de telle ou telle opposition qu’il puisse y avoir, liberté d’un côté – tyrannie de l’autre, obscurantisme d’un côté et ouverture de l’autre, matérialisme étroit et fermé d’un côté et spiritualité, réflexion, rêverie, poésie, intelligence de l’autre, etc.

 Au-delà de cette simple opposition, je pense qu’il y a autre chose parce que la pièce de Céleste ne raconte pas n’importe quoi, elle raconte les répétitions d’une troupe de théâtre concernant la pièce ancienne. D’une certaine manière elle parle du théâtre et ça m’intéresse aussi, non pas parce que de manière narcissique, je m’intéresserais au théâtre parce que j’en fais, mais parce que le support même de l’oeuvre que nous présentons, qui est le théâtre, est remis en scène sur lui-même. [...]

Cette pièce profite de sa liberté actuelle pour raconter les non libertés de tel ou tel autre moment, je trouve que c’est très important. Enfin c’est une pièce poétique et ça permet à des acteurs de mélanger effectivement, comme le disait mon collègue Satoshi Miyagi, de mêler, de tresser entre elles des cultures. Par exemple, le rôle de Joie, qui est le nom de l’actrice qui joue le rôle de Dou E – Joie est la contemporaine, Dou E est l’ancestrale – et qui est divisé en deux, interprété d’une part par une actrice que je trouve absolument magnifique qui est Ayako Terauchi, qui elle joue donc à l’occidentale quand même, puisqu’elle joue selon les indications que je lui ai données, mais qui joue aussi d’autre part de manière « asiatique », c’est à dire qu’elle joue la pièce chinoise devenue japonaise ; et d’autre part ce même rôle est interprété par Marie Frémont jeune actrice magnifique aussi, qui joue le même rôle mais français, comme si l’un était le miroir ou l’envers ou le reflet ou l’ombre ou  le fantôme ou l’âme de l’autre.

LGE : Est ce que vous avez voulu faire une pièce politique ?

Daniel Mesguich : Comme vous le voyez, il y a plusieurs niveaux, pour Céleste Florian, j’imagine qu’elle est de manière brûlante politique, pour moi c’est moins brûlant. Mais elle l’est aussi. Elle raconte une oppression plus générale alors que pour Céleste c’est plus précis, plus localisé, plus daté. Et j’imagine qu’on peut ouvrir comme ça à l’infini le degré d’incandescence de ce qui est politique.

Mais politique oui, elle l’est.

Mais Le Misanthrope de Molière aussi vous savez et pourtant on ne dirait pas...

LGE : Vous savez que c’est un sujet très sensible pour les autorités chinoises, cela ne vous inquiète pas ?

Daniel Mesguich : Ça c’est à Céleste qu’il faut poser la question. Est-ce que tu as peur Céleste?

 

Propos recueillis par Marie Tchen

 

Neige d’été sera du 5 février au 7 mars au théâtre de Ménilmontant.

Mise en scène : Daniel Mesguich et Satoshi Miyagi

Compagnie : CIEO

Avec : Ayako Terauchi, Philippe Noël, Nicolas Chupin, Florent Ferrier, Laurent Montel, Marie Frémont, Rébecca Stella, Sophie Carrier et Catherine Berriane.

Assistants mise en scène : Sarah Ferrier, William Mesguich, Hiroaki Ohno.

Auteur : Céleste Florian et R. Alexandre de l’Ambre

Durée du spectacle : 1h50 – tarif : 23,50 euros (normal) –  18,50 euros (réduit)

 

 

L’avis de Paul Tabet

La neige en plein été va recouvrir le corps de Dou E torturée, corps d’une comédienne persécutée comme une réponse du ciel sur l’ignominie, sur le massacre de l’innocence. Un monde déboule sur le plateau, un monde éloigné du nôtre, plein de couleurs et de signes, accompagné de chants magnifiques. On assiste alors à une grande fresque porteuse d’un message politique, d’une crainte, d’un appel. L’art comme réponse aux désastres que le pouvoir peut parfois engendrer.

Une parole fragile et sensible qui dénonce en une éblouissante allégorie poétique le monde des puissants.

Rarement l’expression « art vivant » n’aura autant convenu à une œuvre théâtrale. Vivant, parce que faite de chair et d’humanité en même temps.

On est dans le théâtre, rien que dans le théâtre. Et pourtant de ces mots, de cette musique, de ces personnages imaginaires, de ces dialogues qui ne sont en rien des conversations, suinte le plus impressionnant, le plus évocateur des reportages sur notre univers et les dangers qui nous guettent.

Paul Tabet, Directeur

de la Fondation Beaumarchais