Tâche difficile que de «séparer sport et politique»

Écrit par Noé Chartier, La Grande Époque – Montréal
21.02.2008
  • Les deux athlètes ont été bannis des Jeux, mais le symbole de résistance perdure.(-: OFF / ImageForum)

En demandant de «séparer sport et politique», le Comité international olympique (CIO) et Pékin demandent le respect d’un principe sportif. Pour eux, l’attention ne devrait être portée que sur les performances athlétiques et non sur divers problèmes pouvant accabler le pays hôte. Mais ces appels constants risquent de demeurer vains, alors que des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour refuser la séparation entre les prouesses du corps et celles de la conscience.

«Séparer sport et politique» est devenu le message principal des défenseurs de la tenue des Jeux olympiques en Chine. Leurs détracteurs rappellent de leur côté que le mouvement olympique a initialement lié dignité et fraternité humaines. En Chine, revendiquer publiquement ces valeurs peut vous conduire en prison.

Le président du CIO, Jacques Rogge, utilise continuellement ledit slogan dernièrement pour rejeter les critiques, alors qu’il subit la pression de différents groupes de défense des droits de l’Homme rappellant les engagements pris par la Chine lors de l’obtention des Jeux en 2001. Les ONG font tous le même constat : non seulement la situation des droits ne s’est pas améliorée globalement, mais elle est encore pire dans certains domaines.

Le régime chinois insiste particulièrement sur cette séparation du «sport» et de la «politique». À prime abord, il sait très bien que les Olympiques représentent une occasion en or pour tous ceux ayant une cause chinoise ou souhaitant un redressement des torts. Mais l’expulsion de la «politique» n’est pas, dans le cas chinois, qu’une mode passagère motivée par la tenue d’un événement sportif mondial.

En Chine, «politique» est plutôt une étiquette que l’on appose sur quelqu’un pour le persécuter. Tandis que durant la Révolution culturelle (1966-76) c’était l’individu «apolitique» ou le «réactionnaire» qui subissait torture et humiliation, maintenant, depuis les réformes économiques,  de la promotion par les élites communistes du slogan capitaliste «Enrichissez-vous!», ainsi que du massacre de la place Tiananmen en 1989, la «politique» est devenue un épouvantail dont il faut se tenir bien loin pour éviter tout problème avec les autorités.

Dans un sens large, la non-politisation des Jeux olympiques a toujours été un sujet important pour les pays les recevant. Mais l’Histoire démontre une certaine inévitabilité et un danger sérieux d’ignorer les intentions profondes des nations hôtes. Berlin 1936 en est un exemple frappant, alors qu’Adolf Hitler profitait d’une grande fenêtre pour exhiber les accomplissements de son régime national-socialiste. À cette époque, les autres puissances mondiales étaient aveuglées et elles-mêmes rongées à un certain niveau par l’antisémitisme.

En 1968, les autorités mexicaines massacraient les étudiants sur la place Tlatelolco quelques jours avant les Jeux. Puis le CIO bannissait, durant les Olympiques, deux sprinters américains, Tommie Smith et John Carlos, qui avaient brandi leur poing sur le podium en guise de protestation contre le traitement des Noirs. L’autre sprinter, l’Australien Peter Norman, de même que Smith et Carlos, portaient tous un macaron du Projet olympique pour les droits de l’Homme, une organisation demandant le boycott des Jeux de Mexico pour protester contre l’apartheid en Afrique du Sud et la ségrégation aux États-Unis. Pour ces athlètes, la justice passait avant la gloire.

En 1980, les États-Unis ont mené un boycott des Jeux de Moscou pour protester contre l’invasion soviétique de l’Afghanistan. À cette époque, il était correct pour le Parti communiste chinois de mélanger sport et politique, la Chine ayant refusé d’envoyer des athlètes en URSS.

Les Jeux qui ont suivi, à Los Angeles en 1984, subissaient à leur tour un boycott de l’URSS et des pays du Pacte de Varsovie, pour protester contre «l’impérialisme américain» en général.

Devant cette quasi-inévitabilité vers une «politisation» des Jeux, ou peut-être plus précisément vers des appels à la conscience, à la justice et aux droits de l’Homme, il sera intéressant d’observer les règlements des organisations sportives des différents pays participants.

L’Association olympique britannique a été sévèrement critiquée dernièrement pour avoir voulu imposer un contrat à ses athlètes, les obligeant à se taire sur toute question «politique» lors de leur séjour en Chine. Elle a finalement dû se rétracter face aux diverses pressions de politiciens et d’organisations des droits de la personne.

Le journal anglais Mail on Sunday rapportait dernièrement que seules la Belgique et la Nouvelle-Zélande ont décidé d’imposer l’omerta à leurs athlètes.

Au Canada, rien de tel n’est envisagé, quoique les athlètes recevront une formation pour «mieux comprendre» le pays visité. Une opération normalement routinière, mais qui devrait comporter une certaine dose d’éléments controversés, alors que les autorités chinoises subiront un stress particulièrement élevé durant les deux semaines d’activités «sportives». Peut-être verrons-nous un athlète canadien sortir un drapeau tibétain lors de la cérémonie d’ouverture? Ou encore plus osé : un téméraire pratiquera peut-être quelques mouvements de la méthode Falun Gong sur une marche du podium…