Les Coréens pleurent la porte Sungnyemun

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque - de Séoul
21.02.2008

  • (攝影: / 大紀元)

 

Le 11 février à Séoul, de nombreux Coréens pleuraient. Dans les bureaux, les taxis, à la radio, tous ne parlaient que de la « catastrophe », la destruction partielle, la nuit précédente, du plus grand trésor national coréen, la Porte Sungnye, aussi connue sous le nom  de Namdaemun, « la grande porte du Sud ».

 

Signe de mauvais augure pour le récemment élu président Lee Myung Bak, qui sera investi le 25 février, la destruction du monument donne aussi lieu à un actif relais de « patate chaude » entre organismes ayant de près ou de loin la responsabilité du monument.

A deux pas de la gare centrale de Séoul, entourée d’immeubles modernes, le Namdaemun est un monument du XIVe siècle situé en plein centre de la capitale sud-coréenne. Ancienne porte du Sud à une période où Séoul était ville fortifiée, il est devenu symbole de force nationale, ayant traversé sans dommages les diverses invasions et guerres subies par la Corée.

Namdaedum, construction en bois et pierre avec double toit en forme de pagode, est également un icône de la survivance d’une Corée traditionnelle dans une ville aujourd’hui toute tendue vers le développement technologique et financier.

C’est en 1962 que le gouvernement coréen, dans ce pays où tout suit une stricte hiérarchie, a attribué au bâtiment, le plus vieux en bois dans Séoul, le titre de « Trésor National numéro 1 », malgré l’opposition d’historiens qui rappelaient que les envahisseurs japonais étaient autrefois entrés dans Séoul à travers cette porte.

Le feu, qui a pris dans la nuit du 11 février et qu’on a d’abord cru maîtrisé avant qu’il ne reprenne et dévaste tout le toit, laisse bien peu de l’antique structure.

Dès le premier matin et pendant toute la semaine, des centaines de Coréens abasourdis se sont rendus auprès de la Porte, avec des chrysanthèmes. De nombreuses personnes âgées pleuraient tandis que d’autres se plaignaient des panneaux métalliques de 15 mètres de haut entourant le reste du bâtiment et empêchant les visiteurs, parfois venus de villes éloignées, de se recueillir.

UN SUSPECT EN PRISON

L’auteur présumé de l’incendie est un homme de près de 70 ans, Chae Jong-gi, qui se serait servi d’un dissolvant à peinture pour allumer le feu. Le vieil homme, arrêté le 12 février, a déjà participé à une reconstitution de l’incendie, suivie de près par les médias sud-coréens. Il a indiqué avoir mis le feu au bâtiment parce que le gouvernement ne l’avait pas aidé à obtenir des compensations financières suite à son expropriation pour un projet de construction il y a une dizaine d’années.

«J’ai pétitionné d’innombrables fois auprès de la Maison Bleue (Cheong Wa Dae, les bureaux de la présidence coréenne) et des bureaux municipaux, mais ce qu’ils m’ont dit est qu’ils ne pouvaient pas me donner l’argent et que je n’avais qu’à faire ce que je voulais», a indiqué Chae lors de la reconstitution.

«J’ai choisi Namdaemun parce que beaucoup de gens peuvent le voir, mais je ne pensais pas que la Porte allait brûler entièrement. D’abord je voulais faire dérailler un train mais j’ai abandonné parce que des gens seraient morts. Je suis désolé pour le peuple de Corée et je regrette profondément ce que j’ai fait».

LA RECHERCHE DE RESPONSABLES

Les réparations, qui pourraient coûter jusqu’à 18 millions d’euros (20 trillions de wons) d’après les premières estimations, ont créé une première polémique la semaine dernière. Le bâtiment n’était assuré contre les incendies qu’à hauteur de 80.000 euros de dégâts, une somme ridicule au regard de l’importance du bâtiment. Ceci serait dû au fait qu’aucune assurance privée n’avait souhaité prendre le risque de garantir le bâtiment, a révélé une source anonyme au sein de la mairie de Séoul.

Le lendemain de l’incendie, le  nouveau président coréen Lee Myung-Bak suggérait que les réparations pourraient donc être financées par un appel aux dons du public, avant d’opérer un vigoureux rétropédalage devant l’exaspération du public. « Pourquoi devrions-nous payer pour leur incapacité à protéger Namdaemun ? », indiquaient des Coréens sur des forums de discussion Internet sur lesquels pleuvaient des commentaires émus et cinglants. 

Dès le 13 février, Yoo Hong-joon, directeur de l’administration de l’héritage culturel, a présenté sa démission au président de la République. « Je ne pense pas que ma démission m’exonère de l’incident. Je n’ai pas non plus choisi de démissionner pour éviter ma responsabilité. J’ai déjà participé à une réunion avec le maire de Séoul sur la meilleure façon de restaurer Namdaemun », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse citée par le quotidien conservateur Joongang Ilbo.

Enfin, la police a, le 15 février, fouillé les bureaux de KT Telecop, l’entreprise de gardiennage chargée de la surveillance de l’édifice, afin de déterminer l’éventuelle responsabilité de l’entreprise. Des dossiers et des ordinateurs ont été saisis par la police, mécontentant les responsables de KT Telecop dont certains ont, sous le couvert de l’anonymat, déclaré à la presse locale être « ennuyés » par la perquisition,  puisque le contrat signé avec la mairie du district Jung de Seoul excluait de façon explicite une protection contre les problèmes électriques et les actes de malveillance. L’entreprise, qui avait signé le contrat avec la mairie de Séoul depuis moins d’un mois, avait mis en place des caméras de surveillance et un système de détection par infrarouges pour empêcher les intrusions.

Namdaemun a succombé à ce pourquoi il était censé protéger Séoul : d’après une légende coréenne, le site de sa construction avait été choisi par les rois de Corée pour protéger la ville des esprits du feu d’une montagne au Sud de Séoul. L’incendiaire, lui aussi, venait du Sud. Face à « l’héritage culturel numéro 1 », le vieux Chae, son briquet et son dissolvant ont lancé de façon fumeuse un message sur la discrimination permanente vis-à-vis des numéros zéro de la société coréenne, dans ce pays où les diplômes universitaires sont le seul moyen d’avoir accès au respect, à un bon mariage, et à des avantages sociaux. L’incendie de Namdaemun intervient trois ans à peine après que le temple Naksan, un des plus anciens sanctuaires bouddhistes coréens, ait lui aussi disparu dans les flammes.