Les femmes manquantes de l’Inde

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque - Paris
13.03.2008

  • Sangeeta Sidhu tient sa fille de 8 mois, Nandani dans les bras, dans son village de Jalahmajra, dans le Punjab. (Manpreet Romana /AFP/Getty Images)(攝影: / 大紀元)

 

Alors que le 8 mars l’Inde, comme la plupart des autres pays, a fêté la Journée internationale des femmes, et que le 14 mars se célèbre le 10e anniversaire de la présidence du Indian National Congress par Sonia Gandhi, le pays doit faire face aux conséquences de la déconsidération des femmes : un colossal déséquilibre démographique.  Dans le deuxième pays le plus peuplé du monde, le gouvernement s’efforce de faire évoluer les mentalités qui poussent à des avortements sélectifs ou à des infanticides des bébés filles. Il déploie aujourd’hui des moyens financiers pour que les parents commencent à considérer leurs filles comme un atout et un bon investissement plutôt que comme une charge.

Un dicton indien dit : «On sait qu’on a un fils quand on a un petit fils qui joue dans le jardin».  Il exprime en une phrase la façon dont sont vues les femmes : destinées à partir, une fois mariées, dans une autre famille, incapables de transmettre le nom de leurs parents, elle représentent un poids pour les familles. Des préjugés anciens font en Inde de la naissance d’une fille un déshonneur. De plus, la dot nécessaire à leur mariage fait d’elles un énorme fardeau financier dont les familles se passeraient volontiers. La préférence massive pour les garçons s’explique par le fait que ceux-ci transmettent le nom de la famille, héritent de sa fortune, et doivent pouvoir une fois adultes soutenir leurs parents âgés.

Une pratique largement répandue dans le passé et qu’on retrouve encore dans des zones rurales indiennes est de placer sous la langue de nouveaux-nés filles une boulette de sève de ficus, qui les fait mourir en quelques heures, ou de les noyer dans du lait. L’arrivée de la technologie et la légalisation de l’avortement ont diminué la proportion d’infanticides… mais augmenté les foeticides, conséquences du résultat des échographies.

L’Inde ne compte plus aujourd’hui que 93 femmes pour 100 hommes, au lieu d’un ratio normal de 105 femmes pour 100 hommes. Pourtant, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce ne sont pas les pauvres qui éliminent le plus leurs filles en Inde. Une étude épidémiologique publiée par le prestigieuse revue scientifique The Lancet montre que le phénomène est surtout présent dans les classes moyennes au style de vie proche du mode occidental : «Le recours à l’avortement de fœtus de sexe féminin est d’autant plus élevé que la femme enceinte est éduquée et qu’elle appartient aux couches aisées de la population», révèle cette étude de janvier 2006.

«Soixante millions de filles sont ‘manquantes’ en Inde et ce déséquilibre ne sera pas rattrapable», selon l’ONU. Dans des villes riches comme Bombay, on compte aujourd’hui trois femmes pour quatre hommes. Dans le Punjab, au Nord de l’Inde, les proportions sont encore plus dramatiques avec plus de 50 % d’avortement des fœtus féminins. Un avenir socialement effrayant se profile pour les Indiens, dans lequel ils pourraient être 30 millions à ne pas trouver de femme en 2020. Plusieurs associations interpellent déjà sur le fait que les cas de ventes de femmes (pour, au mieux, le prix d’un scooter et au pire celui d’un téléphone portable) et de polyandrie forcée – c’est à dire le partage d’une femme par plusieurs maris – se multiplient dans certaines régions. Les viols deviennent quasi-endémiques, avec pour victimes généralement des femmes des castes dites inférieures, ainsi que la prostitution forcée.

DES VAGUES SUCCESSIVES D’INTERVENTION GOUVERNEMENTALE

En Inde, l’avortement a été légalisé en 1971. Devant l’utilisation massive des 'scan centers', cabinets d’échographie conduisant à des avortements sélectifs, une loi correctrice, en 1994, a prohibé les avortements fondés sur le sexe du foetus. Les médecins n’ont plus le droit aujourd’hui d’annoncer le sexe des bébés, mais on est forcé de constater que les amendes et les rares condamnations à des peines de prison n’ont globalement pas été suffisamment dissuasives.

Amnesty International mentionne par contre une série d’actions «coup de poing» récente à Hyderabad – capitale de l’Andhra Pradesh  où 91 cliniques ont récemment été fermées par le juge local pour non respect de la réglementation, et qui pourrait faire date.

Le problème des filles indiennes ne s’arrête, malheureusement, pas aux infanticides. Les survivantes, moins bien nourries et moins bien soignées que les garçons, ont une mortalité près de 50 % supérieure à ces derniers. Les travailleurs sociaux, sur le terrain, encouragent avec difficulté les femmes à garder leur fille et à leur donner accès à l’éducation, en leur proposant des bourses, en faisant passer les message que les filles peuvent, elles aussi, prendre soin de leurs parents âgés.

Le gouvernement indien fait aujourd’hui un grand pas supplémentaire en débloquant des millions de dollars pour inciter les familles qui attendent un bébé de sexe féminin à le garder et à l’élever.

Chaque famille, dans les provinces où le déséquilibre démographique est le plus marqué, recevra quatre cents dollars à la naissance de l’enfant, et 2.500 dollars à la majorité si la fille a été scolarisée et n’est pas encore mariée. Aux critères locaux des familles rurales, ce sont des sommes colossales : «Il s’agit d’encourager les familles à mieux traiter leurs filles, à les éduquer, à les considérer comme un capital plutôt que comme une charge», explique le ministre pour le Développement des femmes et des enfants, Renuka Chowdhury, citée par l’AFP.

Pourtant, dans le journal Indian Express, la directrice pour le Maharashtra de la State Women Development Corporation approuve mais ne se satisfait pas encore : «la naissance d’une fille devrait être une joie et la source d’avantages immédiats. Des rations de sucre et d’essence devraient être données à la famille pendant une année, les employés devraient avoir droit à une augmentation salariale qui continuerait chaque année jusqu’à ce que l’enfant soit majeur. Tout cela devrait être déductible des impôts pour l’employeur.»

Un remède de cheval ? D’après l’UNICEF, chaque jour, l’Inde perd 7.000 filles. Soit une vingtaine le temps de lire cet article.