Complot terroriste «déjoué» en Chine: les musulmans ouighours rejettent les accusations

Écrit par Sonya Bryskine, La Grande Époque - Sydney
19.03.2008
  • Une statue du dictateur Mao Zedong domine le carré du Peuple à Kashgar,(Staff: FREDERIC J. BROWN / 2005 AFP)

La Chine a voulu prouver dernièrement qu’elle était, du point de vue de la sécurité, fin prête à recevoir les Jeux olympiques. Alors qu’elle a peut-être réussi à rassurer certaines personnes inquiètes d’une menace terroriste, les défenseurs des droits de l’homme en ont plutôt profité pour questionner, une fois de plus, le dossier de Pékin en la matière.

Le 10 mars dernier, le gouvernement chinois a affirmé avoir neutralisé de dangereux terroristes, qui, selon lui, planifiaient faire exploser un avion de ligne. L’avion en route pour Pékin avait dû atterrir d’urgence le 7 mars. Après deux jours de silence, les autorités ont affirmé que les présumés terroristes étaient des musulmans ouighours de la région du Xinjiang, dans le nord-ouest de la Chine.

Les Ouighours revendiquent leur indépendance de la Chine communiste depuis près de 60 ans. Ils ont nié toute implication dans cette affaire. Entre-temps, des groupes de défense des droits de l’homme ont affirmé que les autorités chinoises ont l’habitude de porter des accusations sans présenter de preuves.

«Lorsque la Chine fait des allégations d’activités terroristes, elle ne fournit pas de preuves, ce qui rend impossible toute enquête indépendante», a mentionné Mark Allison à l’Associated Press, un chercheur d’Amnesty International basé à Hong Kong.

«Génocide culturel» méthodique

Depuis le 11-septembre, il n’a pas été rare pour des pays avec des minorités musulmanes d’utiliser le prétexte de «guerre à la terreur» pour les réprimer.

Tel est le cas en Serbie, où la minorité albanaise est régulièrement accusée de donner refuge à des cellules terroristes. Ou en Ouzbékistan, où le massacre de civils à Andijan en 2005 a été justifié par les autorités comme nécessaire pour défaire un complot islamiste.

La répression contre les musulmans ouighours existait bien avant le 11-septembre, mais elle s’est intensifiée depuis. Toutefois, à ce jour, il n’y a eu aucun cas d’attaque terroriste organisée par les Ouighours qui a fait l’objet d’une vérification indépendante.

«Le gouvernement chinois a perçu le 11-septembre comme une opportunité historique pour justifier davantage la persécution du peuple ouighour, parce que nous sommes musulmans», dénonce la militante ouighour renommée et nominée pour le prix Nobel de la paix en 2006, Rebiya Kadeer, lors d’un forum d’Amnesty International à Sydney, Australie.

Mme Kadeer a affirmé que le procureur général du Xinjiang a sévèrement réprimé les Ouighours le 18 janvier 2008. Plus de 15 000 personnes auraient été arrêtées. En 2004, un responsable chinois aurait déclaré, lors d’une conférence sur la sécurité, avoir condamné à mort 55 Ouighours en un mois, sur des accusations de terrorisme.

Malgré que les probabilités d’une attaque terroriste en Chine sont relativement basses, comparativement aux endroits plus ciblés comme le Royaume-Uni ou les États-Unis, les autorités chinoises semblent accorder une grande importance à la surveillance de la minorité ethnique.

L’Associated Press a rapporté que, lors d’une récente rencontre parlementaire, Wang Lequan, le chef du Parti communiste au Xinjiang, a dit que les autorités adopteraient la politique de frapper en premier contre les «trois forces perverses» : les terroristes, les séparatistes et les extrémistes dans la région.

Malgré une persécution qui s’amplifie ces derniers temps, la région est depuis longtemps la proie à des troubles divers. La situation s’est aggravée lorsque les communistes ont pris le pouvoir en 1949 et ont annexé le Turkestan oriental, maintenant officiellement appelé la région autonome ouighour du Xinjiang. Cette région est bordée par la Mongolie et la Russie au nord; le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan, l’Afghanistan et le Pakistan à l’est; le Tibet et le Cachemire au sud et les provinces du Qinghai et du Gansu à l’est.

Peuplée de plus de 9 millions de musulmans, la région a ses propres lois et n’est pas censée être liée par la Constitution chinoise. Mais, en réalité, les Ouighours sont forcés d’abandonner leur propre langage, culture et religion, une forme de persécution décrite comme un «génocide culturel» par Mme Kadeer.

«Aujourd’hui, il n’y a pas de liberté religieuse, ils ne peuvent entrer dans une mosquée pour prier. Ceux qui le font sont arrêtés ou emprisonnés», explique-t-elle. L’organisation de défense des droits de l’homme, Human Rights Watch (HRW), dresse également un portrait effarant de la situation dans un rapport de 2005. «De manière la plus extrême, les militants pacifistes qui pratiquent leur religion d’une façon que le Parti et le gouvernement jugent inacceptable sont arrêtés, torturés et parfois exécutés», indique HRW.

Mme Kadeer décrit un environnement d’oppression étatique qui a «réduit les Ouighours à la pauvreté et à l’ignorance».

Alors que la plupart des gens en Occident ont entendu parler du massacre de la place Tiananmen en 1989 – lorsque des milliers de personnes ont été tuées pour avoir demandé la démocratie en Chine – peu de gens connaissent le massacre de Gulja qui est survenu huit ans plus tard.

En 1997, un nombre inconnu de jeunes, majoritairement ouighours, ont été tués, 8000 sont disparus et environ 50 000 ont été détenus et abusés pour avoir revendiqué la fin de l’oppression au Turkestan oriental.

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«Durant les 58 dernières années, en faits, n’importe quel Ouighour qui a parlé, écrit ou dit quoi que ce soit contre le gouvernement chinois, de quelconque façon, directement ou indirectement, par téléphone, par les livres ou peu importe la manière, a été étiqueté de séparatiste et a été torturé par le gouvernement chinois», affirme Mme Kadeer. Elle-même a passé six ans dans une prison chinoise pour avoir essayé d’envoyer quelques coupures de journaux à son mari habitant aux États-Unis. Elle avait été accusée de «divulguer des secrets d’État».

Elle a été libérée en 2005 sous la pression du Congrès américain et d’organisations de droits de l’homme. Autrefois onzième personne la plus riche en Chine et propriétaire d’un empire de commerce de détail, Rebiya Kadeer vit maintenant en exil aux États-Unis. Elle voyage de par le monde et est devenue la voix du peuple ouighour.

Mais même ses voyages à l’étranger sont devenus de plus en plus difficiles.

«Le gouvernement chinois a cette habitude de m’empêcher de faire des visites internationales, en disant que je suis une terroriste internationale.»

Ironiquement, malgré que le Turkestan oriental soit entouré d’autres pays musulmans, les seuls appuis qu’il reçoit proviennent de démocraties occidentales, affirme Mme Kadeer.

«Le Kazakhstan, le Pakistan, l’Ouzbékistan et tous les autres pays musulmans s’empressent de déporter les Ouighours vers la Chine pour plaire au gouvernement chinois. Une fois déportés, ils disparaissent ou sont exécutés.»