Quand le travail va mal

Écrit par Claudine Cornil, Collaboration spéciale pour La Grande Époque
20.03.2008

  • (攝影: / 大紀元)

2e partie

 

Mais la souffrance au travail devient difficile à évaluer véritablement car en l’absence d’une réflexion sur les évolutions à l’œuvre dans le monde professionnel et sur leurs conséquences, des mécanismes qui masquent le phénomène se sont mis en place. Sous tension, culpabilisées par leurs employeurs et les responsables politiques, de nombreuses personnes ne se sentent pas autorisées à accepter le repos préconisé par le médecin. Cela donne le « présentéisme », constaté par les médecins du travail. Les salariés refusent de plus en plus souvent en effet les arrêts maladies ou reprennent avant la fin de leur congé en demandant pour « tenir » des antalgiques puissants comme la morphine.1 

 

Dans ce tableau très sombre, on cherche vainement des secteurs et des niveaux dans les hiérarchies qui échappent à la souffrance professionnelle. Si l’on prend la peine d’écouter la parole des salariés sur leur travail, on s’aperçoit vite que le mutisme sur la souffrance professionnelle ne témoigne pas de la bonne santé de l’administration, du service ou de l’entreprise en question mais des mécanismes d’évitement, d’occultation ou de déni que les travailleurs sont obligés de mettre en place pour ne pas craquer. Ce silence prend aussi quelquefois ses racines dans des défaillances organisationnelles qui empêchent toute expression sur ce  qui ne va pas.

C’est le cas par exemple pour les enseignants.  L’écoute de la profession fait apparaître une souffrance d’autant plus grande qu’elle ne peut jamais s’exprimer. Les personnels éducatifs sont en effet douloureusement emmurés dans une série de représentations négatives. Ces représentations, qui dépeignent classiquement l’enseignant sous la forme de quelqu’un d’étriqué, de mesquin, de peu motivé, incapable de changement et ennuyeux se situent pourtant certainement à l’opposé de la réalité. Elles pèsent néanmoins d’un lourd poids sur les conditions d’exercice de la profession en légitimant d’une certaine façon les incivilités et  la violence auxquelles sont exposés les instituteurs et les professeurs.

Aujourd’hui, pris dans des logiques contradictoires, entre des exigences de plus en plus importantes en terme de résultats et des moyens de plus en plus dérisoires, les personnels éducatifs sont obligés de donner encore davantage de leur dévouement et de leur santé sans espérer recevoir aucune contrepartie en terme d’augmentation de salaire, de reconnaissance ou même d’aide et  de soutien. 

En effet, l’institution scolaire se préoccupe bien peu des conditions réelles d’exercice de la profession dans sa globalité et de l’évaluation des risques professionnels pourtant rendue obligatoire par le décret 2001-1016 du 5 novembre 2001.

Mêmes les obligations légales en matière d’hygiène et de sécurité antérieures à ce décret ne font guère  de mises en œuvre de la part de l’administration malgré les signaux d’alarme que constitue un absentéisme important. Le cas de la visite médicale quinquennale imposée par le décret modifié du 28 mai 1982 dans la fonction publique, et que la plupart des académies ne se sont jamais donné les moyens de mettre en œuvre, est peut-être le plus emblématique d’une situation d’indifférence à l’égard des personnels. Alors qu’un médecin du travail est requis pour 3.000 employés dans le secteur privé, un médecin de prévention dans l’Éducation nationale est censé pouvoir suivre 18.000 à 24.000 agents.

De surcroît,  cette administration joue du fait que ce sont les collectivités locales, départementales ou régionales qui sont chargées de tous les aspects matériels de la vie scolaire pour se dédouaner de ses obligations en matière de sécurité, d’hygiène et de conditions de travail envers les enseignants. De leur côté, les collectivités se retranchent trop souvent derrière leur faiblesse financière réelle ou supposée pour ne pas mettre en conformité les locaux et le mobilier.

Il n’y a pas de CHS dans la plupart des départements pour les  enseignants du 1er degré. Pour ces personnels, il n’y a aucun moyen institutionnel d’améliorer les conditions de travail ou même de les mettre en conformité avec la législation, notamment celle relative à l’amiante. Problèmes de bruit, de violence, de stress intense, épuisement professionnel et harcèlement moral sont totalement ignorés par une administration qui oublie ses devoirs d’employeur et qui voudrait manifestement tout avoir sans rien donner. Pas de toilettes pour les adultes dans certaines écoles, aucun lieu pour déjeuner pour des personnels qui habitent loin, niveau sonore insoutenable pour les adultes et les enfants,  etc. On ne compte plus les infractions au Code du Travail.

Dans les collèges et les lycées professionnels, dans certains lycées généraux, se sont les incivilités et les violences qui minent les personnels et finissent par avoir raison de leur santé sans que cela n’éveille le moindre émoi au ministère de l’Éducation nationale.

Mais les personnels éducatifs se trouvent souvent culpabilisés par leur hiérarchie ou par leurs collègues dès qu’ils osent exprimer une souffrance ou poser une limite en terme de temps, de moyens matériels ou physiques et même de possibilité d’action. Chez ces personnels, prévaut encore majoritairement, il faut bien l’avouer, une culture de l’abnégation, pour laquelle un bon enseignant est celui qui ne fait pas de « vague » et supporte tout sans se plaindre.

Les organisations syndicales majoritaires des personnels éducatifs n’ont que timidement investi le champ des conditions de travail. Engoncées dans une démarche quantitative, elles développent encore un raisonnement selon lequel « on a bien le droit d’être malade » pour exiger davantage de remplaçants. Si cette démarche est opportune dans le court terme, la logique selon laquelle « le travail ne doit pas rendre malade » n’est pas encore portée par la plupart des  syndicats enseignants.

Pourtant, demander que l’inévitable prochaine réforme porte, non pas sur la mise en place de tel ou tel dispositif à l’efficacité douteuse de lutte contre l’échec scolaire mais sur l’amélioration des conditions de vie au travail des enseignants pourrait contribuer à rendre l’école plus efficace en faisant baisser les chiffres de l’absentéisme des professeurs. Le système scolaire fonctionnerait certainement mieux si on aidait les personnels éducatifs à retrouver le goût du « plus beau métier du monde ».

 

1 Collectif de médecins du travail de Bourg-en Bresse