Les étudiants du Venezuela veulent bâtir une nouvelle société

Écrit par Gary Feuerberg, La Grande Époque - Washington
25.03.2008
  • Les étudiants du Venezuela ont mené le mouvement d’opposition à la réforme de la Constitution(Stringer: PEDRO REY / 2007 AFP)

WASHINGTON, D.C. – Les pays démocratiques soupiraient de soulagement en décembre dernier lorsque le président vénézuélien, Hugo Chavez, a perdu son référendum visant à modifier la Constitution du pays.

Par une marge très mince (51 % contre, 49 % pour), les citoyens du Venezuela ont rejeté une proposition qui aurait permis à Chavez de se présenter à la présidence indéfiniment, de mettre fin à l’autonomie de la banque centrale et de réduire la semaine de travail.

On sait peu de choses du mouvement étudiant ou de ses dirigeants qui ont été responsables de la défaite de Chavez. Avant l’arrivée de ce dernier sur la scène politique, l’opposition prenait corps dans les partis politiques.

Avec les étudiants qui ont mené des centaines de milliers de personnes dans des manifestations pacifiques, une nouvelle force a émergé dans le pays. Elle ne s’oppose pas seulement à la direction prise par Chavez et ses partisans, mais elle cherche aussi à reconstruire le pays psychologiquement en partant de la base.

Certains affirment que les étudiants ont empêché le pays, au moins pour l’instant, de devenir une dictature et de se transformer en un État communiste/socialiste.

Pour faire la lumière sur le mouvement étudiant, le groupe de réflexion Cato Institute de Washington, D.C. a tenu un forum, le 12 mars dernier, intitulé Le mouvement des étudiants vénézuéliens pour la liberté. Le forum présentait trois Vénézuéliens impliqués dans la lutte contre le gouvernement d’Hugo Chavez : le leader étudiant Yon Goicœchea, l’auteur et militant des droits de l’homme Gustavo Tovar et l’auteur et ex-responsable gouvernemental Gerver Torres.

Chaque panéliste a exprimé son point de vue personnel sur le mouvement étudiant vénézuélien et sur la signification du vote pour le «non» au référendum, empêchant l’élimination du nombre limite de mandats présidentiels.

«Les Vénézuéliens ont rejeté, par voie référendaire, les changements constitutionnels […] qui auraient transformé leur pays en État socialiste», a mentionné le modérateur du forum Ian Vasquez, directeur du Center for Global Liberty and Prosperity du Cato Institute. «Les étudiants ont joué un rôle clé, en public et dans les coulisses, pour assurer à la population qu’il y a un futur viable pour la démocratie dans ce pays.»

Contrairement aux forums typiques chez la myriade de groupes de réflexion de Washington, cette discussion passionnée était pleine d’espoir et de visions d’une nouvelle société.

La non-violence de Martin Luther King Jr a été invoquée également et semble indiquer que les étudiants veulent éviter les émeutes et les combats. Il ne s’agit pas d’un mouvement politique dans le sens traditionnel du terme, mais plutôt de la recherche d’un dialogue au sein de la population du Venezuela pour qu’elle détermine son avenir d’une manière libre et ouverte.

Un jeune étudiant, Yon Goicœchea, dirige le mouvement et il est le président du Parlement national étudiant. Il affirme que la fermeture par Chavez d’une chaîne de télévision populaire, en mai 2007, a été l’événement qui a galvanisé les étudiants. Radio Caracas TV (RCTV) était en activité depuis 53 ans et était l’une des plus anciennes et des plus populaires chaînes, selon un reportage de CNN (le 27 mai).

RCTV avait été depuis longtemps favorable aux partis d’opposition, et le président Chavez ne l’aimait pas, l’accusant d’avoir appuyé le coup d’État raté de 2002 contre lui, selon CNN.

Goicœchea a expliqué que lui et ses collègues étudiants sont «instinctivement» descendus dans la rue pour s’opposer à la fermeture, car ils percevaient qu’elle ouvrait la voie au totalitarisme. Le référendum a été perçu de la même manière. Il y a eu 45 manifestations publiques, où des milliers d’étudiants de Caracas, et simultanément dans d’autres villes du pays, ont marché en guise de protestation.

Goicœchea affime qu’ils n’avaient pas l’intention de renverser Chavez et d’imposer un autre gouvernement. Selon lui, le mouvement étudiant n’a pas d’idéologie politique définie (gauche ou droite), et la démocratie n’a pas d’idéologie.

Étant âgé de 23 ans seulement, Goicoechea a insisté qu’il ne sentait pas le besoin d’être lié au passé. Il dit qu’il a du respect pour Hugo Chavez, mais dans une démocratie, tous les côtés devraient être bienvenus. Il a parlé du besoin des Vénézuéliens de s’entendre sur des valeurs communes, un thème qui a été mentionné plusieurs fois durant le forum.

Plus âgé que Goicœchea et plus philosophique, Gustavo Tovar a tenté d’expliquer les principes qui animent la protestation étudiante. Il a écrit un livre racontant l’histoire de leur mouvement et leur vision, Étudiants pour la liberté (traduction libre de l’espagnol).

«Afin de changer la politique, nous devons changer le langage», a-t-il déclaré, citant un poème du Prix Nobel de la paix 1990, Octavio Paz. «Nous ne pouvions nous parler», a-t-il expliqué. Le «problème très grave de l’exclusion sociale» doit être abordé, a-t-il dit. Il doit y avoir une entente sur des valeurs communes et sur les droits de l’homme pour qu’un dialogue puisse avoir lieu.

Autrefois, alors que Tovar enseignait à des jeunes dans une université, il a observé que ses élèves le trouvaient «très ennuyeux». Alors, il a fait son examen de conscience. Il voulait dire par là qu’il faut écouter attentivement les gens avec qui vous êtes en désaccord, respecter ces personnes, défendre les droits de l’homme et résister à la tentation d’utiliser la violence.

«Être contre le terrorisme ou être dans l’opposition au Venezuela ne fait pas de vous un démocrate», a-t-il expliqué. Le problème principal au Venezuela n’est pas de mettre Chavez dehors, mais bien de reconstruire le pays, d’illustrer nos valeurs et de ne pas répondre à la violence, a-t-il poursuivi.

{mospagebreak}

Le malaise social de la vie vénézuélienne provient des attitudes publiques à l’égard de la source de la pauvreté. Chavez est arrivé à la présidence avec des «idées partagées par des millions de Vénézuéliens qui croient dur comme fer que le Venezuela est un pays très riche et que la pauvreté existe seulement parce que la richesse pétrolière est entre les mains d’une poignée de personnes», écrit Gustavo Coronel pour le Cato Institute.

Leur attitude à l’égard de la richesse qui est acquise par la redistribution plutôt que par le travail est une faiblesse fondamentale de leur système social. Bien qu’elle ne vienne pas de Chavez, ce dernier a été en mesure de l’exploiter.

La «malédiction» des revenus pétroliers a mené à une grande expansion de la corruption au Venezuela sous Chavez, selon M. Coronel et les trois panélistes.

«Les leaders populistes prêts à promouvoir un État providence afin de consolider leurs positions politiques […]» ont été un facteur majeur dans le dialogue auquel se réfère Tovar, et cette corruption précède Chavez, dont l’appel à son élimination l’a probablement, plus que tout, propulsé au pouvoir. Mais sous Chavez, la corruption est devenue plus «démocratique». D’abord limitée aux échelons élevés du gouvernement, elle s’est répandue vers le bas.

«La corruption imprègne tous les niveaux de la société vénézuélienne» et «[…] les citoyens ordinaires doivent donner des pots-de-vin pour accomplir des transactions bureaucratiques et doivent souffrir d’une négligence répandue des services gouvernementaux de base», écrit Coronel. Les fonctionnaires peuvent s’enrichir et le gouvernement n’intervient pas.

Le troisième panéliste, Gerver Torres, un analyste chez la firme Gallup, a discuté de l’opinion publique et de la politique au Venezuela et en Amérique latine d’un point de vue plus théorique. M. Torres, un consultant auprès de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, était un fonctionnaire aux finances dans l’ère pré-Chavez. Il affirme que les sondages Gallup en Amérique latine démontrent que la population du Venezuela s’estime victime des intérêts étrangers. Lorsqu’ils ont été interrogés pour savoir si d’autres pays tirent avantage de leurs ressources naturelles, 80 % des Vénézuéliens disent «oui» et seulement 12 % disent «non», fait remarquer M. Torres.

De plus, l’analyste rapporte qu’une majorité (54 %) croit que leur pays se dirige vers le socialisme, alors que seulement 18 % croit que le pays se dirige vers plus de capitalisme.