La grenouille qui voulait être aussi grosse que le boeuf

Écrit par Patrice-Hans Perrier, La Grande Époque - Montréal
25.03.2008

  • Vue aérienne de l’Université du Québec à Montréal(攝影: / 大紀元)

L’Université du Québec à Montréal a perdu sa mise en voulant s’improviser promoteur immobilier

Au vu des déboires financiers qui s’accumulent, l’UQAM pourrait bien être mise en tutelle à brève échéance. C’est ce que soutient l’architecte et professeur Jean-Claude Marsan, dans le cadre d’une entrevue téléphonique. Cet observateur aguerri estime que l’université soixante-huitarde s’est emballée autour des années 2004-2005, alors que le marché immobilier commençait à afficher des signes évidents d’essoufflement.

N’ayant pas su tirer les leçons qui s’imposaient suite au déficit accumulé du projet du Complexe des sciences Pierre-Dansereau, les quelques téméraires du conseil d’administration ont joué leur va-tout avec un 2e projet casse-cou. La déconfiture du projet de l’îlot Voyageur aura, ni plus ni moins, signé l’arrêt de mort d’une institution qui a contribué à revitaliser la portion est du centre-ville de Montréal.

Le sort en est jeté, l’UQAM suffoquerait sous le poids d’un déficit accumulé frôlant les 500 millions de dollars. Et comme une tuile en attire une autre, les étudiants se sont mis en grève à compter du 11 février dernier, ce qui aurait occasionné des frais de près d’un quart de million au moment de mettre sous presse.

Furieux, les grévistes réclament un réinvestissement massif du gouvernement provincial afin d’empêcher le vaisseau amiral du réseau de l’Université du Québec de se perdre corps et biens. Au même moment, l’actuel recteur, Claude Corbo, menace d’annuler plusieurs cours dans un contexte où les ponts semblent avoir été coupés entre la haute direction de l’institution et ses bénéficiaires.

Sur ces entrefaites, l’UQAM vient de faire une demande d’injonction en Cour supérieure afin de calmer le jeu des quatre associations étudiantes en grève. Les principaux intéressés n’entendent pas jeter la serviette, dans un contexte où les fausses manœuvres d’une élite – s’improvisant promoteurs immobiliers – risquent de menacer l’accès à l’éducation supérieure pour de larges pans de la population montréalaise. Si la mise en tutelle de l’institution fut évitée de justesse l’été dernier, plusieurs observateurs craignent une descente aux enfers qui aurait pour effet d’amputer une part substantielle de ses programmes et de ses services.

Difficile relance d’un secteur en déclin

Le cas emblématique de l’UQAM nous amène à souligner la difficulté rencontrée par les élites francophones afin de déplacer le centre-ville montréalais de l’ouest vers les faubourgs ouvriers francophones de l’est. Le dossier de l’échec du montage financier de l’îlot Voyageur illustre la tragédie qui frappe un secteur qui est toujours en friche après plus de quatre décennies de laisser-aller. Jean-Claude Marsan qui a préparé une étude à propos de l’implantation anticipée du projet de l’îlot Voyageur estime qu’il serait important de mettre en valeur la place Émilie-Gamelin en érigeant des figures urbaines (bâtiments) qui sauront restituer une échelle respectueuse du tissu urbain montréalais. Il nous rappelait, à cet effet, que «cette immense place publique semble dénudée, avec de petits bâtiments en son pourtour qui ne lui rendent pas justice».

Il estime que tout le secteur entourant la station de métro Berri-UQAM – dans l’axe des rues Sainte-Catherine et Berri – constitue déjà en soi un pôle culturel important pour le centre-ville d’une métropole qui tarde à renaître. Et, contrairement aux élites anglo-saxonnes qui ont su préserver leurs pôles culturels ou commerciaux – à l’instar de l’Université McGill – les francophones seraient plutôt portés sur le gigantisme de projets institutionnels qui ne contribuent pas toujours à s’harmoniser au sein d’un tissu urbain qui date de l’ère victorienne.

Curieusement, à l’heure où la Grande Bibliothèque du Québec connaît un succès bien mérité, l’ancienne Bibliothèque centrale de Montréal (sur la rue Sherbrooke, face au Parc Lafontaine) et la très belle Bibliothèque Saint-Sulpice (sur la rue Saint-Denis) sont désormais fermées au grand public. M. Marsan estime que nous avons privilégié des projets tape-à-l’œil tout en sacrifiant plusieurs de nos édifices les plus prestigieux. À l’orée d’une récession qui serait déjà à l’œuvre chez nos voisins du Sud, «nous sommes toujours à faire du cas par cas dans un centre-ville ayant grand besoin d’un plan de développement en bonne et due forme», finit-il par conclure.

Locomotive pour le développement urbain

Florence Junca-Adenot, professeure associée au département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM, était aux premières loges lors de la création de l’Université du Québec à Montréal en 1969. «À cette époque, il n’y avait pas de campus, les premiers pavillons étaient éparpillés aux quatre coins du centre-ville», se souvient-elle. Au tout début des années 1980, à une époque où elle était vice-rectrice aux Communications, «nous étions dans l’obligation de louer un édifice par année, au vu de l’affluence sans cesse grandissante de la population étudiante. C’est ce qui allait m’amener à contribuer à la conception d’un plan stratégique de développement devant s’appliquer sur une période qui se terminera autour de 2010».

C’est véritablement la position stratégique des transports urbains, dans l’axe Berri-UQAM, qui fera en sorte de déterminer la construction d’un premier véritable campus. Pourtant, déjà autour des années 1985-1986, Mme Junca-Adenot et son équipe étudieront «l’intérêt d’établir un campus à deux têtes avec une liaison horizontale de type piétonne-cycliste le long du boulevard Maisonneuve», précise-t-elle. En effet, on avait identifié un premier pôle de développement correspondant à la station de métro Berri et un deuxième au nord de la Place des Arts (PDA), sur des terrains qui appartenaient à Hydro-Québec dans le passé.

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Loin de vouloir relancer le secteur en travaillant en «silo», notre interlocutrice avait déjà compris l’importance du développement concerté, en impliquant des partenaires, tels que la Société de Transport de Montréal, la municipalité, Hydro-Québec ou certains organismes communautaires. C’est dans cet état d’esprit que fut créée la Corporation du Faubourg Saint-Laurent, une structure qu’elle allait présider pendant plus de dix ans. Une pléiade de pavillons verra le jour jusqu’à ce qu’elle tire sa révérence en 1996.

Certaines réalisations témoignent toujours de l’efficacité de tisser des partenariats avec les acteurs locaux. C’est dans cet état d’esprit que fut créé le Centre Pierre-Péladeau, sous l’impulsion d’un don du célèbre mécène, un bâtiment qui devait revenir à l’UQAM en 2016. Toutefois, l’équipe de direction brûlera les étapes en rachetant cet amphithéâtre en 2003, histoire de devenir propriétaire plus vite que prévu. C’est d’ailleurs à cette époque qu’elle démissionne du Conseil d’administration du Centre Pierre-Péladeau, les choses ayant manifestement dérapé sous l’impulsion d’une institution d’enseignement… se mettant presque à jouer une partie de Monopoly dans le secteur.

La fuite en avant

Notre interlocutrice s’élève aussi en faux contre les velléités de l’ancien rectorat de capitaliser sur une offre élevée de places de stationnement, histoire de rentabiliser le projet de l’îlot Voyageur. Elle nous rappelle que son plan stratégique de développement misait sur les transports en commun et la piétonisation du secteur pour faire en sorte que l’université se développe en symbiose avec son environnement. Même la grille horaire avait été modifiée, au début des années 1980, histoire d’harmoniser la tenue des cours avec l’utilisation massive des transports en commun.

C’est manifestement la précipitation des dirigeants qui aura entraîné l’université dans sa descente aux enfers, alors que dans le cas du Complexe des sciences Pierre-Dansereau – au nord de la PDA – les décisions de construire ont été prises avant même que le ministère de l’Éducation ne confirme sa volonté d’investir… Déjà, à l’automne 2005, la construction du Complexe des sciences aura coûté 40 millions de plus que prévu. Sans compter que l’UQAM avait surévalué de plus de 60 millions les sommes dont elle disposait pour le projet. Ce gouffre financier de 100 millions n’a certainement pas aidé les choses lorsque, au mois de mai 2007, les coûts de construction de l’îlot Voyageur passent de 325 millions à 400 millions.

Dès lors, l’institution de la rue Saint-Denis, quasiment mise en tutelle, tente de se conformer à un strict plan de redressement, alors qu’une analyse du Vérificateur général du Québec annonce que l’ardoise pourrait dépasser le demi-milliard de dollars d’ici cinq ans. D’ici-là, plusieurs craignent que le gouvernement Charest ne profite de la situation pour amputer l’UQAM de plusieurs programmes, voire même des facultés.