Durcissement des relations entre les deux Corée

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque - Paris
30.03.2008

  • Un coréen qui lit le journal(Staff: Chung Sung-Jun / 2008 Getty Images)

 

 

L’annonce d’une remise au goût du jour des droits de l’homme aurait-elle été mieux acceptée par la Corée du Nord si, la même semaine, les troupes américaines et sud-coréennes n’avaient pas réalisé des exercices militaires conjoints en bordure de Séoul ? Rien n’est moins sûr. Le gouvernement sud-coréen de Lee Myung-Bak, à peine entré en fonction, a annoncé clairement la couleur: pas d’aide économique du Sud en direction du Nord sans progrès visibles sur le démantèlement des installations nucléaires nord-coréennes.

Les deux administrations sud-coréennes précédentes, celle de Kim Dae-jung et de Roh Moo-hyun, toutes deux de centre-gauche, avaient choisi une politique beaucoup plus conciliante avec la Corée du Nord, avec laquelle veut rompre le nouvel exécutif. La composition du nouveau gouvernement coréen illustre ce changement : le Conseil stratégique sur les affaires internationales et la sécurité nationale est maintenant dirigé par le Ministre des Affaires Etrangères, alors que le Conseil pour la Sécurité Nationale des administrations précédentes, l’était par le Ministre de l’Unification [des deux Corée]. Cette organisation donnait au Ministre de l’Unification une position centrale puisqu’il conseillait le Président et agissait comme coordinateur des stratégies de renseignement.

Un tour de vis pour plus de fermeté?

Le positionnement central du Ministre des Affaires Etrangères dans le nouvel exécutif indique clairement que le Président Lee Myung Bak souhaite internationaliser la question des relations entre les deux Corée, probablement en y impliquant plus le Japon et les Etats-Unis.

Le camp conservateur au pouvoir reproche à ses prédécesseurs une certaine mollesse, exemplifiée par le maintien d’envoi d’aide alimentaire au Nord après l’essai nucléaire du régime Nord-coréen fin 2006, ou bien les discussions sur un démantèlement du bouclier de défense américain sur la péninsule.

Le repositionnement sur la question des droits de l’homme en est un autre signe: sous les deux administrations Kim et Roh, la Corée du Sud s’est quasi-systématiquement abstenue d’aborder le sujet lors des commissions des droits de l’homme des Nations-Unie, ceci afin de «préserver les avancées» dans les relations entre les deux partie de la péninsule. Lors des cinq derniers votes des Nations-Unies sur la Corée du Nord, la Corée du Sud s’est ainsi abstenue 3 fois, a boycotté le vote 1 fois, et n’a donné son vote qu’après l’essai nucléaire souterrains réalisé par Pyongyang en 2006.

Quatre missiles «de routine» en Mer Jaune

Au moment précis où Séoul annonçait ce repositionnement, soit début mars, la presse officielle de Corée du Nord jusqu’alors silencieuse a lancé sa première offensive rhétorique contre le nouveau gouvernement sud-coréen. Le site Internet nord-coréen uriminjokkiri.com titrait ainsi, « Les nuages noirs de la guerre nucléaire se forment », tandis que le comité nord-coréen pour la réunification affirmait que « Les conservateurs sud-coréens au pouvoir sont les successeurs des régimes fascites dictatoriaux », rapporte le quotidien sud-coréen Chosun Ilbo.

Les tirs de missiles nord-coréens du 27 mars, bien que le porte-parole du gouvernement sud-coréen ait tenté d’en minimiser la portée en parlant d’exercices « de routine » du voisin du Nord, doivent évidemment être compris comme une pression, voire une menace, nord-coréenne face au resserrement visible des liens entre Séoul et Washington. La veille des tirs de missile, la Secrétaire d’Etat américaine Condoleeza Rice recevait à Washington le Ministre des Affaires Etrangères sud-coréen Yu Myung-hwan. Le Chosun Ilbo cite Mme Rice comme disant « Les Etats-Unis n’ont pas de meilleur ami que la République de Corée, une grande démocratie et une économie encore plus prospère et prometteuse » dans un discours de soutien et de rapprochement avec le Président Lee Myung-Bak.

Bien que Séoul continue les envois humanitaires de nourriture et d’engrais vers le Nord, Pyongyang anticipe qu’ils seront bientôt conditionnés à des avancées dans sa démilitarisation. Le régime staliniste craint par-dessus tout que les conservateurs sud-coréens emportent une large majorité lors des élections législatives du 8 avril ; Pyongyang se retrouverait alors en position difficile dans les négociations, bloquées depuis plusieurs mois, sur le démantèlement de ses installations nucléaires.

Lee Myung-Bak le bulldozer

Pour autant la victoire du camp conservateur, si elle est probable, ne sera pas nécessairement éclatante. Le Président Lee Myung-Bak, à peine 100 jours après sa facile élection (20 points d’avance, soit 5 millions de votes, sur son plus proche concurrent), n’est déjà plus tout à fait en état de grâce.

Ancien cadre de Hyundai, maire de Séoul depuis 2002, «Bulldozer» comme est surnommé le Président pour son pragmatisme et sa fermeté, semble par son style de gouvernance provoquer déjà des résistances. Son gouvernement, constitué le 15 février et dont la composition révèle un certain népotisme, lui a ainsi créé ses premiers ennemis jusque dans son propre camp. Des voix s’élèvent par exemple pour demander la démission de Lee Sang-deuk, frère du président nommé au perchoir de l’Assemblée Nationale, tandis que des fidèles frustrés de se trouver sans poste commencent à créer des listes d’opposition.

Les élections législatives du 8 avril pour lesquelles le Grand Parti National (GNP) du Président Lee était ultra-favori il y a seulement quelques semaines, ne sont donc pas encore gagnées, à moins que les bruits de bottes du régime nord-coréen n’unissent plus encore les électeurs sud-coréens derrière leur gouvernement pour exiger la fin du chantage à la bombe, et des retours concrets aux gestes de bonne volonté.