Huit ans de prison pour les adoptants argentins de la «guerre sale»

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque - Paris
14.04.2008

  • Maria Eugenia Sampallo Barragán quitte le tribunal après la condamnation de ses parents adoptifs/kidnappeurs(Staff: JUAN MABROMATA / 2008 AFP)

 

MARIA Eugenia Barragán, 30 ans,  a obtenu vendredi 4 avril la condamnation à sept et huit ans de prison de ses parents adoptifs, Maria Cristina Gomez Pinto, et son ex-mari Osvaldo Rivas. Elle avait déposé plainte contre eux en 2001 après avoir appris qu’elle était née en captivité  sous la dictature militaire, prise à ses parents et confiée à des parents adoptifs après falsification de son identité.

Le militaire qui avait remis le nourrisson aux parents adoptifs, Enrique Berthier, a lui été condamné à dix ans de prison.

«Ce ne sont pas mes parents», a dit Maria Eugenia Barragán à la presse présente à l’audience: «Ils m’ont kidnappée… il n’y a pas de lien émotionnel entre eux et moi. Mes parents, les voici», dit-elle en montrant une photo de ses parents biologiques. Le régime militaire argentin avait arrêté Leonardo Sampallo et Mirta Barragán en décembre 1977, alors que Mirta Barragán était enceinte de six mois. Peu après la naissance de leur fille, les parents seraient décédés et le nourrisson confié au capitaine Berthier.

Maria Barragán a appris son passé par le groupe des «Grands-mères de la Place de Mai» qui a retrouvé 88 de ces enfants volés. Les Grands-mères de la Place de Mai estiment à 500 le nombre d’enfants nés de parents éliminés par la dictature et confiés à des proches du régime. Par un travail d’enquête minutieux et avec le soutien des tests ADN, elles ont obtenu leurs premiers résultats et s’en sont servi comme levier juridique pour aller en justice, l’amnistie générale décrétée pour les militaires et policiers après la chute de la dictature n’incluant pas le vol d’enfants.

Le régime militaire argentin a emprisonné dans les années 70 des dizaines de milliers de personnes suspectées de subversion et en aurait exécuté près de 30.000.  Les enfants en bas âge des victimes du régime étaient placées dans des familles proches du régime, parfois même dans la famille des tortionnaires de leurs parents. Sous la présidence du couple dirigeant  argentin (l’ancien président Nestor Kirchner et sa femme nouvellement élue Cristina Fernandez), la justice argentine s’est donnée les moyens de trouver des limites exploitables aux lois d’amnistie votées sous la présidence Menem.

Le père adoptif, interrogé à la sortie du tribunal qu’il a quitté libre dans l’attente d’un procès en appel, a esquivé les journalistes et simplement dit : «Je ne lui en veux pas. De toute façon, quoi qu’elle fasse cela ne m’empêche pas de l’aimer.»

Ce qui laisse une question sans réponse, à laquelle Maria Eugenia Barragán a dû faire face dans l’opinion publique argentine également – jusqu’à quel point le couple Pinto/Rivas était-il kidnappeur, jusqu’à quel point était-il  parents de cœur»? Pour la jeune femme, qui n’a pas gardé un souvenir radieux de son enfance et qui a dû affronter brutalement la réalité sur la mort de ses parents, cette réponse semble avoir été évidente.