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Des armes chinoises pour Robert Mugabe

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque - Paris
25.04.2008
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  • Robert Mugabe(Stringer: DESMOND KWANDE / 2008 AFP)

 

Plus de trois semaines après les élections présidentielles du 29 mars au Zimbabwe, Robert Mugabe est toujours au pouvoir, faute de publication des résultats des votes. Encore soutenu par l’armée, par l’Afrique du Sud et par la Chine, le vieux dictateur a, de sources concordantes, choisi le chemin des armes et de la répression pour invalider le résultat des élections générales qui annonçaient sa défaite. Après le Kenya, va-t-on assister à un nouvel embrasement dans la Corne d’Afrique?

Robert Mugabe a donc, depuis début avril, fermé à double-tour les portes de son palais et décidé de faire le sourd aux appels internationaux. L’ancien héros de l’indépendance ne s’est pas rendu en Zambie, où les dirigeants d’Afrique Australe avaient organisé samedi 12 avril un sommet en urgence pour résoudre la crise post-électorale au Zimbabwe.  Sans succès. Morgan Tsvangirai, chef de l’opposition et vainqueur des élections, accusé de «haute trahison», a dû s’enfuir au Bostwana pour éviter une exécution.

Le sommet des dirigeants de la SADC (coordination du développement d’Afrique australe) était comme un rappel des 30 dernières années de l’Afrique Australe : d’abord parce qu’il a eu lieu à Lusaka, l’endroit de sa création en 1980 – la même année qui a fait arriver au pouvoir le parti de Robert Mugabe, le ZANU, bras marxiste de la lutte anti-colonialiste. Le ZANU avait cette année-là remporté les élections générales sous consulat britannique qui précipitèrent l’indépendance de l’ex-Rhodésie du Sud.

Ensuite, la SADC avait été constituée pour établir des synergies de développement des pays de la région afin de former un bloc fort indépendant de l’Afrique du Sud sous apartheid. C’est justement aujourd’hui l’Afrique du Sud qui, par la voix du président Mbeki, offre un de ses principaux soutiens à Robert Mugabe.

C’est que Mugabe est encore vu dans la région, 28 ans après son arrivée au pouvoir, comme un héros de la lutte pour l’indépendance et contre l’apartheid. Mais, alors que la plupart des pays occidentaux craignent une vague de violence et appellent clairement au départ du vieux dictateur, le président Mbeki trouvait encore, en milieu de semaine dernière, la situation «normale» et pensait pouvoir anticiper qu’un second tour serait nécessaire pour départager Messieurs Mugabe et Tsanvigarai.

DES TONNES D’ARMES ENVOYÉES PAR LE RÉGIME CHINOIS

La justice sud-africaine a réussi à  interdire, samedi 19 avril le débarquement sur son sol de la cargaison d’un navire chinois, le An Yue Jiang, porteur de 77 tonnes d’armes envoyées par le régime communiste chinois pour soutenir Robert Mugabe. Ceci malgré la position initiale du porte-parole du gouvernement sud-africain, Themba Maseko, qui avait prévenu «ne pas être en position d’agir de façon unilatérale ni d’interférer dans un accord commercial entre deux pays.»

Le journal britannique The Guardian indique que les dockers sud-africains ont refusé de débarquer la cargaison, de même que les transporteurs routiers ont refusé de la charger dans leurs camions : 3,5 millions de munitions, des fusils d’assaut AK47, 1.500 roquettes de 40 mm, des lances-roquettes, des obus de mortier, amenés au port de Durban pour transport terrestre jusqu’au ministère de la Défense du Zimbabwe.

De façon tout à fait intéressante, ces armes sont parties de Pékin le 1er avril,  soit trois jours après les élections générales, au moment où très probablement les résultats réels des élections ont été connus par le pouvoir zimbabwéen.

Le régime chinois est, avec l’Afrique du Sud, l’Iran et le Venezuela, un  des plus importants soutiens de Robert Mugabe. Ces relations datent de l’époque où, fin des années 70, l’Union Soviétique avait choisi Joshua Nkomo plutôt que Mugabe dans la lutte pour l’indépendance. Celui-ci s’était alors tourné vers la Chine de Deng Xiaoping. Dans un article de juillet 2005, l’International Herald Tribune indiquait que le nouveau palais de 25 chambres de Mugabe est couvert de tuiles bleues rappelant la Cité Interdite de Pékin et offertes par le gouvernement chinois. L’armée de l’air du Zimbabwe utilise des avions chinois, la langue chinoise est promue par Mugabe dont la politique est «regarder à l’Est.»… Le régime chinois lorgne de son côté sur les mines de platine du pays, qui sont les deuxièmes plus importantes au monde, tout comme il vise le pétrole en Angola et le bronze en Zambie. La Chine, premier investisseur étranger au Zimbabwe, a également obtenu 1.000 km² de terres cultivables prises aux fermiers blancs.

Enfin, les deux régimes ont signé en 2005 un accord selon lequel les forces chinoises formeront leurs homologues zimbabwéens… à l’organisation des prisons. «L’organisation de leurs prisons est très avancée», expliquait alors le ministre de la Justice du Zimbabwe, Patrick Chinamasa, cité par le Herald : «Nous voulons bénéficier de cette expertise».

 

 

L’INFINITÉSIMALE PROBABILITÉ D’INTERVENTION INTERNATIONALE

La haute-cour de Durban a donc interdit le débarquement de la cargaison du An Yue Juang, sur la base de la législation interdisant de fournir des armes « aux gouvernements qui violent systématiquement les droits de l’homme et les libertés fondamentales ». Le bateau a repris la mer en direction du Mozambique.

Hellen Zille, chef du principal parti d’opposition d’Afrique du Sud, l’Alliance Démocratique, rappelle dans les colonnes du Guardian que le génocide au Rwanda a commencé avec les machettes importées de Chine et avertit que la cargaison pourrait permettre la réalisation d’un carnage. L’association Human Rights Watch dénonce déjà l’existence de camps de torture dans lesquels les partisans du ZANU passent à tabac les Zimbabwéens soupçonnés d’avoir voté pour Morgan Tsvangirai. Amnesty International a aussi fait état de multiples témoignages de représailles violentes, voire de meurtres.

Cependant, si l’inquiétude est générale, aucun pays ne semble prêt à émettre plus que des protestations. Le devoir d’ingérence humanitaire, qui justifierait peut-être déjà l’envoi d’une force internationale, se heurtera à la Chine au Conseil de Sécurité de l’ONU ; après les leçons du Kossovo, de l’Afghanistan et de l’Irak, la leçon est retenue de la difficulté d’assumer ses responsabilités à long terme vis-à-vis d’un pays dans lequel une force extérieure est physiquement intervenue.

MUGABE ET L’ARMÉE

Mugabe a placé ses fidèles dans la police et l’armée, lesquelles ont annoncé il y a déjà deux semaines qu’elles utiliseraient la force pour le maintenir au pouvoir. Les analystes ont d’abord pensé que le président zimbabwéen allait négocier sa sortie de scène et éviter – sa défaite électorale ne faisant guère de doute – l’humiliation d’un second tour. Les résultats des élections présidentielles n’étant toujours pas publiés, les mêmes analystes, et le corps diplomatique, commencent aujourd’hui à craindre des manipulations proches de celles récemment observées au Kenya, avec le même risque d’embrasement. Le recompte des bulletins dans 23 circonscriptions, annoncé le 18 avril, pourrait conduire à l’invalidation des résultats des élections législatives, pourtant déjà publiés. L’opposition, par la voix du MDC, alerte depuis plus d’une semaine sur la préparation d’un coup d’Etat militaire par les proches de Mugabe. Morgan Tsvangirai, qui n’a pas réussi à convaincre les pays d’Afrique Australe de le soutenir, en est donc réduit à devoir se cacher hors du Zimbabwe.

LA LONGUE ROUTE DE MORGAN TSVANGIRAI

Le chef de l’opposition, père de six enfants et contremaître d’une mine de nickel, est un syndicaliste qui a fait ses premières armes contre Robert Mugabe en 1997 en organisant des grèves très suivies contre les avantages accordés aux proches du régime, dits « anciens de la guerre d’indépendance » et financées par des hausses d’impôts.

C’est en 1999 qu’il a fondé le MDC (Mouvement pour le Changement Démocratique), lequel a rapidement réuni la grande majorité des opposants à Mugabe –  qui sont également ses victimes : fermiers blancs, ethnie ndébélé (durement touchée par la guerre civile entre 1980 et 1988 et restée paria  au Zimbabwé), syndicalistes…

En 2000, Tsvangirai a infligé sa première défaite à Mugabe en obtenant le rejet par référendum du projet de révision de la Constitution voulu par le camp présidentiel. Cette révision devait légaliser l’expropriation sans indemnisation des fermiers blancs encore présents depuis la décolonisation. Ceux-ci avaient fait du Zimbabwe le «grenier à blé» de l’Afrique et une des rares régions du continent à être en excédent alimentaire ; leur départ progressif était cependant prévu depuis la déclaration d’indépendance et ne s’était pas réalisé par inertie de la Grande-Bretagne.

Malgré cette défaite, tous les fermiers blancs furent violemment expulsés et leurs biens, pillés, «redistribués» aux proches du régime – des personnes sans aucune expérience de l’agriculture qui ont laissé les terres en friche,  provoquant une pénurie alimentaire massive et l’exode de plus de trois millions de personnes vers les pays voisins.

Lors des élections présidentielles de 2002, Mugabe a été réélu avec – officiellement – 57 % des suffrages, dans un scrutin truqué dont le résultat réel reste encore aujourd’hui inconnu.

Ce scrutin a montré la persistance du poids politique de Tsvangirai ; c’est à partir de ce moment que le MDC a été régulièrement accusé d’être le parti «des blancs et des colonialistes». Morgan Tsvangirai a, en 2003, été accusé d’avoir «conspiré» contre le chef de l’Etat et a risqué la peine de mort avant d’être acquitté en 2004. En 2007, lors de manifestations contre le pouvoir, il a également été copieusement tabassé par la police.

Même dans son propre camp, Tsvangirai a essuyé de nombreuses critiques pour avoir toujours choisi le  chemin des urnes plutôt que celui de l’insurrection.

QUELS LENDEMAINS POUR LE ZIMBABWE?

Le Zimbabwe de Mugabe est un pays exsangue, où les chômeurs représentent plus de 80 % de la population et où l’espérance de vie est passée ces dernières années de 50 à 37 ans. Les mesures soviétique et populistes du président, par exemple la proposition de nationaliser les mines de platine et de diamant, ont ruiné le pays mais l’ont assuré du soutien des campagnes.

L’inflation était en 2008 de 100.000%, malgré des richesses minières (nickel, platine, diamant) importantes et un gigantesque potentiel agricole. Le quart de la population zimbabwéenne dépend aujourd’hui de l’aide des programmes alimentaires mondiaux.

Les chances d’un après-Mugabe s’éloignent, et avec elles les espoirs de redressement de l’ex-Rhodésie du Sud. Dans son palais à tuiles bleues, le dictateur de 84 ans et ses avions de chasse chinois continuent leur chemin dans les ruines de ce qui fut un pays prospère.

 

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.