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CIA: Un scoop vieux de huit mois

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque-Paris
28.04.2008
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  • Négociations plombées? Le responsable de l’équipe de négociateurs du Département d’État américain, Sung Kim,(Staff: JUNG YEON-JE / 2008 AFP)

«Révélation» soigneusement minutée d’une coopération nucléaire Syrie-Corée du Nord

Le 24 avril, le directeur de la CIA, Michael Hayden, a révélé au Congrès américain et à des journalistes triés sur le volet que la Syrie avait tenté de construire un réacteur nucléaire ayant pour but de produire du plutonium à usage militaire et avait reçu pour cela l’appui de la Corée du Nord.

Quels objectifs sert, à ce moment précis, cette divulgation publique et officielle de ce qui était su par presque tout le monde depuis qu’un raid de l’aviation israélienne avait, le 7 septembre 2007, rasé des installations en plein désert, dans l’est de la Syrie? Logique stratégique unifiée dans l’administration Bush ou dernier «coup» de Dick Cheney et autres faucons?

L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) va enquêter sur les révélations américaines. Elle a critiqué les États-Unis pour avoir pris autant de temps à rendre publiques ses informations présumées sur la Syrie et elle a condamné le raid israélien qui a miné son travail de non-prolifération nucléaire.

Quant à la Corée du Nord, le Département d’État américain a déclaré, le 22 avril dernier, qu’elle resterait «très probablement» sur la liste des États-voyous avec Cuba, l’Iran, la Syrie et le Soudan, alors même que les négociateurs américains étaient à Pyongyang pour obtenir du régime communiste nord-coréen des données quantifiées et vérifiables sur leur stock de plutonium. La veille, Damas indiquait par ses agences de presse que les négociations avec Israël sur le plateau du Golan (annexé par Israël en 1981) pourraient déboucher sur une offre de paix durable.

Une pression sur Pyongyang…

Photos satellites et prises de vue au sol dévoilées par la CIA montrent une similitude étonnante entre la centrale syrienne et celle de Yongbyon, le fer de lance de production de plutonium en Corée du Nord dont le démantèlement fait partie des obligations de Pyongyang suite à l’accord de dénucléarisation de février 2007.

Le régime nord-coréen a en effet accepté en février 2007, après son premier essai atomique à l’automne 2006, d’arrêter son programme nucléaire, résultat de négociations à six incluant les deux Corées, le Japon, la Chine, la Russie et les États-Unis. Pyongyang obtient, selon cet accord, la livraison de 50 000 tonnes de pétrole brut contre la fermeture de Yongbyon, réalisée en juillet 2007, puis 950 000 tonnes supplémentaires en échange du démantèlement de ses installations nucléaires. La trame suit celle de l’accord-cadre de 1994 qui avait fait suite, sous l’administration Clinton, au retrait des armes nucléaires américaines stationnées en Corée du Sud. Cet accord-cadre avait finalement échoué, car les deux parties – comme elles le font à nouveau aujourd’hui – s’accusaient mutuellement de ne pas respecter leur part du marché.

Aujourd’hui encore, des zones d’ombre demeurent sur la quantité de plutonium dont dispose Pyongyang (qui pourrait représenter une à quelques bombes atomiques) et sur l’arrêt réel de son programme d’enrichissement d’uranium. Les services de renseignement américains sont de leur côté convaincus que la Corée du Nord n’abandonne le plutonium que pour mieux se consacrer à l’uranium.

En effet, dès 1997, le Pakistan a transmis à Pyongyang son savoir-faire sur l’enrichissement de l’uranium. C’est Abdul Qadeer Khan lui-même, le père de la bombe atomique pakistanaise, qui a reconnu en 2004 avoir transmis cette technologie dont il avoue avoir fait également bénéficier la Libye et l’Iran. En échange, le Pakistan aurait profité de l’expertise coréenne en matière de conception de missiles, ce que le président pakistanais Pervez Musharaf a partiellement reconnu en 2005.

La Corée du Nord aurait dû soumettre, avant le 31 décembre 2007, un «inventaire nucléaire» listant tous ses programmes et matériels, ce qu’elle n’a pas fait, arguant qu’elle n’avait pas reçu toute l’aide économique promise. Elle aurait alors pu quitter la liste des ƒtats-voyous et les sanctions associŽes, ce que George W. Bush Žtait prt ˆ discuter devant le Congrs amŽricain et ˆ tenter d’imposer au Japon. Le démantèlement de la centrale de Yongbyon aurait ensuite ouvert la voie à l’aide économique occidentale.

Les choses semblent donc au point mort depuis décembre. Le Japon demande avec insistance ce que sont devenus les Japonais et les Japonaises kidnappés par la Corée du Nord dans les années 1970 et 1980.

Cependant, le 25 avril, Christopher Hill, négociateur en chef des États-Unis, pensait pouvoir affirmer que son équipe, menée par Sung Kim, directeur des Affaires coréennes au Département d’État américain, avait eu trois jours de discussions intenses et «productives» à Pyongyang.

…et une pression sur Damas

Autre hasard du calendrier, le premier étant que les divulgations de la CIA ont eu lieu en pleine séance de négociation à Pyongyang : c’est le jour même de la déclaration de la CIA que le président syrien, Bachar Al Assad, a confirmé les informations de ses agences de presse et annoncé unilatéralement que le premier ministre israélien, Ehud Olmert, serait prêt à donner l’ordre de retrait des troupes israéliennes du plateau du Golan en échange de la paix avec la Syrie.

Enthousiasme face à l’avancée du processus, ou tentative de contre-feu médiatique?

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Le Jerusalem Post ne manque pas de rappeler que, dès 1993, Yitzhak Rabin avait fait cette même proposition à la Syrie, suivi par Benjamin Netanyahu et Ehud Barak, ses successeurs, et s’inquiète de la réalité des intentions d’Al-Assad. En particulier, la visibilité donnée aux négociations en cours par le dirigeant syrien cache, d’après le journal, d’autres intentions : «La Syrie veut les trompettes du processus de paix plus que la paix elle-même et espère que le processus aidera en soi à la faire rentrer dans les bonnes grâces de l’Occident. Elle veut gagner du crédit grâce au processus, même si rien n’en sort. Israël, de son côté, ne s’intéresse pas à aider la Syrie à obtenir la faveur de l’Amérique, ou de l’Occident.»

L’avancée de négociations israélo-syriennes, non démentie par le gouvernement d’Ehud Olmert, est malgré tout un changement de poids régionalement : jusqu’à l’année dernière, Olmert suivait de façon stricte la stratégie américaine d’isolement de la Syrie et conditionnait les négociations à, entre autres, une fin du soutien de Damas aux groupes terroristes Hezbollah et Hamas. Cette tentative d’assouplissement des relations pourrait donc traduire le fait que les élections présidentielles américaines de novembre approchant, le gouvernement israélien considère déjà avoir la latitude éventuellement de déplaire à une administration Bush finissante.

Les derniers jours des faucons

Cette dernière administration cherche-t-elle donc à pousser les dossiers syrien et nord-coréen dans l’impasse en prévision de l’arrivée potentielle d’une administration démocrate aux États-Unis en janvier prochain? Les preuves présentées, si elles sont plus solides que celles avec lesquelles le général Colin Powell avait tenté de légitimer l’intervention américaine en Irak, semblent devoir servir de justification à quelque chose… une rupture des négociations?

Les faucons de l’administration Bush laisseraient ainsi leur empreinte stratégique – celle qu’ils croient la plus propre au maintien d’une stabilité mondiale et à une dominance américaine – en ayant crispé tous les négociateurs au point qu’aucune solution de compromis ne puisse se dégager, ni en Corée du Nord ni en Syrie.

Chaque camp a ses hardliners, les partisans de positions dures. Pour George W. Bush, ils s’appellent Dick Cheney, John Bolton, Donald Rumsfeld. Ceux-ci sont toujours capables de coups de force, ce qui pourrait avoir été le cas avec le «scoop» de la centrale syrienne. Le 22 avril, par exemple, le journal sud-coréen Chosun Ilbo obtenait de ses sources dans le gouvernement sud-coréen des informations selon lesquelles les négociateurs américains et sud-coréens à Pyongyang voulaient permettre à la Corée du Nord de ne reconnaître «qu’indirectement» leur participation à la conception de la centrale syrienne, position à l’opposé du barouf créé par la CIA la semaine dernière.

Quel futur maintenant pour les négociations à six et l’attitude envers la Syrie et la Corée du Nord? Si ces deux pays considèrent les déclarations de la CIA comme la manipulation d’une vieille garde américaine de toute façon sur le départ, la diffusion des vidéos de la centrale syriano-coréenne pourrait ne pas être trop délétère, voire servir de levier aux négociations.

Côté syrien, resterait alors à voir quelle distance Damas peut et veut concrètement prendre vis-à-vis de Téhéran, un allié stratégique indispensable à la Syrie, en échange d’un retour dans les bonnes grâces de l’Ouest. Côté coréen, resterait à voir comment Pyongyang peut accepter le style musclé du nouveau président sud-coréen, Lee Myung-Bak. L’aide alimentaire annuellement envoyée par le Sud vers le Nord est aujourd’hui bloquée par l’administration Lee du fait de l’absence de progrès de dénucléarisation, et Pyongyang a rejeté l’idée d’un «bureau de liaison» entre Nord et Sud proposée par Séoul.

Le Programme alimentaire mondial, alors que toute l’Asie est frappée d’une crise de production de riz, craint qu’une nouvelle famine dramatique commence dans une Corée du Nord isolée du reste du monde. Le régime communiste nord-coréen, qui a toujours mieux su faire pousser les missiles que les céréales, a cependant tenu à rassurer son voisin communiste chinois : Pyongyang fera un «accueil triomphal» à la flamme olympique.

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.