Investiture démocrate: la lutte fratricide appelée à se poursuivre

Écrit par Noé Chartier, La Grande Époque - Montréal
28.04.2008
  • Les candidats démocrates à la présidentielle américaine, Hillary Clinton et Barack Obama,(Staff: EMMANUEL DUNAND / 2008 AFP)

John McCain, sénateur républicain de l’Arizona et candidat de son parti à l’élection présidentielle américaine de novembre prochain, prend du bon temps. Il n’est pas trop perturbé, pas trop importuné : il relaxe et observe le spectacle. Un spectacle sur lequel beaucoup de démocrates aimeraient voir tomber le rideau. Un spectacle qui se poursuit depuis plusieurs mois et qui trouve toujours un second souffle lorsque l’increvable ex-première dame et sénatrice de l’État de New York, Hillary Clinton, trouve les moyens de remporter la primaire décisive. Mais plus elle s’accroche, plus ils, le sénateur de l’Illinois Barack Obama et elle-même, s’épuisent et perdent des plumes.

La victoire de Hillary Clinton en Pennsylvanie la semaine dernière a maintenu en vie l’espoir présidentiel de celle que certains ont commencé à appeler le «lapin Energizer». Puis la défaite d’Obama a soulevé certaines questions quant à sa capacité d’aller chercher le vote du travailleur moyen blanc qui l’aurait boudé autant en Pennsylvanie qu’en Ohio. Malgré cette fragmentation de l’électorat, les stratèges d’Obama n’annoncent aucun changement majeur dans le plan de match qui a porté leur candidat jusqu’ici.

Avec le prolongement de la lutte chez les démocrates, on commence à noter certains signes d’épuisement. Outre les cheveux gris d’Obama qui seraient plus nombreux qu’en début de campagne, on le sent moins pétillant et frais qu’auparavant. On a noté dernièrement un manque de tact lorsqu’il a tenu des propos jugés condescendants envers les habitants des petites villes et des campagnes. Il les a qualifiés d’«amers», se rabattant sur les «armes à feu et la religion».

Autant John McCain que Hillary Clinton ont sauté sur ce dérapage pour taxer Obama d’élitiste. Ce dernier s’est défendu en rappelant qu’il est d’origine beaucoup plus modeste qu’eux, ayant été élevé par une mère monoparentale. Mais il est vrai que le style d’Obama, ancré dans la rhétorique imagée plutôt que dans l’apport de solutions politiques et économiques concrètes, a jusqu’à maintenant résonné avec plus de force chez les universitaires que chez les travailleurs.

Au début de la lutte Clinton-Obama, on sentait un enthousiasme certain devant cette première historique, soit la possibilité que la présidence soit remportée par une femme ou un homme de couleur. Mais il semble que l’accent mis sur cette distinction ait justement transformé le débat en une question de race et de genre. On remarque effectivement qu’entre les deux candidats, il y a peu de différences notables sur le plan politique, et elles ont été révélées lors de certains débats où les deux candidats se félicitaient mutuellement plutôt que d’opposer leurs points de vue.

Mais tandis qu’on joue la carte raciale du côté des Clinton, faisant remarquer qu’Obama est incapable de recueillir un vaste appui chez l’électorat blanc, des tensions émergent normalement du côté afro-américain qui ne peut accepter de voir son importance reléguée à un second plan. Sur ce point, l’Afro-Américain le plus haut placé du Congrès américain, le démocrate James E. Clyburn, a sonné l’alarme. Selon lui, si Clinton maintient sa ligne d’attaque sur Obama, essayant de le tailler en pièces, le dommage sera «irréparable». En effet, si les super délégués choisissent Clinton alors que le public a choisi Obama, l’électorat noir sera complètement désillusionné et perdra tout intérêt dans la campagne présidentielle. Ceci propulserait très probablement McCain à la présidence.

Mauvaise stratégie

Beaucoup d’électeurs démocrates ont, tôt dans la campagne, été déçus par le style agressif de Hillary Clinton. Des basses tactiques et des attaques sournoises personnelles contre Obama ont finalement joué en sa faveur, lui qui se présente comme quelqu’un voulant se détourner de ces pratiques.

L’approche forte de Hillary Clinton a été qualifiée de «dégueulasse» par le très influent réalisateur Michael Moore qui a donné son appui à Obama. Et selon la chroniqueuse du Globe and Mail Judith Timson, certaines femmes commenceraient à trouver que Clinton en met un peu trop. Timson estime qu’Obama aurait besoin d’une injection de testostérone pour rivaliser avec la fougue de Hillary Clinton. «À quel point est-elle macho?», demande Timson. «À côté d’elle, George W. Bush a l’air d’une mauviette, John McCain a l’air d’être un cœur tendre et son adversaire principal, Barack Obama, ressemble à un chien battu.»

Pour attaquer Obama

On l’a remarqué, Obama ne paraît plus si invincible qu’en début de campagne. Outre ses discours jugés sans substance par ses détracteurs, l’homme a plusieurs squelettes dans le placard. La controverse autour de son pasteur de Chicago, Jeremiah Wright, est toujours vivante et peut revenir le hanter à tout moment. Wright prêche une sorte de théologie de la libération afro-américaine et est accusé d’avoir tenu des propos anti-Blancs. Cela représente surtout une faille de choix que les républicains pourront exploiter advenant un duel avec McCain.

Mais il y a autre chose. Selon le site Internet Politico, la raison pour laquelle Clinton n’abandonne pas la course, c’est qu’elle craint qu’Obama ne détruise le Parti démocrate. Les positions ultralibérales d’Obama sont connues de tous, mais ses liens de jeunesse avec des radicaux et des communistes sont perçus dangereusement et n’ont pas été largement rapportés dans les médias. Certains craignent peut-être qu’Obama n’ait certaines intentions cachées par rapport à l’Amérique... Le site Accuracy in Media rapporte également que le mentor d’Obama dans sa jeunesse était Frank Marshall Davis, soit un important militant communiste américain.

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Que tout cela soit exact ou pertinent a peu d’importance. Advenant une lutte McCain-Obama, les républicains seront sans pitié et exploiteront le passé mystérieux de leur adversaire.

Aux yeux des conservateurs, Obama est un menteur en raison du NAFTA-Gate, un scandale impliquant le gouvernement canadien. Puis son message d’espoir est qualifié d’essentiellement sans substance. Quant à Clinton, ça fait des dizaines d’années qu’ils ont appris à la détester, elle, ainsi que son mari.

Mais pour l’instant, ils peuvent apprécier leur déchirement, apprendre à connaître leurs points faibles et préparer tout un bagage de faits pour les démonter.

Après huit ans avec George W. Bush à la présidence, on aurait cru à une victoire haut la main de n’importe quel candidat démocrate. Maintenant, ce n’est plus sûr. Puis, John McCain n’est pas un républicain «normal», du moins sur des questions comme l’immigration, la torture et l’environnement. Il n’est donc pas très chéri des ultraconservateurs. Mais sa position sur la guerre en Irak est sans équivoque : il ne veut pas d’un retrait humiliant «à la Vietnam», lui-même vétéran de cette guerre; et se désengager mettrait en péril la sécurité de la région, tout en laissant l’Iran tirer avantage du vide.

Au centre et à gauche, on apprécie Obama pour sa position toujours ferme contre la guerre, un point qu’il ramène sans cesse. Mais sa politique étrangère, qu’il n’explicite pas tellement souvent, serait de retirer les troupes américaines d’Irak pour les envoyer sur d’autres fronts comme en Afghanistan. C’est-à-dire qu’aucun candidat ne semble en mesure de se désengager de l’actuelle «guerre à la terreur». Et quel président pourra se défaire de l’influence des lobbyistes, des multinationales, des courants religieux et des pétrolières?

L’Amérique devait changer en novembre prochain. Voyons si ceux qui rêvaient d’espoir verront leur rêve s’exaucer.

En attendant, Clinton et Obama seront à nouveau sur le ring pour l’importante primaire de l’Indiana, le 6 mai prochain.