Seul espoir pour la Chine et le Tibet: «Que la Chine communiste s’effondre enfin.»

Écrit par Isabelle Chaigneau, La Grande Époque
07.04.2008

  • Gilles Van Grasdorff(攝影: / 大紀元)

 

Journaliste, grand spécialiste du Tibet, auteur de La nouvelle histoire du Tibet , et Le dalaï-lama, la biographie non autorisée*, Gilles Van Grasdorff a écrit une quinzaine de livres sur le Tibet et la Chine. En acceptant de répondre à nos questions, il accuse les autorités de Pékin et lance un grand cri d’alarme.

 

Le dalaï-lama ne demande ni l’indépendance ni la violence. Certains Tibétains, poussés à bout par le régime de Pékin, se révoltent. Quelles en seront les conséquences?

C’était inévitable. La politique de répression menée par les communistes chinois au Tibet n’a jamais cessé depuis 1950. Les dirigeants pékinois n’ont guère mis de temps pour entreprendre un pillage massif de cette proie emplie de richesses naturelles (uranium, lithium, pétrole, or, fer...). La mainmise sur le Tibet s’est faite en trois étapes. Entre 1950 et 1951, c’est la période de libération, qui a été conclue par la signature de l’Accord en dix-sept points imposée au dalaï-lama. De 1952 à 1954 survient la période de stabilisation.

 

Enfin, la consolidation, de 1955 et 1956, aboutit à la création du CPRAT (Comité Préparatoire de la Région Autonome du Tibet). La messe est dite… Le Tibet occupé, la répression se termine dans un bain de sang en 1987 et 1989. Celle-ci était alors dirigée par Hu Jintao, l’actuel président chinois. Près de soixante ans se sont écoulés depuis l’invasion chinoise et les nouvelles générations de Tibétains ne savent plus vers qui se tourner. La politique de non-violence prônée par le dalaï-lama est un échec. Permettez-moi de rappeler que Tenzin Gyatso est le chef temporel du Tibet depuis le XVIIe siècle, mais que son gouvernement en exil n’a jamais été reconnu par la communauté internationale, ce qui rend sa tâche très compliquée. Le dalaï-lama a changé ses premières revendications, réclamant à Pékin une autonomie pour son pays et non l’indépendance. En vain. Une partie de la population tibétaine conteste sa politique. Désespérée, elle est prête à se soulever. Les soulèvements auxquels nous assistons aujourd’hui ne sont que les prémices d’une révolte plus intensive, qui se terminera dans un bain de sang.

 

Le Parti Communiste chinois procède à une sinisation violente du Tibet. Quelles sont les politiques que le régime de Pékin a employées pour siniser la vie des Tibétains?

Une vaste question. La sinisation commence dès 1951 : transferts de population dans l’Amdo et le Kham (l’actuel Qinghai), qui sont étendus ensuite sur tout le pays (sept fois la France) ; stérilisation des jeunes filles ; avortements forcés jusqu’à huit mois et demi de grossesse. Sans oublier que les Tibétains deviennent les cobayes des médecins chinois. En 1953, Mao donne ordre de vider des villages entiers des enfants tibétains de 5 à 7 ans ; puis des enfants de 3 à 5 ans ; enfin des nourrissons sont retirés à leurs parents.

 

Plusieurs milliers d’entre eux deviendront, en 1966, les jeunes gardes rouges tibétains lancés sur le Toit du monde, pillant, torturant durant d’atroces séances de thamzing (séances de critiques publiques encore appliquées de nos jours), puis massacrant leurs propres familles. En 1959, une commission de 59 juristes, nommée par les Nations unies, constate les atrocités des communistes chinois sur le Toit du monde et conclut son dossier par ce constat : le Tibet subit un génocide. En 1962, le dixième panchen-lama dénonce ces exactions devant le Congrès dans un document intitulé Les 70.000 caractères. Il sera arrêté et condamné à 15 ans de laogai (« réformer l’esprit par le travail »). Sur les six millions de Tibétains, il n’en reste que deux, la plupart ayant disparu dans ces fameux laogais, des camps de travaux forcés qui se remplissent quand l’économie chinoise est florissante : aujourd’hui encore 8 à 12 millions de prisonniers y sont enfermés, dont des Tibétains, des Mongols, des Ouïgours, mais aussi des opposants au régime et des membres du Falun Gong, lourdement réprimé lui aussi.

 

Les jeunes Tibétains n’ont d’autre choix que d’apprendre le mandarin à l’école. Que reste-t-il de la culture tibétaine?

Outre que la langue tibétaine est appelée à disparaître du Tibet, les communistes chinois agissent très subtilement. Pékin sait que Lhassa, le Potala, le Kaïlash, le Pays des neiges et ses mythes sont un atout touristique important. Ils ont restauré le Potala en vue de préparer la succession du dalaï-lama. Mais ils ont agi de manière insidieuse. Un exemple, l’opéra tibétain, préservé en exil par le TIPA (Tibetan Institute of Performing Arts) n’est plus d’origine, car y ont été glissées des sonorités typiquement chinoises. Ainsi la culture tibétaine est déjà largement sinisée. Hormis les gens de l’exil, la culture tibétaine originelle est pillée et est appelée à disparaître.

 

Gilles Van Grasdorff

Le 30 octobre 1993, c’est sa rencontre avec le dalaï-lama, de passage en France à Grenoble qui va déclencher la passion de Gilles Van Grasdorff pour le Tibet. Entretien de vingt minutes qui se transforme en une discussion d’une heure trente sur la maladie, la mort, l’accompagnement des mourants. En novembre, il adresse à Sa Sainteté une lettre demandant s’il existait des livres sur le Tibet – philosophie, politique, cultures –, écrits par le dalaï-lama. Et, en avril 1994, un fax tombe avec un mot signé par Tenzin Gyatso : «Puisque ce livre n’existe pas, venez l’écrire avec moi!». A partir de ce moment-là, la vie de Gilles Van Grasdorff est chamboulée, il devient le biographe de Jetsun Pema – Tibet, mon histoire – et celui du médecin du dalaï-lama pour Le palais des arcs-en-ciel traduit en 13 langues. C’est en pensant à Tendzin Tcheudrak, qui, après 21 ans de laogaï, lui dit : «Pardonner c’est commencer à exister», que Gilles Van Grasdorff a accepté cet entretien. 

 

Le bouddhisme fait partie intégrante de la vie tibétaine. Comment un Tibétain d’aujourd’hui vit-il sa religion?

Le bouddhisme est apparu au Tibet au VIIe siècle, sous l’époque du roi Songtsen Gampo. A l’époque, le Tibet dominait toute l’Asie orientale et l’empereur Taizong, de la dynastie Tang (618-907) avait été contraint d’offrir en mariage sa fille adoptive Wen Cheng. Raison d’Etat, car les Tibétains avaient porté la guerre à l’intérieur des provinces chinoises du Sichuan et du Kansu. Or, cette princesse est bouddhiste, tout comme l’est aussi une autre femme du roi du Tibet, la princesse népalaise Brikhuti, fille du roi Amshuvarman. Le roi se convertit et devient le premier roi bouddhiste du Tibet.

 

Plus de 1.500 ans plus tard, le bouddhisme continue à imprégner très fortement le quotidien des Tibétains. Si en exil, celui-ci s’occidentalise (peut-être à tort), dans le Tibet occupé, le boud-dhisme vit sous contrôle. Autrefois, sur le Toit du monde comme dans les autres pays d’Asie, les lamaseries ou les bonzeries étaient des lieux de culture : on y apprenait la langue, l’écriture, on y étudiait les textes sacrés. C’est encore le cas aujourd’hui au Tibet, mais pour devenir moine il faut être membre du Parti communiste chinois. Ainsi, les Tibétains vivent leur religion sous contrôle. Pékin a compris qu’il fallait également infiltrer le bouddhisme tibétain. C’est ainsi qu’ils interviennent de plus en plus dans la désignation des réincarnations des grands maîtres : cela a été le cas avec le panchen-lama ; ce le sera aussi au moment de la succession du dalaï-lama…

 

 

Pékin annonce que la ligne ferroviaire Qinghai-Tibet doit servir au développement économique de la région, mais les Tibétains y voient un moyen de colonisation tous azimuts qui les aliénera encore. Qu’en pensez-vous?

Quel mensonge ! On pourrait effectivement applaudir à la modernisation d’un pays, s’il n’y avait pas les dessous de l’affaire. Cette ligne relie donc Pékin à Lhassa en quarante-huit heures : wagons pressurisés (comme les cabines des jets), saunas, restaurants de luxe, stations d’oxygénation… Coût de l’opération : 3,5 milliards d’euros. Des tunnels sont percés dans les rocs himalayens, des viaducs sont construits, contournant prudemment certains lacs sacrés pour éviter que la population ne se soulève. Comble d’ironie, ce train longe la route historique, celle de la « libération » du Tibet. Tout un symbole qu’il faut expliquer : en septembre-octobre 1949, à Dartsédo (autrefois Tatsienlou, capitale des Marches tibétaines), les premières troupes d’occupation (APL) s’installent par-delà la frontière sino-tibétaine. Les autorités civiles les accompagnent, promettant aux populations locales le bonheur, le progrès économique et social. Le tout, disent-elles, dans le respect des traditions ancestrales du Tibet. Rassurés, argent à l’appui, les Tibétains construisent la route qui doit mener les communistes à Lhassa. Mais bientôt, tracteurs et engins de génie civil laissent la place aux blindés et à l’artillerie. Taillant dans le roc les routes de la mort, les prisonniers des laogais ouvrent, en 1950, la route reliant Chengdu au Sichuan et à Lhassa (2.143 km).

 

Entre 1952 et 1954, une autre partira de Xiling, dans l’Amdo (Qinghai), vers Lhassa (près de 2.000 kilomètres) ; la troisième, entre 1956 et 1957 relie Lhassa au Xinjiang. Or, pour combler la curiosité des touristes empruntant le train du Toit du monde, il longera sur quelques kilomètres la route de la mort, la route historique pour les communistes de la « libération » du Tibet. Ce n’est pas tout. Pékin dit avoir payé grassement les ouvriers employés sur ces chantiers (200 à 300 euros par mois). Invérifiable, mais, plus que les chiffres, il faut dénoncer l’utilisation des prisonniers des laogais – hommes, femmes et enfants –, nombreux dans la région, pour construire ce modèle de technicité chinoise, au service d’un génocide. 

 

 

Les spécialistes disent qu’aujourd’hui à Lhassa il y a plus de Chinois (Han) d’implantation récente que de Tibétains. Quel espoir pour le Tibet?

Avec l’arrivée au pouvoir de Hu Jintao, la sinisation du Tibet s’est accélérée. Les Tibétains sont largement minoritaires chez eux. Et ce phénomène va s’accentuer encore avec le train qui relie désormais Pékin à Lhassa (plus d’un million de colons transportés en une seule année). La Chine communiste a beaucoup changé, l’argent coule à flots et le pouvoir central est prêt à tout pour permettre le véritable décollage économique du pays et l’enrichissement d’une fraction privilégiée de la population chinoise. Il n’y a donc guère d’espoir pour le Tibet. Et ceci explique en partie les soulèvements d’aujourd’hui.

 

 

Le Parti communiste chinois réprime autant les Tibétains que les Chinois. Est-il souhaitable que les deux peuples s’unifient?

La Chine et le Tibet sont deux grandes nations. Respectables et détentrices d’une civilisation ancestrale. Ce ne sont pas les Chinois qu’il faut combattre, mais le PCC et les gens du pouvoir. Le président Hu Jintao est un criminel. Et comme tous les gens de son espèce, il aurait dû répondre depuis 1987 et 1989 au Tibet de crimes contre l’humanité. Ce sont deux peuples qui ont une longue histoire commune, partagés entre conflits et moments rares de paix. Pour la liberté, il faut parfois savoir dépasser les haines et les rivalités d’antan. Je n’appelle pas au soulèvement des Tibétains et des Chinois. Ils n’ont pas besoin de nous pour savoir ce qu’ils ont à faire. Le dalaï-lama n’a pas fomenté les soulèvements d’aujourd’hui, bien au contraire.

 

Depuis trop longtemps poussés dans la répression, il arrive que des hommes s’éveillent par instinct de survie. On ne peut pas les condamner. Seulement, il y a en face un homme et un système, Hu Jintao et ses sbires, qui réprimeront tout mouvement de révolte dans le sang. Il est urgent que le système communiste chinois s’effondre et il faut soutenir ceux et celles qui ont le courage de s’opposer au régime de Pékin.

 

 

Que conseilleriez-vous aux gouvernements étrangers?

Moins de lâcheté.

 

Peut-on entrevoir une solution au problème du Tibet?

Je crains que non, à moins que la Chine communiste ne s’effondre enfin.

 

 

*La nouvelle histoire du Tibet (éd. Perrin)

Le dalaï-lama, la biographie non autorisée (éd. Plon)