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L'isolement de la jeunesse cubaine

Écrit par Gabriel Aubry Gayón, La Grande Époque
09.04.2008
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  • Deux jeunes adolescents sont assis le long du Malecón à La Havane, Cuba.(Staff: ADALBERTO ROQUE / 2006 AFP)

Et le fléau de la prostitution

LA HAVANE, Cuba – Lucia et son fils Mario sont assis dans leur salon et regardent une émission culturelle à la télévision d'État dans leur modeste appartement de Vedado, un quartier huppé de La Havane. Ils ont de la grande visite : Arnold, un retraité américain passionné de musique cubaine qui les connaît depuis une quinzaine d'années. Ils dîneront d’un délicieux riz au poulet pour célébrer l'occasion.

Arnold a mis 20 pesos convertibles (l'équivalent de 20 $ CA) sur la table pour les aider à acheter les aliments nécessaires.

Par la suite, Mario accompagne Arnold vers le secteur touristique de La Havane, à quelques rues du centre-ville. Ensuite, discrètement, il s’en retourne chez lui, où il devra s'occuper de sa mère diabétique.

Derrière cette scène monotone se cache un des plus grands scandales sociaux de l'Amérique latine.

Quelques jours plus tard, après plusieurs échanges avec Mario, je me suis rendu compte qu'il ne s’en retournait pas parce que sa mère avait besoin de son aide. Il retournait parce qu'il avait peur de disparaître dans une prison cubaine, comme des milliers de ses compatriotes.

«Si la police me voit avec un étranger, ils vont croire que je suis un prostitué et ils me jetteront en prison», explique-t-il.

Mario, 39 ans, avec quelques signes de calvitie, n'est pourtant pas un prostitué ni un vendeur de faux cigares. Il est fonctionnaire et étudiant à l'Université de La Havane. Il est un citoyen honnête.

Ce phénomène se répète quotidiennement partout sur l'île. Avec la crise économique qui a suivi la chute de l'Union soviétique dans les années 1990, le gouvernement veut s'assurer que les jineteras et jineteros (termes utilisés pour désigner ceux et celles qui se prostituent pour survivre) ne dérangent pas les touristes qui, souvent, visitent Cuba pour trouver de jeunes Cubaines prêtes, pour quelques dollars, à avoir des relations sexuelles.

À La Havane, une Cubaine ou même un Cubain, qui se trouve avec des touristes, peut être retourné à son village par la police ou être incarcéré s'il a déjà eu des avertissements.

Avec des salaires moyens d'environ 30 $ par mois, il est pratiquement impossible pour les Cubains de survivre sans avoir d’autres sources de revenu. Plusieurs finissent donc par trouver des manigances pour extraire de l'argent à des touristes, incluant la contrebande de vêtements et de produits d'hygiène, la vente illégale de cigares et la prostitution.

À La Havane, les jineteras longent le Malecón, un boulevard où la mer et la ville convergent, à la recherche de clients ou de copains étrangers. Le jineterismo s'est tellement répandu sur l'île qu'il s'agit d'une sorte de protocole non verbal pour les relations entre Cubaines et étrangers.

Alors que cette situation s'est récemment marginalisée dans les endroits plus peuplés comme Varadero et La Havane, il s'agit d'un phénomène courant dans plusieurs villes où la pauvreté est plus présente.

«Même pour un Cubain, il est très difficile de trouver une Cubaine qui soit prête à coucher avec lui sans être payée», dévoile Alex, un joueur de soccer qui réside à Cardenas, une petite ville à quelques kilomètres de Varadero.

«C'est une question de survie», justifie Yarelis, une jeune étudiante noire qui, à dix-huit ans, se prostitue pour joindre les deux bouts. «Je dois nourrir ma famille», lance-t-elle.

La plupart des experts et des médias qui rapportent sur Cuba s'accordent pour dire que la stricte politique castriste a réduit les niveaux de prostitution depuis la fin des années 1990. Mais d'un même coup, elle a réussi à aliéner une génération entière de jeunes Cubains.

Dans les années 1990, Lucia et Mario avaient une casa particular (petit hôtel) où ils accueillaient des touristes pour environ 30 $ par nuit. Pour des questions de santé, Lucia a dû vendre la maison et s'acheter un appartement à Vedado. Elle et son fils ont conservé plusieurs amitiés avec leurs anciens clients, mais depuis qu'ils ne travaillent plus dans le tourisme, ils doivent exercer un certain niveau de précaution.

Mario ne peut plus déambuler dans la rue avec ses amis américains, argentins, mexicains, allemands et canadiens comme il le faisait auparavant. Il doit les accueillir dans son appartement et fermer les rideaux, puisque plusieurs militaires vivent dans les édifices alentour. S'il doit se rendre à la vieille Havane avec ses amis étrangers, il doit marcher à plusieurs mètres d'eux afin de ne pas avoir l'air suspect.

«Mon coeur s'arrête chaque fois qu'il prend une marche avec ses amis», s'exclame Lucia.

Contrairement aux autres pays de la région, Cuba n'encourage pas le réseautage par Internet avec le reste de la planète. Ce service est accessible uniquement pour les étrangers qui étudient à Cuba et pour la classe moyenne composée d'entrepreneurs touristiques et de l'élite gouvernementale. Les Cubains ordinaires doivent se contenter d'utiliser le courriel traditionnel pour contacter leurs amis à l'étranger.

«Appelle-moi avant de frapper à ma porte», lance Mario à son ami américain avant de retourner chez lui, sa voix calme teintée d'inquiétude.

Souvent traitée par Castro comme une «arme impérialiste» commune dans l'ère prérévolutionnaire, la prostitution est devenue dans les années 1990 un phénomène incontrôlable à Cuba et est attribuable à la pauvreté extrême de ses résidants.

Le nouveau comandante, Raúl Castro, s'est engagé à lever des restrictions sur les téléphones cellulaires ainsi que sur d'autres biens électroniques et il permet maintenant l'accès aux hôtels aux citoyens cubains. Ces réformes, demandées haut et fort par le peuple cubain, ne sont que le début d'une série de changements dans le pays communiste. Mais il reste toujours une mer de réformes politiques et économiques à adopter pour que démarre un dialogue entre la population cubaine et celle du monde entier pour lui rendre enfin la dignité qu'elle mérite.

Des noms fictifs ont été utilisés afin de protéger l'identité des individus en question.

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