Paraguay : un évêque pour président

Écrit par LatinReporters.com
01.05.2008

  • Fernando Lugo(Staff: JUAN MABROMATA / 2008 AFP)

La victoire de l’ex-évêque Fernando Lugo à l’élection présidentielle du 20 avril au Paraguay était annoncée par tous les sondages. Parmi les 6,5 millions de Paraguayens, 2.861.940 électeurs étaient appelés à désigner dimanche 20 avril, pour un mandat de cinq ans, le président, le vice-président, les 45 sénateurs et 80 députés du Congrès, ainsi que 18 parlementaires du Mercosur, organisme régional regroupant le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay.

 

Avec la Bolivie voisine, le Paraguay est le seul pays d’Amérique du Sud sans façade maritime. La Constitution paraguayenne stipule que les ministres d’une quelconque religion ne peuvent pas briguer la présidence. Aussi Monseigneur Lugo renonçait-il en 2006 au sacerdoce pour se convertir à la politique. Le Tribunal supérieur de Justice électorale a entériné sa présence dans le groupe des sept candidats présidentiels. Mais le Vatican et la Conférence épiscopale du Paraguay rappellent, droit canon à l’appui, que la qualité d’évêque n’est pas jetable et doit s’assumer à vie. Pour l’Eglise, Fernando Lugo est donc toujours Mgr Lugo, même si Rome l’a frappé d’une suspension a divinis pour insubordination.

« ETRANGERS EXPERTS EN AGITATION SOCIALE »... HUGO CHAVEZ MONTRÉ DU DOIGT

En clôture de cette campagne, jeudi 17 au soir à Asuncion, la capitale, Fernando Lugo réunissait une marée humaine. « Ce pays va ressusciter comme peuple », lançait bibliquement à la foule l’ex-évêque. Il promettait de « ne pas voler un centime », contrairement aux « voleurs de la patrie, qui partiront dans trois jours ». Argument simple, mais de poids. Transparency International classe en effet le Paraguay parmi les quatre pays les plus corrompus des Amériques. Seuls l’Equateur, le Venezuela et Haïti le surpassent.

Dans une interview publiée jeudi dernier par le quotidien argentin Clarin, Fernando Lugo avertissait: « Voilà 14 mois que nous sommes en tête des sondages... La victoire d’un autre candidat ne serait pas un miracle, mais une fraude ». Avertissement d’autant plus inquiétant que, selon le président sortant Nicanor Duarte, les services de sécurité auraient décelé l’arrivée à Asuncion « d’étrangers experts en agitation sociale » venus d’Equateur, de Bolivie et du Venezuela, trois pays dominés par la gauche pro-chaviste.

Les adversaires de Fernando Lugo n’ont eu cesse de le présenter comme un pion de Chavez, un rouge, un communiste et même comme un allié de la guérilla marxiste des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie), qui séquestrent notamment Ingrid Betancourt. Les critiques les plus douces lient le favori de la présidentielle à la théologie de la libération.

Néanmoins, c’est autour d’une formation de centre droit, le Parti libéral radical authentique, second parti du pays et principal concurrent du Colorado, que Fernando Lugo a forgé son Alliance patriotique pour le changement (APC). Elle englobe aussi une vingtaine de mouvements sociaux du monde paysan, indigène et syndical. Ils relèvent, eux, en majorité de la gauche, y compris la plus radicale.

NATIONALISME ÉCONOMIQUE

Nationalisme économique et réforme agraire dominent le discours de l’ancien prélat. Dans les campagnes déstructurées par l’expansion du soja, l’or vert que contrôlent souvent des investisseurs brésiliens, les paysans voient en Fernando Lugo le messie ressuscité venu les sauver de la corruption, de l’injustice et de cette pauvreté qui frappe 35 % de la population. Un messie qui leur parle souvent en guarani, langue précolombienne officielle au même titre que l’espagnol et comprise par 90 % des Paraguayens, quasi tous métis. Le pays ne compterait plus que 85.000 autochtones authentiques, mais, dit-on, si les Paraguayens raisonnent en espagnol, ils aiment et haïssent en guarani.Interpellant les deux grands voisins et partenaires du Paraguay au sein du Mercosur, Fernando Lugo réclame – ce fut un thème majeur de sa campagne – la révision des traités sur les centrales hydroélectriques exploitées en bordure du fleuve Parana, à Yacyreta avec l’Argentine et à Itaipu avec le Brésil.

Le traité sur la puissante centrale d’Itaipu répartit en parts égales la production, mais il prévoit que chacun des deux partenaires cède à l’autre, au prix de revient, l’énergie électrique qu’il n’utilise pas. En conséquence, le Paraguay est devenu malgré lui, dans un sous-continent menacé de crise énergétique, le troisième exportateur mondial d’électricité, assurant à bas prix au géant brésilien 20 % de sa consommation.

Fernando Lugo veut que l’électricité cédée à son voisin soit facturée au prix du marché. La facture annuelle, 307 millions de dollars en 2007, bondirait alors à deux milliards de dollars. Le Brésil de Lula fait la sourde oreille. Il a déjà été échaudé par la hausse des prix du gaz livré par un autre nationaliste de gauche, le Bolivien Evo Morales.