Sri-Lanka: en finir avec les Tigres tamouls

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque - Paris
11.05.2008

  • Des soldats gouvernementaux montent la garde à Jaffna, au Nord du Sri-Lanka.(Stringer: LAKRUWAN WANNIARACHCHI / 2008 AFP)

Le début de l'année 2008 n’est pas, en Asie, seulement marqué par les pénuries alimentaires et les émeutes de la faim. La guerre a repris au Sri-Lanka, celle qui depuis 30 ans oppose forces gouvernementales cinghalaises à la fraction armée de la minorité tamoule.

Le chef de l’armée sri-lankaise, le général Sarath Fonseka, annonce vouloir en finir avec les Tigres tamouls avant la fin de l’année, avec comme conséquence des centaines de morts à déplorer pour le seul mois d’avril, et des barbaries sur des populations civiles en fuite.Depuis la fin de l’état de guerre au Népal il y a un an et demi, quand les maoïstes ont décidé de s’engager dans un processus politique, le Sri-Lanka est devenu la dernière zone de guerre civile de la région. Plus de 80.000 morts, dont une majorité de civils, voilà qui ravive le conflit de 1983.

Le gouvernement sri-lankais actuel n’est pas le premier à penser pouvoir vaincre les Tigres du LTTE (Liberation Tigers of Tamil Eelam, ou Tigres de la libération du Eelam tamoul), mais ces spécialistes de la guérilla – et des actions terroristes – opposent l’énergie du désespoir. Les Tigres, spécialistes des attentats-suicides pour lesquels ils envoyaient déjà, dans les années 80, des fillettes équipées d’une capsule de cyanure au cas où elles seraient arrêtées, reprennent ce moyen de lutte jamais totalement abandonné (l’UNICEF accuse ainsi le LTTE de se servir d’enfants orphelins depuis le tsunami de décembre 2004). Le dernier attentat en date a fait, fin avril, 23 morts dans un bus à Colombo.

Depuis que le président Mahinda Rajapaksa a décidé fin 2005 de mettre fin au fragile cessez-le-feu, les observateurs norvégiens encore censés servir de temporisateurs dans le conflit ont quitté le pays.

Le gouvernement semble convaincu de pouvoir vaincre le LTTE depuis que le colonel tamoul Karuna Amman et ses forces, à la tête de la guérilla à l’Est de Ceylan, ont rejoint le camp sri-lankais et qu’ils combattent – avec l’appui logistique de l’armée – leur ancien camp. Cette défection, il y a quatre ans, a permis à l’armée régulière sri-lankaise de reprendre le contrôle d’une bonne partie de l’Est du pays en 2007. Les Tigres sont maintenant concentrés au Nord, qui a toujours été leur terrain – celui duquel le « front de libération unie » avait demandé l’indépendance du Eelam Tamoul en 1977.

C’est là, au cœur de la population tamoule, que l’armée sri-lankaise fait le siège du LTTE depuis le mois de janvier. Les 26 et 27 avril, la plus sanglante bataille de l’année a eu lieu à Muhamalai, au sud de la capitale régionale de Jaffna. Les journalistes ayant été interdits d’entrée dans les hôpitaux, aucune estimation indépendante du nombre de morts n’est accessible. Les analystes sri-lankais, sur la base des annonces des deux camps qui chacun minimisent le nombre de leurs propres victimes et exagèrent celles du camp adverse, pensent pourtant que le total pourrait dépasser le millier de morts. «Je ne pense pas que le gouvernement réalise pleinement la ténacité et l’esprit de combat du LTTE», commente le général Gerry de Silva, commandant sri-lankais à la retraite cité par le journal britannique The Guardian : «Les Tigres ont prouvé qu’ils n’étaient pas des faibles».

Jonathan Steele du Guardian rapporte pour sa part l’assassinat d’un député tamoul, Thiagarajah Maheswaran, tué dans un temple hindou quelques heures après avoir annoncé qu’il donnerait au Parlement des informations sur les escadrons de la mort de l’armée sri-lankaise.

STABILISER L’EST, CONQUÉRIR LE NORD

L’Est du Sri-Lanka, libéré du LTTE en juillet 2007, doit élire son Conseil provincial le 10 mai, scrutin clé pour le gouvernement dans cette zone où les tamouls constituent 40 % de la population, contre 38 % de musulmans et 22 % de Cinghalais. C’est le vote qui doit déterminer si la zone militairement conquise rejoint le Sri-Lanka ou reste hors de contrôle.

«Un vote pour le gouvernement est un vote pour la paix», a indiqué le président Rajapaksa lors des célébrations du 1er mai à Dehiattakandiya, dans l’Est du pays, «un vote pour l’opposition serait un soutien à Prabhakaran [dirigeant du LTTE]. Nous avons besoin de votre soutien pour avancer dans le développement de la région». «Au Nord aussi les forces de sécurité avancent pas à pas. Les gens là-bas seront bientôt libérés eux aussi», insiste le président, cité par le journal The Hindu.

Face aux critiques de l’Europe, qui pourrait décider prochainement de ne pas poursuivre son partenariat économique privilégié avec le Sri-Lanka, et des États-Unis dont le Congrès a déjà cessé toute aide militaire, le président Rajapaksa se tourne vers d’autres partenaires : l’Iran, à qui le président Mahmoud Ahmadinejad a promis plus d’1 milliard d’euros d’aide en prêts à taux préférentiels lors de sa visite à Colombo la semaine dernière, et la Chine, à qui Rajapaksa a déjà rendu plusieurs visites.

LE LTTE TOUJOURS SOUTENU, ESPOIR DE DÉNOUEMENT PAR L’INDE?

Le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies estime que, depuis 2005, 135.000 personnes ont dû fuir les violences à l’Est et au Nord du pays. Arc-boutés sur Jaffna, au Nord, les LTTE, unique représentation encore existante des minorités tamoules, reçoivent un soutien massif par les diasporas. Le département d’État américain, largement repris le 2 mai par la presse officielle sri-lankaise, analyse le financement du LTTE et montre que celui-ci paie son matériel en imposant des « taxes » dans les régions qu’il contrôle et en réalisant des opérations d’extorsion dans les autres régions du Sri-Lanka. Le département d’État alerte également sur l’utilisation d’organisations charitables tamoules comme couverture à des financements militaires: «En novembre, le gouvernement américain a gelé les actifs de la Tamil Rehabilitation Organization, une association à but non-lucratif affilée au LTTE.Le LTTE a dans le passé utilisé de tels fonds pour des achats d’armes au marché noir. La marine sri-lankaise a coulé en septembre et octobre dernier trois navires approvisionnant le LTTE.»

L’espoir d’apaisement pourrait-il venir de l’Inde? Les Sri-lankais sont dans l’ensemble favorables à une intervention du grand voisin pour pacifier l’île, après l’échec de la mission norvégienne. Si seuls 48% des Cinghalais s’expriment pour une action de New Delhi, 62% des Tamouls et 70% des musulmans l’appellent de leurs vœux.  Les Tamouls doivent garder le souvenir des rations alimentaires parachutées en 1987 sur Jaffna, alors assiégée, par l’armée de l’air indienne, et des premiers mois de l’Indian Peace-Keeping Force (IPKF) qui a été proche d’obtenir un désarmement du LTTE.  Pour une telle intervention, la question va être de savoir si le gouvernement indien a, lui, pu oublier l’assassinat de l’ex-Premier ministre indien Rajiv Gandhi par une Tamoule du LTTE, en 1991.

 

Les origines du conflit

L’île de Ceylan, contrôlée au XVIe siècle par les Portugais, puis par les Hollandais est devenue colonie britannique en 1802.

Pour y développer pleinement les productions de thé et satisfaire à leur consommation, les Britanniques y firent venir une main-d’œuvre venue du Tamil Nadu, au Sud-Est de l’Inde. Ce sont les Tamouls indiens, qui se sont ajoutés aux Tamouls déjà présents dans le Nord de l’île suite aux diverses invasions de rois du Tamil Nadu.

Sur l’île bouddhiste, les Britanniques mettent en place une administration centrale et un système éducatif dirigé par l’église anglicane et très mal accepté par les Cinghalais, qui voyaient également l’importance du bouddhisme remise en cause. Les Tamouls par contre, hindouistes, s’adaptèrent et prirent des postes importants dans l’administration britannique. Le socio-linguiste Jacques Leclerc, de l’université de Laval à Québec, rappelle ainsi: «alors qu’ils constituaient 10% de la population, les Tamouls accaparaient plus de 30 % des postes universitaires ; dans les principales facultés, ils comptaient même autant d’étudiants que les Cinghalais.»

L’animosité des Cinghalais envers les tamouls commence à cette époque. Lors de la décolonisation en 1947, les Tamouls tentent sans succès d’obtenir une équi-représentativité de leur ethnie au Parlement. Les Cinghalais, majoritaires, modifièrent les lois de citoyenneté pour diminuer encore la représentativité tamoule, et nationalisèrent les écoles tamoules en 1961.

À la fin des années 70, le Front uni de libération des Tamouls demande la création d’un état indépendant couvrant le Nord et l’Est du pays, l’Eelam Tamoul. Les Cinghalais, pour désamorcer la crise,  re-introduisirent le tamoul comme seconde langue officielle du pays. Sans succès : en 1983, le LTTE – groupe séparatiste et terroriste –est créé. Il élimine un à un les dirigeants tamouls pour devenir seuls « représentants » du peuple tamoul. Dès les débuts de leur lutte, ils ont recours à des attentats suicide, y compris en utilisant des enfants-soldats.

En 1987, après la fin des offensives cinghalaises sur la ville de Jaffna, au nord du pays, une brève ouverture vers la paix – plus large autonomie pour les Tamouls, reconnaissance du tamoul comme langue administrative à l’Est et au Nord du pays – se fait, jusqu’à l’assassinat du président Premadasa en 1993, attribué à un Tamoul.

Une seconde période d’apaisement est observée sous la présidence de madame Kumaratunga, mais se termine suite à l’assassinat du ministre des Affaires étrangères sri-lankais, attribué à un membre du LTTE.  Élu quelques mois après, le président Rajapaksa a depuis suivi une ligne nationaliste dure.

Selon les statistiques officielles du gouvernement sri-lankais citées par Jacques Leclerc, «quelque 20.000 rebelles tamouls auraient été tués en 15 ans de conflit (depuis 1985) entre la guérilla des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE) et les troupes gouvernementales; pour leur part, les rebelles ont fait état de 16.000 morts. Depuis 1995, plus d’un demi-million de Tamouls de Jaffna (ville du Nord) sont sur les routes de l’exode : habitations détruites à 80 % dans la ville même de Jaffna, pénurie de vivres, d’électricité et de médicaments, massacres, viols, enlèvements, torture, destructions, etc. Certains parlent de «génocide» et d’«épuration ethnique» menés par les forces cinghalaises à l’encontre du peuple tamoul. La région demeure complètement fermée au reste du monde.

La population sri-lankaise est aujourd’hui à 70 % cinghalaise, 20 % tamoule et 10 % musulmane (maures et malais).