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Symptôme local des tensions entre Russie et Occident

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque-Paris
14.05.2008
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  • Le nouveau président russe, Dimitry Medvedev (à droite)(Staff: YURI KADOBNOV / 2008 AFP)

Géorgie

Dans le conflit qui oppose le gouvernement pro-occidental géorgien aux ambitions sécessionnistes de ses provinces d’Abkhazie à l’ouest et d’Ossétie du Sud, la Russie post-Poutine continue de se positionner comme un voisin menaçant et hostile pour la Géorgie.

Derrière l’actualité régionale du conflit, le positionnement de Moscou traduit la poursuite du bras de fer entre une administration américaine qui n’accepte pas la résurgence d’un bloc russe fort et une administration russe dont le mode de fonctionnement est comparable à celui de la période soviétique. Moscou entend garder tous les leviers possibles pour redevenir une puissance politique et économique incontournable.

Les faits récents auraient suffi dans bien des cas au déclenchement d’un conflit armé. Dans la région d’Abkhazie, partie incontestable du territoire souverain de Géorgie, les troupes sécessionnistes abkhazes revendiquent la destruction de cinq drones géorgiens depuis le 20 avril. Problème : les forces abkhazes ne disposeraient pas d’équipements permettant ce type de frappe sur des objets aériens, et les drones détruits – quel que soit le nombre réel – l’auraient été par l’armée russe.

Le 8 mai dernier, le président géorgien, Mikheïl Saakachvili, a déclaré que la guerre avec la Russie était proche, motivant immédiatement la formation d’une délégation de ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne qui s’est rendue à Tbilissi (capitale géorgienne) le 12 mai. L’objectif était de trouver une solution à l’escalade de la tension entre les deux pays. Le même jour, le «ministère» de la Défense abkhaze a affirmé que le dernier drone géorgien détruit était porteur d’un missile air-air.

Une vieille histoire

L’Abkhazie n’est ici qu’un mandataire du pouvoir russe. Les indépendantistes abkhazes ne vivent et n’agissent que grâce au soutien ouvert de Moscou. Lors de la guerre civile qui a déchiré la Géorgie de 1991 à 1995 suite à un coup d’État qui fit chuter le premier président librement élu du pays, la Russie postcommuniste a pris fait et cause pour les séparatistes ossètes et abkhazes et a durablement installé, sur le territoire géorgien, 2000 soldats considérés comme une «force de paix» censée stabiliser le pays.

Les relations exécrables entre les deux pays datent de cette époque. Elles ont culminé à une crise diplomatique permanente depuis que la Géorgie a arrêté quatre officiers russes, accusés d’espionnage, en septembre 2006. Les violations de l’espace aérien géorgien par des avions russes se sont depuis multipliées comme des piqûres d’épingle servant la guerre des nerfs de Moscou contre Tbilissi.

En novembre 2007, en pleine émeute populaire, Tbilissi a expulsé trois diplomates russes accusés d’avoir voulu organiser avec les leaders de l’opposition géorgienne un «coup d’État», ce à quoi Moscou a répliqué en expulsant trois diplomates géorgiens.

Vladimir Poutine, qui continuera d’imprimer sa marque en tant que premier ministre après l’avoir imprimée en tant que président, a franchi un cap extrêmement important en faisant émettre à la mi-avril un décret établissant des relations officielles avec les «gouvernements» d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud. Pour plusieurs observateurs, il fait ainsi démarrer la Russie sous présidence Medvedev – ce dernier étant entré en fonction le 7 mai – à un rythme qui forcera celui-ci à se positionner de façon forte face à la communauté internationale… et donc à suivre la ligne de son très présent prédécesseur.

Régions prorusses vers régions russes?

L’objectif de Moscou est-il de faire un pas de plus vers une incorporation de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie à la Russie, comme le supposent des analystes nord-américains? Moscou a décidé d’envoyer des forces supplémentaires en Abkhazie pour «compléter» les hommes de sa «force de paix» présente dans la région depuis 1994. Plusieurs centaines de nouveaux soldats vont être déployés, a indiqué le ministère de la Défense russe le 8 mai, pour atteindre un contingent de 2500, avec comme objectif d’arriver aux 3000 soldats permis par le mandat de maintien de la paix.

Après Bucarest

Ou bien, la Russie cherche-t-elle principalement à tirer la Géorgie vers un conflit armé? On serait tenté de le croire au vu de la dimension des provocations. Moscou accuse Tbilissi de masser ses troupes entraînées par des spécialistes américains en bordure de l’Abkhazie, ce que les porte-parole du gouvernement Saakachvili ont fermement démenti. Et si le président Saakachvili a en quelque sorte été forcé de dire qu’une guerre était proche pour préserver l’honneur de la Géorgie, son gouvernement n’est à la recherche que d’un scénario de sortie. Car tout conflit serait forcément en défaveur du pays, qui ne recevrait pas de soutien de l’Europe, et qui ruinerait ses espoirs de rejoindre l’OTAN.

C’est peut-être là l’objectif principal de Moscou, qui ne s’est pas satisfait des déclarations de l’OTAN au récent sommet de Bucarest – lesquelles laissent ouvertes, pour «plus tard», la question de l’adhésion à l’OTAN de la Géorgie et de l’Ukraine. La Russie paraît vouloir empêcher de nouveaux élargissements qui la placeraient dans un étau d’anciennes républiques soviétiques pro-occidentales, prêtes à recevoir les batteries du bouclier antimissile américain et pouvant accueillir des contingents de la force atlantique aux frontières de Russie.

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Mikhaïl Gorbatchev, dernier président soviétique et Prix Nobel de la paix 1990, ne cache lui-même pas sa colère : «Les États-Unis avaient promis que l’OTAN ne dépasserait pas les frontières de l’Allemagne après la guerre froide, mais maintenant la moitié des pays d’Europe centrale et orientale en sont membres, donc qu’ont-ils fait de leurs promesses?», déclare-t-il au journal britannique le Daily Telegraph. «Nous avions dix années après la guerre froide pour construire un nouvel ordre mondial et nous les avons gâchées», ajoute-t-il.

L’or noir de la Caspienne

C’est donc, plus qu’un conflit régional, la manifestation locale d’une lutte pour un ajustement des grands équilibres politiques mondiaux qui se manifeste en Géorgie. Les Abkhazes sont bien sûr renforcés par l’exemple de l’indépendance du Kosovo dont les Russes avaient prévenu (voire menacé) qu’elle poserait un précédent pour d’autres demandes d’indépendance.

Mais au-delà, dans la tentative actuelle de saborder l’adhésion de la Géorgie à l’OTAN et la mettant, sinon en guerre, au moins au bord d’une guerre civile, la Russie sait qu’elle se focalise sur un point régional crucial pour le «bloc» États-Unis/Europe. Hors la question de l’OTAN, existe, par exemple, celle de l’approvisionnement énergétique par l’oléoduc BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan) inauguré en 2006. Celui-ci permet aujourd’hui d’accroître le transport d’hydrocarbures de la Caspienne vers l’Europe en évitant la Russie, ôtant à cette dernière, en pleine crise pétrolière, un de ses leviers de pression préférés sur ses partenaires occidentaux.

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.