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Birmanie, le devoir d’ingérence oublié

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque - Paris
18.05.2008
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  • Un groupe de rescapés à Kyauktan(STF: LISANDRU / ImageForum)

 

Le bilan dramatique du cyclone Nargis qui a frappé la Birmanie le 2 mai est déjà de plus de 130 000 morts et continue de s’alourdir. Des pluies torrentielles se sont abattues en fin de semaine dernière sur les survivants, alors que l’aide internationale est toujours empêchée d’agir par la junte militaire birmane. Le navire français Le Mistral, chargé d’une tonne et demi de matériel d’aide d’urgence, n’est pas autorisé à entrer dans les eaux territoriales birmanes. Un crime contre l’humanité s’ajoute à la calamité naturelle qui frappe les birmans, loin des caméras de télévision et donc proche de l’indifférence générale.

Le sort s’acharne sur le peuple birman comme si une force d’attraction inconnue lui attirait systématiquement le malheur. Une vie sous la terreur d’une junte militaire au pouvoir depuis 1962, la répression sanglante de la révolte des bonzes en septembre dernier, la pénurie de riz qui frappe tout le sud-est asiatique depuis le début de l’année, le meurtrier cyclone Nargis, les pluies torrentielles … et l’absence de secours.

Quand fin 2004 le tsunami avait touché les côtes indiennes, sri-lankaises, et thaïlandaises, le phénomène médiatique avait été colossal : images de la vague géante et de corps gisants (dont des touristes occidentaux) diffusées en boucles, témoignages de rescapés… un élan de solidarité sans précédent avait drainé près de 3 milliards d’Euros de dons privés pour les victimes du tsunami.

L’inquiétude, pour la Birmanie, est que l’estimation actuelle de 135 000 morts (à comparer au bilan final de 180 000 morts du tsunami) soit amenée à être fortement revue à la hausse. L’association Médecins Sans Frontières (MSF), qui au moment du Tsunami de 2004 avait demandé l’arrêt de dons trop nombreux, appelle aujourd’hui à l’aide: «Les sinistrés ont besoin en urgence d’eau potable, de nourriture et d’objets de première nécessité. D’autres vivent dans les débris de leur maison encore inondée, entourés de cadavres.»

«Bien que MSF soit capable d’apporter, dans une certaine mesure, une aide directe à la population, la réponse globale est clairement inadéquate. Les milliers de personnes touchées par le cyclone se trouvent dans un état critique et ont un besoin urgent de secours. L’aide est entravée par les restrictions imposées par le gouvernement sur le personnel international travaillant dans la région du Delta.»

D’après les Nations Unies, 206 000 personnes sont hébergées dans 218 camps – souvent des écoles ou des monastères qui ont résisté au cyclone, soit une infime minorité des 2,5 millions de rescapés en attente d’aide.

 

 «Les sinistrés ont besoin en urgence d’eau potable, de nourriture et d’objets de première nécessité. D’autres vivent dans les débris de leur maison encore inondée, entourés de cadavres.»

Une des principales inquiétudes des humanitaires est l’absence d’eau propre et de système sanitaire, qui présage d’épidémies meurtrières à court terme.

«Sans une aide rapide et sans experts dans les zones les plus touches, il va y avoir une tragédie d’une ampleur inimaginable » annonce Greg Beck, des secours internationaux, cité par le Guardian.

Pour l’association Oxfam, dont la directrice pour l’Asie Sarah Ireland est cité par le journal thaïlandais The Nation: «Avec les plus de 100 000 personnes tuées par le cyclone tous les facteurs sont réunis pour une catastrophe sanitaire qui pourrait faire 15 fois plus de morts dans les prochaines semaines et mois»

Des cas de diarrhée sont déjà signalés, et le choléra pourrait d’après les experts survenir à peu près n’importe quand.  Malgré cela, les spécialistes en eau et assainissement de Médecins Sans Frontières, qui ont reçu un visa pour rentrer au Myanmar «n’ont toujours pas le droit de se rendre dans la zone sinistrée où la population a désespérément besoin de leurs compétences.»

Le référendum de la junte malgré tout

La perspective de perdre un million de personne sur une population de 57 millions n’ébranle pas la  junte militaire birmane. Celle-ci ne laisse entrer l’aide internationale qu’au compte-gouttes et a, vendredi 16 mai, accusé la France de vouloir faire pénétrer un «navire de guerre» dans ses eaux. Le navire en question est le Mistral, un porte-hélicoptères chargé de matériel de secours.

Cette paranoïa de la «déstabilisation», cette maladie du contrôle et du pouvoir absolu, est plus aigue encore depuis  la mobilisation des bonzes birmans en août et septembre dernier, ce qui a été appelé «la révolte de safran». Le gouvernement du général Than Shwe, mis sous pression par la communauté internationale et qui a réussi à cacher l’ampleur et la violence de la répression du mouvement, craint que toute ouverture à l’étranger ne conduise à un changement de régime - ou au moins, qu’elle soit vue comme un aveu d’impuissance.

De la même façon que le régime chinois dans le cadre du tremblement de terre récent, la junte souhaite donc garder le contrôle et n’avoir sur son territoire que le strict minimum de présence étrangère… peu importe le prix humain à payer.

L’important, on l’aura compris, est le pouvoir et les façons de le préserver. Alors que le cyclone Nargis pourrait avoir été le plus meurtrier de tous les temps, le régime birman a maintenu le pseudo-référendum pour un changement de constitution le 10 mai, et a triomphalement annoncé la large victoire du 'Oui' le 15 mai.

Pseudo-referendum car il s’est accompagné des pressions et menaces habituelles en Birmanie, parce que son objectif est de stabiliser le pouvoir militaire en montrant que celui-ci s’ouvre à la 'démocratie', modifie la constitution birmane, et est en cela 'soutenu' par le peuple birman. La junte a en fait simplement indiqué aux électeurs qu’il fallait l’accepter.

Ce projet de nouvelle Constitution est en incubation depuis près de 15 ans. Il s’agit d’un document de 200 pages qui n’a pas ou peu été diffusé et n’a en rien été expliqué aux électeurs.  Olivier Guillard, directeur de recherches à l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), rappelle utilement que ce projet réserve 1/4 des sièges aux militaires à l’Assemblée nationale, protège les membres de la junte au pouvoir depuis 1988 de toute poursuite devant les tribunaux pour des actes exécutés dans l’exercice de leurs fonctions, et refuse à toute personne ayant préalablement épousé un ressortissant étranger le droit d’exercer des fonctions politiques ou officielles. Autrement dit, elle interdit toute fonction politique à «la Dame»: Aung Sang Suu Kyi, Prix Nobel de la Paix et chef de file des démocrates birmans.

Le régime cherche à se stabiliser alors que sa population est en détresse. Devant ce cynisme et cette corruption, les pays occidentaux peuvent-ils faire plus que s’indigner du désastre humain provoqué par le régime birman? La France a, samedi 17 mai, commencé à parler de «crime contre l’humanité»; la Grande-Bretagne, par la voix de Gordon Brown, a qualifié la junte «d’inhumaine.» Mais à part à annoncer que celle-ci sera tenue pour responsable, le droit d’ingérence humanitaire reste en date de l’écriture de cet article une notion vague qui semble réservée aux séminaires de réflexion et ne devoir jamais être mise en pratique.

De son côté, « entre le risque associé à une ouverture extérieure 'précipitée', difficile à contrôler et le maintien au pouvoir à tout prix, la junte birmane a fait son choix. » conclut le Dr Guillard. Les caméras de télévision n’étant pas sur place, tout le monde l’oubliera probablement bien vite.

 

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.