Nos uniformes olympiques ne sont pas canadiens !

Écrit par Many Ngom, La Grande Époque - Montréal
22.05.2008

 

«Nous avons fait de notre mieux!», a déclaré la Compagnie de la Baie d’Hudson quand elle a été interpellée par rapport aux uniformes olympiques canadiens qui, en majorité, ont été fabriqués en Chine. Non seulement cette phrase n’a pas suffi à dissimuler la maladresse de La Baie, mais elle a fait boule de neige.

La porte-parole de l’entreprise, Hillary Marshall, a souligné que la collection des vêtements que nos athlètes porteront aux jeux de Pékin sont écologiques. C’est tout à l’honneur de La Baie, mais malheureusement un problème beaucoup plus sérieux se pose.

Les Jeux olympiques constituent un évènement mondial où chaque nation représentée arbore avec fierté son style et ses couleurs. Pourquoi donc avoir fait fabriquer en Chine 80 % des uniformes olympiques censés représenter les athlètes canadiens?

La Grande Époque a rencontré M. Jean Rivard, directeur général du Conseil des ressources humaines de l’industrie du vêtement, qui n’a pas ménagé ses mots quant à cet affront infligé à son industrie.

La Grande Époque : Monsieur Rivard, quelle a été votre réaction face à cette controverse?

Jean Rivard (J. R.) : Ce qui a déclenché chez nous une réaction très intense, c’est que le Comité olympique (CO) avait dit que le Canada ne pouvait pas faire ni produire des vêtements dits techniques et de qualité pour nos athlètes canadiens alors que déjà 20 % de la collection avait été faite au pays. Ensuite, pour ajouter l’insulte à l’injure, La Baie renchérit en déclarant que les manufacturiers canadiens ne pouvaient importer le coton bambou, le coton soya et le coton biologique, et ce, malgré l’évidence que 20 % de la collection faite de ces mêmes matériaux avait été produite ici au Canada.

LGÉ : Est-ce que le CO ou La Baie vous a consulté avant de commencer le projet?

J. R. : Pas du tout!

LGÉ : Donc, comment avez-vous pris connaissance du problème?

J. R. : Je l’ai su par des questions posées sur la collection par des journalistes, mais aussi surtout par un article du Toronto Star qui révélait que les propos du CO et de La Baie étaient insultants pour l’industrie du vêtement.

Ce qui nous a choqués vraiment, c’est qu’il n’a pas été donné à nos créateurs canadiens une vitrine olympique sur leur innovation et leur créativité. Aussi, le gouvernement canadien a manqué d’appuyer le secteur manufacturier du vêtement, surtout dans le cas de la confection des uniformes olympiques, cas qui est exceptionnel et qui demandait une attention particulière de la part de notre gouvernement.

LGÉ : Pensez-vous que la décision de faire la collection olympique en Chine visait à réduire les coûts?

J. R. : Non, pour nous, la question n’était pas là, car la qualité, les quantités et les coûts de production étaient compétitifs. Encore une fois, pour nous [l’industrie du vêtement], les raisons de cette gaffe ne se tenaient tout simplement pas. En analysant les coûts totaux de production d’ici et de l’Orient et en ajoutant les coûts de logistiques et de transport de la Chine au Canada, nous étions très comparables, donc cette question ne se pose pas.

LGÉ : Quelles sont les forces et les faiblesses de l’industrie canadienne du vêtement?

J. R. : Je dirais que les forces sont la créativité, l’innovation et l’adoption de modèles d’affaires pour s’adapter à la mondialisation des marchés. Aussi, la capacité des entreprises canadiennes à s’adapter et à être flexibles à l’égard des conditions des marchés qui sont constamment en train de changer reflète la force de notre industrie.

Pour les faiblesses, il fut un temps où l’industrie était en restructuration et où la relève ne répondait plus. Alors que là, la relève se manifeste, nous avons à peu près 5000 jeunes qui suivent des cours et des programmes directement liés à l’industrie du vêtement et ça, c’est encourageant! Maintenant, nous avons les capacités, les compétences et les habiletés non seulement pour recruter la relève, mais aussi pour la garder dans l’industrie.

C’est dans ce dernier point qu’est notre défi. Il faut créer dans notre industrie une culture de formation professionnelle et permanente pour que l’intérêt de ces jeunes soit soutenu et aussi pour qu’ils apportent vitalité et jeunesse à l’industrie.

LGÉ : Est-ce que le Canada exporte ses vêtements?

J. R. : Oui, effectivement jusqu’en 2005 le Canada exportait 95 à 98 % aux États-Unis et cela constituait des ventes totales de 3,5 milliards de dollars. Cependant, ce montant ne représente que 1 % du marché américain qui est le plus gros marché du vêtement au monde.

Donc, nous devons faire mieux : nous devons exploiter, développer et augmenter notre part du marché aux États-Unis, ne serait-ce que de 2 % au total. Nous pourrions alors sécuriser nos emplois.

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Tout compte fait, l’industrie du vêtement au Canada se porte très bien et est en pleine croissance avec de belles réussites, comme la compagnie Lulu Lemon ou encore Helly Hansen qui a acheté une industrie canadienne et qui produit à Halifax l’ensemble des produits ignifuges et hydrofuges utilisés sur toutes les plateformes de forage de la planète.

De toute évidence, le projet de la collection des vêtements olympiques a été géré par des personnes qui ne connaissent visiblement pas l’industrie du vêtement au Canada. Mais qu’on se rassure pour les jeux de Vancouver de 2010, M. Rivard veillera à ce que cette gaffe ne se reproduise plus.

Néanmoins, pour les Olympiques d’été, les jeux sont faits, car même les couleurs choisies pour la collection, qui sont le rouge, l’or, le bleu, le vert et le beige, sont inspirées des cinq éléments chinois (le feu, le métal, l’eau, la terre et le bois).

Bien que ces cinq éléments se retrouvent en terre canadienne, il n’en reste pas moins que cette collection, tant au niveau création qu’au niveau production, est en majorité un produit chinois et ça, pour le Canada, c’est un faux départ!