La Géorgie, point de tension entre Russie et Etats-Unis

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque - Paris
28.05.2008

  • Manifestation de Géorgiens devant l’Ambassade de Russie à Tbilissi, le 25 avril 2008(攝影: / 大紀元)

Dans le conflit qui oppose le gouvernement pro-occidental géorgien aux ambitions sécessionnistes de ses provinces d’Abkhasie – à l’Ouest – et d’Ossétie du Sud, la Russie post-Poutine continue de se positionner comme un voisin menaçant et hostile pour Tbilissi. Derrière l’actualité régionale du conflit, le positionnement de Moscou traduit la poursuite du bras de fer entre une administration américaine qui n’accepte pas la résurgence d’un bloc russe fort, et une administration russe dont le mode de fonctionnement est tout à fait comparable à celui de la période soviétique, et qui entend garder tous les leviers possibles pour redevenir une puissance politique et économique incontournable.

Les faits récents auraient suffi dans bien des cas au déclenchement d’un conflit armé. Dans la région d’Abkhasie, partie incontestable du territoire souverain de Géorgie, les troupes sécessionnistes abkhazes revendiquent la destruction de cinq drones géorgiens depuis le 20 avril. Problème: les forces abkhazes ne disposeraient pas d’équipements permettant ce type de frappe sur objets aériens, et les drones détruits – quel qu’en soient le nombre réel – l’auraient été par l’armée russe. Le 8 mai, le président géorgien Mikheïl Saakachvili a déclaré que la guerre avec la Russie était proche, motivant immédiatement la formation d’une délégation de ministres des Affaires étrangères de l’Union Européenne, qui s’est rendue à Tblilissi – capitale géorgienne – le 12 mai pour trouver une solution à l’escalade entre les deux pays.

Le même jour, le « ministère » de la Défense abkhaze a affi rmé que le dernier drone géorgien détruit était porteur d’un missile air-air.

 

UNE VIEILLE HISTOIRE

L’Abkhasie n’est ici qu’un « proxie » du pouvoir russe. Les indépendantistes abkhases ne vivent et n’agissent que grâce au soutien ouvert de Moscou. Lors de la guerre civile qui a déchiré la Géorgie de 1991 à 1995 suite à un coup d’Etat qui fi t chuter le premier président librement élu du pays, la Russie post-communiste a pris fait et cause pour les séparatistes ossètes et abkhazes, et s’est durablement installée sur le territoire géorgien par le biais de 2.000 soldats d’une «force de paix» censée stabiliser le pays. Les relations exécrables entre les deux pays datent de cette époque sont devenues une crise diplomatique permanente depuis que la Géorgie a arrêté 4 officiers russes, accusés d’espionnage, en septembre 2006. Les violations de l’espace aérien géorgien par des avions russes se sont depuis multipliées comme des piqûres d’épingle servant la guerre des nerfs de Moscou contre Tbilissi.

En novembre 2007, en pleines émeutes populaires, Tbilissi a expulsé trois diplomates russes accusés d’avoir voulu organiser avec les leaders de l’opposition géorgienne un «coup d’Etat», ce à quoi Moscou a répliqué en expulsant trois diplomates géorgiens. Vladimir Poutine, qui continuera d’imprimer sa marque en tant que Premier ministre après l’avoir imprimée en tant que président, a franchi un cap extrêmement important en faisant émettre à la mi-avril un décret établissant des relations offi cielles avec les «gouvernements» d’Abkhasie et d’Ossétie du Sud. Pour plusieurs observateurs, il fait ainsi démarrer la Russie sous présidence Medvedev – ce dernier étant entré en fonction le 7 mai – à un rythme qui forcera celui-ci à se positionner de façon forte face à la communauté internationale… et donc à suivre la ligne de son très présent prédécesseur.

RÉGIONS PRO-RUSSES VERS RÉGIONS RUSSES?

L’objectif de Moscou est-il de faire un pas de plus vers une incorporation de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie à la Russie, comme le supposent des analystes nordaméricains ? Moscou a décidé d’envoyer des forces supplémentaires en Abkhasie pour « compléter » les hommes de sa « force de paix », présente dans la région depuis 1994. Plusieurs centaines de nouveaux soldats vont être déployés, a indiqué le ministère de la Défense russe le 8 mai, pour atteindre un contingent de 2.500, et avec comme objectif d’arriver aux 3.000 soldats permis par le mandat de maintien de la paix.

 

APRÈS BUCAREST

Ou bien, la Russie cherche-t-elle principalement à tirer la Géorgie vers un conflit armé? On serait tenté de le croire au vu de la dimension des provocations. Moscou accuse Tbilissi de masser ses troupes, entraînées par des spécialistes américains, en bordure de l’Abkhazie, ce que les porte-parole du gouvernement Saakachvili ont fermement démenti; et si le président Saakachvili a en quelque sorte été forcé de dire qu’une guerre était proche pour préserver l’honneur de la Géorgie, son gouvernement n’est à la recherche que d’un scénario de sortie. Car tout confl it serait forcément en défaveur du pays, qui ne recevrait pas de soutien de l’Europe, et qui ruinerait ses espoirs de rejoindre l’OTAN.

C’est peut-être là l’objectif principal de Moscou, qui ne s’est pas satisfait des déclarations de l’OTAN au récent sommet de Bucarest – lesquelles laissent ouvertes, pour «plus tard», la question de l’adhésion à l’OTAN de la Géorgie et de l’Ukraine : La Russie veut empêcher de nouveaux élargissements qui la placeraient dans un étau d’anciennes républiques soviétiques prooccidentales, prêtes à recevoir les batteries du bouclier anti-missiles américain et pouvant accueillir des contingents de la force atlantique aux frontières de Russie. Mikhail Gorbatchev, dernier président soviétique et prix Nobel de la Paix 1990, ne cache lui-même pas sa colère: «Les Etats-Unis avaient promis que l’OTAN ne dépasserait pas les frontières de l’Allemagne après la guerre froide, mais maintenant la moitié des pays d’Europe centrale et orientale en sont membres, donc qu’ontils fait de leurs promesses?», déclare-til au Daily Telegraph. «Nous avions dix années après la guerre froide pour construire un nouvel ordre mondial et nous les avons gâchées».

 

L’OR NOIR DE LA CASPIENNE

C’est donc, plus qu’un conflit régional, la manifestation locale d’une lutte pour un ajustement des grands équilibres politiques mondiaux qui se manifeste en Géorgie. Les Abkhazes sont bien sûr renforcés par l’exemple de l’indépendance du Kosovo dont les Russes avaient prévenu, voire menacé, qu’elle poserait un précédent pour d’autres demandes d’indépendance. Mais au-delà, dans la tentative actuelle de saborder l’adhésion de la Géorgie à l’OTAN et la mettant, sinon en guerre, au moins au bord d’une guerre civile, la Russie sait qu’elle se focalise sur un point régional crucial pour le « bloc » Etats-Unis/ Europe. Hors la question de l’OTAN existe par exemple celle de l’approvisionnement énergétique par l’oléoduc BTC (Bakou-Tbilissi- Ceyhan), inauguré en 2006. Celui-ci permet aujourd’hui d’accroître le transport d’hydrocarbures de la Caspienne vers l’Europe en évitant la Russie, ôtant à cette dernière, en pleine crise pétrolière, un de ses plus effi caces leviers de pression sur ses partenaires occidentaux.