«Vendre la guerre au public»: un ex-porte-parole de Bush livre ses secrets

Écrit par Noé Chartier, La Grande Époque - Montréal
04.06.2008
  • Le livre d’un ex-porte-parole de la Maison-Blanche, Scott McClellan(Staff: PAUL J. RICHARDS / 2008 AFP)

Traître. Héros. Opportuniste. Courageux. À travers les États-Unis, ses médias et ses analystes, l’auteur d’un nouveau livre sur l’administration Bush est taxé d’une gamme de qualificatifs contradictoires. Scott McClellan, ex-porte-parole de la Maison-Blanche, est le dernier de l’entourage du président américain à avoir rendu public ses expériences de service, et l’onde de choc est grande.

Pour certains, c’est une droite au visage de son ancien patron. Pour d’autres, un coup d’épée dans l’eau. Mais une chose était certaine avant même la mise en vente du livre : ce serait un best-seller.

What Happened: Inside the Bush White House and Washington's Culture of Deception est déjà le livre le plus en demande sur Amazon, bien qu’il ne sera disponible chez le libraire en ligne que le 11 juin. Ce qui pousse certains à critiquer non pas le contenu du livre, mais bien le phénomène lui-même, comme quoi «quiconque sortant de cette administration semble quitter avec un manuscrit à moitié complété sous le bras et un éditeur prêt à aider», assène Tim Rutten du Los Angeles Times.

Mais l’enthousiasme pour ce dernier épisode est particulier. Scott McClellan était un loyaliste du clan Bush depuis que ce dernier était gouverneur du Texas. Il a suivi George W. Bush jusqu’à Washington où il a occupé pendant près de trois ans le rôle de porte-parole de l’administration. Il n’était peut-être pas un des plus hauts placés, mais il a quand même été témoin et acteur de nombreux évènements importants. De la guerre en Irak, en passant par l’affaire Valerie Plame et l’ouragan Katrina, McClellan a servi de rempart contre les journalistes de Washington.

Après avoir subi une telle pression et avoir appris qu’il avait menti à son insu à la population américaine, il aurait déchanté. McClellan avait été chargé, entre autres, de nier la responsabilité de deux responsables de l’administration dans la fuite de renseignement ayant démasqué la couverture de l’agente de la CIA Valerie Plame. Afin de porter un coup au critique de la guerre en Irak et mari de Mme Plame, Joseph Wilson, Karl Rove et Lewis Libby auraient volontairement transmis l’information compromettante à la presse.

Après avoir défendu la guerre en Irak, McClellan juge à présent qu’il s’agissait d’une erreur. «Avec le temps, quand vous quittez la Maison-Blanche et sortez de la bulle, vous êtes en mesure d’enlever votre chapeau partisan et de regarder les choses en face avec lucidité», a-t-il confié au Washington Post.

Agilité de l’expert en relations publiques ou sincérité authentique, l’auteur écrit avoir quand même du respect pour son ex-patron, M. Bush. Mais son livre ne passe pas par quatre chemins pour dénoncer la culture de tromperie qui gangrène la capitale américaine. Néanmoins, McClellan a affirmé ne pas chercher à obtenir revanche ou à augmenter sa visibilité. Selon lui, son but est seulement de «transmettre ce que je sais».

McClellan n’était pas le «visage» de la Maison-Blanche alors qu’une opération de relations publiques visait à convaincre l’opinion publique de la nécessité d’aller en guerre contre l’Irak, mais il faisait tout de même partie de l’équipe de communications du président.

«Je n’étais pas impliqué dans l’établissement de la politique sur l’Irak ou le développement de la stratégie de marketing générale pour vendre la guerre au public. [En tant qu’assistant secrétaire de presse], je remplaçais parfois mon prédécesseur et j’ai même participé à certains White House Iraq Group, ou rencontres WHIG. Le WHIG a été établi comme bras marketing pour vendre la guerre au public», explique McClellan dans une réponse à un internaute, formulée sur le site du Washington Post.

What Happened sert en quelque sorte de mea culpa pour McClellan selon certains journaux américains. Mais en aucun cas, il y a unanimité sur le produit final. À gauche comme à droite, on retrouve des critiques acerbes.

Le chroniqueur Bob Herbert du NY Times n’y va pas de main morte : «La guerre en Irak, qui a pris plus de 100 000 vies irakiennes, qui coûtera aux États-Unis plus de 3 trillions $, et qui continue indéfiniment, est un scandale et un crime. Scott McClellan arrive un peu tard pour dénoncer cette folie.»

Chez les conservateurs, les termes «traître» et «opportuniste» ont la cote, mais on va plus loin également, allant même jusqu’à suggérer une conspiration. En effet, le livre tombe à un mauvais moment pour les républicains et John McCain, alors que les élections ne sont plus qu’à quelques mois.

«M. McClellan a scrupuleusement défendu la guerre en tant que porte-parole présidentiel entre 2003-2006, mais il est depuis “devenu vraiment convaincu” que c’était une erreur. Il a aussi eu la révélation que l’administration a utilisé la “propagande” pour vendre la guerre, même si cela signifie que lui-même a été le ministre en chef de la propagande pendant trois ans, durant lesquels il n’a exprimé aucun malaise», écrit le Wall Street Journal.

Le journal poursuit : «L’éditeur du livre est PublicAffairs, une maison d’édition fondée par le rédacteur gauchiste Peter Osnos […] PublicAffairs est propriété de Perseus Books, qui est elle-même propriété de Perseus LLC, une banque marchande dont le conseil d’administration inclut les démocrates Richard Holbrooke et Jim Johnson», ce dernier pourrait devenir le vice-président de Barrack Obama.

D’autres critiques de McClellan, comme un autre ex-porte-parole présidentiel, Ari Fleischer, estiment que le livre aurait pu être écrit par une tierce personne, jugeant que le ton n’est pas celui de l’auteur présumé. Peter Osnos a de son côté affirmé avoir exercer une certaine guidance éditoriale pour s’assurer que le livre ne soit «pas seulement une défense de l’administration Bush».

À travers les condamnations, il y a également des échos positifs dans la presse américaine. Michael Hirsch de Newsweek estime qu’à l’instar de McClellan, beaucoup de commentateurs devraient ouvertement dire qu’ils se sont trompés en appuyant la guerre en Irak.

«Ce qui est vraiment extraordinaire, c’est à quel point peu d’analystes et de chroniqueurs importants ont fait la moitié du chemin qu’a fait McClellan en admettant qu’ils se sont vraiment trompés lorsqu’ils ont donné leur appui total au revirement de Bush vers Saddam après la “victoire” de l’Amérique sur les talibans en Afghanistan», écrit-il.

Avec : Washington Post, New York Times, Los Angeles Times, Newsweek et Wall Street Journal.