L’homme, un produit comme les autres

Écrit par Olivier Chartrand, La Grande Époque - Montréal
09.06.2008

 

  • Octave (Jean Dujardin)(攝影: guillaume lapierre / atelier label image)

Vous voulez vous divertir? Vous êtes à court d’idées pour faire une activité entre amis qui ne coûtera pas trop cher? Vous désirez être perçu comme un gars qui sait s’amuser devant vos copains et comme un intello devant votre petite amie? Pour seulement une dizaine de dollars, vous pouvez, depuis vendredi dernier, aller voir dans tous les bons cinémas près de chez vous 99F, l’adaptation du roman à succès de Frédéric Beigbeder mis en images par l’inimitable Jan Kounen et dans lequel joue l’hilarant Jean Dujardin! … Eh oui, la publicité est partout et Beigbeder, Kounen, Dujardin y mordent comme un doberman à la salive acide.

Octave Parango (Jean Dujardin, Brice de Nice, Contre-enquête) est un publicitaire qui travaille dans la plus grande agence du monde, Ross & Witchcraft. Il s’enorgueillit de pouvoir manipuler les désirs des masses par des concepts publicitaires au profit de grandes entreprises. Il est riche, il a les plus belles femmes de Paris à ses pieds et consomme les drogues de qualité supérieure. Deux évènements viendront bousculer son rythme de vie décadent : sa séparation de sa copine Sophie (Vahina Giocante, Le Libertin, Blueberry) et sa présentation de la dernière campagne de Madone, le plus important producteur de yoghourts en France et le plus gros client de la Ross. Son arrogance et sa fuite devant les responsabilités l’entraîneront dans un désillusionnement face à son métier et cette époque où «l’homme est un produit comme les autres».

Ici, Kounen (Doberman, Blueberry) frappe à grands coups sur le domaine de la pub. Contrairement à ce que nous laisse croire la bande-annonce, tout en nous faisant rire, 99F n’est pas seulement une comédie. Il y a un aspect très subversif et une critique sociale acerbe de la société de consommation et du bonheur «consommer, nouer, jeter» qu’on nous propose depuis le développement des médias de masse. Et comme on pouvait s’y attendre, Kounen y va d’un jet assez trash pour porter au grand écran le roman à saveur biographique de Beigbeder. Le film 99F n’est définitivement pas pour les jeunes regards ni pour ceux qui ont l’estomac fragile.

Avertissement fait, c’est certainement un film qui a de grandes qualités. La créativité et la diversité au niveau de l’image sont impressionnantes. Le réalisateur d’origine hollandaise crée un «visuel» éclaté et insère des publicités surréalistes utilisées comme mise en abîme. Tout comme l’environnement des «créatifs» dans une agence, 99F est riche en références cinématographiques et publicitaires. On fait un saut dans l’univers de Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone, en traversant la campagne Freedom to move de Levi’s, certaines idées rappellent l’esprit révolutionnaire de Fight club et la fuite de l’individu par le rêve du Brazil de Terry Gilliam. Les cinéphiles et les fous de la pub s’en régaleront. Pour ces derniers, il est conseillé de rester jusqu’à la fin du générique…

Il faut aussi mentionner que Dujardin réussit très bien à apporter plusieurs dimensions au personnage d’Octave que l’on aime tout en désapprouvant. On sera également amusé de voir Kounen et Beigbeder faire des caméos. On peut se demander cependant en quoi les apparitions de l’auteur à succès sont vraiment justifiées.

Au-delà de nous divertir, 99F est en même temps un laboratoire qui utilise le spectateur comme cobaye. Kounen nous fait sauter constamment de la vie au rêve. Ce qui fait en sorte qu’on ne peut plus distinguer le réel de l’illusion. Il nous amène sur plusieurs pistes, il nous tend des pièges, à peine cachés, qui nous montrent à quel point on a tendance à préférer l’illusion rose plutôt que la réalité grise; ce qui nous rend d’autant plus fragile face au «rêve» que proposent les publicitaires. Contrairement à une panoplie de films qui ne sont conçus que pour divertir, on ne ressort pas «vide» de la projection, mais plutôt avec en tête une réflexion sur la pertinence de la recherche du bonheur immédiat.