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Inde: vers un déblocage de l’accord sur le nucléaire

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque - Paris
10.07.2008
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  • Le premier ministre indien, Manmohan Singh(Staff: RAVEENDRAN / 2008 AFP)

Un jeu d’alliances politiques sécurise le Congrès national indien et permet d’avancer dans le partenariat nucléaire indo-américain

Le Congrès national indien, au pouvoir en Inde et menacé par un vote de défiance, est sauvé par le soudain ralliement du Parti Samajwadi et de ses 36 voix au Parlement, qui lui assure de ne pas se retrouver en minorité malgré l’opposition totale des anciens alliés communistes sur le sujet d’une alliance stratégique avec Washington dans le domaine du nucléaire. Avant ce brutal retournement de situation, qui provoque la colère des groupes communistes, des élections législatives anticipées étaient quasi certaines et auraient pu signer le retour au pouvoir du Parti nationaliste indien.

Jusqu’à l’annonce surprise du Samajwadi le 5 juillet, les calculs étaient simples pour le premier ministre Manmohan Singh: soit il persistait dans la signature de l’accord nucléaire avec les États-Unis et perdait alors le soutien de la coalition

de gauche et d’extrême-gauche et devenait minoritaire dans tout vote au Parlement, soit il renonçait à l’accord et torpillait des années d’effort pour se rapprocher des «grandes» nations, assurer la pérennité de son activité nucléaire et améliorer la production énergétique indienne.

Le Parti socialiste Samajwadi, avec ses 36 voix, ramène au Parlement le premier ministre Singh à la surface de la majorité en dessous de laquelle la perte des 59 voix de l’union de gauche allait l’amener. Basé dans la province d’Uttar Pradesh, le Parti Samajwadi a construit son électorat en défendant les intérêts de basses castes de cet État et s’était jusque là aligné sur les positions du «Front Démocratique de gauche» dont les moteurs sont le CPI et le CPM (Parti communiste indien et Parti marxiste indien).

Ce que les communistes considèrent comme une «trahison» du Samajwadi est un retournement de situation politique majeur, au moment même où l’Alliance du Congrès (UPA, United Progressive Alliance) venait de perdre les dix-sept voix de soutien du Parti Bahujan Samaj (BSP), une autre formation des «basses castes» de l’Uttar Pradesh qui l’accusait d’avoir complètement échoué à lutter contre l’inflation et à protéger les 300 millions d’Indiens vivant avec moins de 1 dollar par jour.

Le risque d’un vote de défiance du Parlement, qui aurait provoqué une démission du gouvernement et des élections législatives anticipées, s’éloigne donc. Il était crucial pour le gouvernement de Manmohan Singh de maintenir la date de ces élections à mai 2009: sa popularité est en berne, ce qui dans le cas d’élections anticipées aurait abondamment servi les intérêts de l’opposition, l’Alliance du BJP (Bharatiya Janata Party, Parti du peuple indien, nationaliste).

L’Inde subit en effet une inflation de 11 % que ne compense pas sa vigoureuse croissance. Le pays, qui dépend à 70 % de l’étranger pour ses besoins pétroliers, a dû augmenter de près de 20 % les tarifs des carburants en 2008, alors que les trois quarts des transports de marchandises se font par transport routier. En pleine crise alimentaire mondiale, des denrées essentielles comme l’huile ou le riz ont vu leur prix doubler en six mois, ce qui frappe en premier lieu les couches populaires, lesquelles constituent le principal électorat du Congrès national indien, parti dominant la coalition de l’UPA et dont est issu le premier ministre Singh.

Branle-bas de combat énergétique

Le gouvernement indien, qui n'a jamais ratifié le Traité de non-prolifération nucléaire, veut saisir sa chance de ne pas rester au ban de la communauté des nations maîtrisant l’énergie nucléaire, de bénéficier de transfert de technologies, de combustible nucléaire, d’avoir accès à des circuits internationaux de retraitement des déchets et, enfin, de normaliser ses relations avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).

Les dernières étapes de mise en œuvre du texte proposé par Washington, qui veut faire de l’Inde son principal partenaire dans la région, sont justement la finalisation des négociations avec AIEA et avec les 45 pays du Groupe des fournisseurs nucléaires (NSG). L’Inde s’engagerait en particulier à ne plus conduire d’essais nucléaires comme ceux de 1974 et 1998, ce que l’opposition considère être une atteinte à la souveraineté nationale.

La gauche communiste bloque donc depuis des mois ces dernières étapes de l’accord, alors que la négociation de celui-ci a commencé en 2005. Le groupe communiste refuse en particulier toute entrée dans le pays des «suppôts de l’impérialisme», à savoir les inspecteurs de l’AIEA.

L’administration Bush souhaite de son côté soumettre l’accord finalisé au Congrès américain avant les élections présidentielles de l’automne, afin de pouvoir le graver comme un héritage positif de la présidence américaine actuelle. Les pressions de Washington sur le premier ministre Singh pour une finalisation rapide de l’accord sont donc particulièrement vives.

Nécessité stratégique et économique incontournable, l’accord indo-américain sur le nucléaire est paradoxalement considéré comme un demi-suicide électoral en Inde. Même si le risque de législatives anticipées semble s’éloigner, ce partenariat a déjà tourné, contre le Congrès national indien, aussi bien une partie de ses alliés de gauche que l’électorat musulman et les nationalistes hindous. Donc, le BJP (Parti du peuple indien) se voit déjà revenir au pouvoir en 2009, cinq ans après sa défaite de 2004. Le climat de grogne sociale lui donne toutes les chances, comme le montrent ses victoires électorales régionales: le BJP est aujourd’hui à la tête de 7 des 28 États indiens.

Pour faire face aux besoins énergétiques colossaux du pays, qu’expliquent la croissance annuelle de près de 10 % de son économie et l’immensité de son territoire, le gouvernement Singh ne se rapproche pourtant pas que des États-Unis. Il est en passe de sceller un accord crucial avec Téhéran pour la construction d’un gazoduc irano-indien, long de plus de 2500 km et qui coûtera environ 5 milliards d’euros.

Ce «pragmatisme» n’a pas convaincu, et la survie du gouvernement Singh est le sujet de toutes les interrogations avec l’explosion en vol, ce week-end, de la grande alliance autour de l’UPA: les partis de gauche ont annoncé, le 5 juillet, la rédaction d’une «feuille d’accusation» sur les échecs de Singh, caractérisés par «la trahison de l’intérêt national, les promesses non tenues sur le Programme minimum1».

On peut déjà anticiper que cette campagne, dont le lancement est prévu le 14 juillet, conduira à un agenda social chargé – pour reprendre un terme européen – dès le mois de septembre. «Notre opposition n’est pas que sur le sujet du nucléaire, nous allons aborder bien d’autres sujets comme l’inflation, la hausse des prix et les erreurs économiques [du gouvernement]», indique au Times of India le secrétaire national du Parti communiste indien, le Dr Raja.

Les semaines qui viennent donneront une idée plus précise du remodelage des alliances politiques en Inde, qui pourrait être la naissance d’un bloc d’extrême-gauche rassemblant les déçus de l’UPA. Le Congrès national indien se retrouverait alors pris en tenaille entre une extrême-gauche très remontée et un groupe nationaliste ambitieux et incisif.

1. Le Programme minimum est une série de mesures – comme l’investissement dans l’agriculture et les infrastructures, la mise en place de salaire minimum et d’une assurance maladie pour les ouvriers agricoles, l’investissement dans les structures éducatives – qui doit conduire à une amélioration des conditions de vie en zones rurales indiennes.

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.