Une ancienne loi freine les réformes sur les réserves autochtones

Écrit par Matthew Little, La Grande Époque - Toronto
15.07.2008

La Loi sur les Indiens est parfois un obstacle pour les Premières Nations qui luttent contre la pauvreté et la toxicomanie

Vanessa Roulette a vécu sous dépendance de la drogue pendant dix ans. Elle y a mis fin il y a dix mois lorsque la prostitution était devenue sa seule option pour se procurer les 400 $ qui lui étaient nécessaires pour payer sa consommation quotidienne.

Durant ces dix années de noirceur, cette femme de 27 ans de la Première Nation Ojibway a donné naissance à trois enfants et a perdu la garde de chacun d’eux. Un de ceux-ci est né en mauvaise santé après avoir été exposé au crack durant la grossesse.

C’est une histoire courante dans plusieurs communautés autochtones. À présent, une de ces communautés utilise un règlement controversé pour lutter contre les revendeurs de drogue, mais elle devrait plutôt lutter contre le gouvernement canadien.

Garry Sinclair est le coordonnateur pour la prévention de la toxicomanie dans la Première Nation de Peguis, au Manitoba, une communauté de 7200 personnes aux prises avec une trop grande popularité de la drogue.

«C’est pratiquement un état de crise», estime M. Sinclair.

Afin de combattre ce fléau, Peguis a introduit un règlement à deux volets. Un des volets impose un test antidrogue à tous les employés du conseil. L’autre volet fait réapparaître l’exclusion comme forme de punition aux revendeurs de drogue.

Et ça fonctionne. M. Sinclair affirme que les pushers ont cessé de vendre audacieusement leur marchandise à l’insu de tous comme ils le faisaient auparavant, et les utilisateurs de crack ne fument plus où les enfants peuvent les voir facilement. Il y a également une diminution des entrées par effraction.

Mais ces succès ne veulent rien dire pour le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada (AINC) qui a rejeté le règlement.

Contrairement aux autres municipalités canadiennes, les réserves autochtones n’ont pas l’autorisation d’adopter des règlements sans l’approbation du fédéral. Il est peu probable que le règlement de Peguis puisse être conservé s’il était contesté en cour, mais il est impossible de le savoir sans défier l’AINC en appliquant le règlement.

Face au désespoir causé par le problème de toxicomanie dans la communauté, Peguis a décidé justement de défier l’AINC.

Des drogues dures comme le crack, le crystal meth et l’«oxycotton» (l’appellation de la rue pour l’OxyContin, un analgésique disponible sur prescription) ont envahi la réserve de Peguis.

M. Sinclair indique qu’avec les drogues sont venues les gangs, la prostitution, les armes à feu et les cambriolages tellement fréquents que certaines personnes ont peur de quitter leur domicile.

Il a aussi été témoin de plusieurs mères toxicomanes donnant naissance à ce qu’on appelle communément des crack babies, soit des enfants nés malades dont le développement est beaucoup plus lent que les enfants normaux.

«C’est un problème très sérieux, pas seulement ici, mais dans beaucoup de nos Premières Nations», déplore M. Sinclair. «Nous essayons de faire quelque chose à propos de ça et le gouvernement ne travaille pas de pair avec nous.»

Philippe Saethier, un gérant de règlements au sein de l’AINC, indique que les règlements des réserves ne peuvent contredire le code criminel, ce qui se passe dans le cas de Peguis. En stipulant des punitions pour les criminels à l’extérieur du processus judiciaire normal, le règlement est devenu illégal.

Le processus de règlement de l’AINC n’est pas le problème, estime M. Saethier. «C’est une question de mise en application.»

Il affirme que Peguis devrait travailler avec la police pour que les lois criminelles existantes soient appliquées. Toutefois, selon M. Sinclair, cela ne va simplement pas fonctionner.

«Ici à Peguis, notre détachement local est à environ 20-25 minutes d’ici et il couvre une grande étendue.»

La police peut prendre plusieurs jours à répondre si elle est surchargée d’appels prioritaires, mentionne Sinclair. Entre-temps, le problème de toxicomanie dans Peguis ne fait que s’aggraver.

«Ça ne peut plus continuer comme ça», insiste M. Sinclair. «Nous avons besoin d’un leadership qui va se lever et dire : “Nous n’allons plus tolérer que vous, les revendeurs de drogue, veniez détruire notre communauté.”»

Peguis s’efforce d’envoyer ce message. Dans ce processus, la municipalité met en évidence le conflit fondamental entre les Premières Nations et le gouvernement canadien. C’est une question d’autorité, qui a l’autorité, qui en a besoin et à quoi elle sert.

Actuellement, la situation est réglementée par une des lois canadiennes les plus décriées : la Loi sur les Indiens.

Même si la loi a été modifiée pour éliminer les dispositions les plus oppressives – comme rendre illégales les cérémonies religieuses autochtones ou octroyer aux municipalités le droit de délocaliser des réserves entières si cela est jugé «opportun» – elle restreint encore sévèrement l’autonomie des Premières Nations, disent les experts.

Que ce soit pour le contrôle des chiens ou le zonage des propriétés, tous les règlements des réserves doivent être approuvés par l’AINC. La plupart des règlements sont approuvés sans problème, mais certains – comme celui sur le contrôle des animaux de la Première Nation de l’île Walpole, rejeté à deux reprises – finissent par être pris dans l’engrenage.

Le problème le plus sérieux est que des questions locales sont gérées par des fonctionnaires gouvernementaux se trouvant souvent à des milliers de kilomètres.

«Ainsi, les Premières Nations ne peuvent gérer efficacement les affaires de leurs communautés», fait remarquer Dan Wilson, un conseiller spécial auprès de l’Assemblée des Premières Nations.

«Nous subissons la contrainte d’un corps fédéral qui prend des décisions pour des gens sans avoir jamais visité la réserve.»

L’ironie de la situation, c’est que l’AINC appuie les accords d’autogouvernance, ce qui donne le pouvoir aux gouvernements autochtones de passer des lois relatives à leurs communautés, au territoire et aux ressources, sans être confinés à la Loi sur les Indiens. L’AINC affirme qu’une plus grande autonomie est la clé pour briser le cercle vicieux de la pauvreté sur les réserves.

Selon un projet de recherche de l’Université Harvard, les Premières Nations qui s’autogouvernent ont plus de succès que les «décideurs externes» dans tous les domaines, de la réforme gouvernementale aux services sociaux et au développement économique.

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Mais la loi demeure la même, pratiquement identique à celle de 1985 lorsque des sections sexistes, qui privaient les femmes autochtones de certains droits et privilèges, ont été retirées.

Cependant, les limites imposées par la Loi sur les Indiens inquiètent les chefs autochtones qui sont aux prises avec des situations critiques dans plusieurs des communautés du pays. Les autochtones sont trois fois plus enclins à être victimes de crimes violents, sept fois plus à être victimes d’homicide et de huit à dix fois plus à être accusés d’homicide.

Le gouvernement a essayé d’améliorer cette loi à plusieurs reprises, affirme Shin Imai, un des plus grands experts canadiens sur la loi autochtone. Mais la complexité de la loi fait que chaque changement nécessite un autre changement, ce qui produit un effet domino que les législateurs hésitent à attaquer.

Les Premières Nations ont exhorté le gouvernement à faire des changements radicaux, mais cela a simplement fait que le gouvernement n’a plus bougé, indique Shin Imai.

Alors que les accords sur l’autogouvernance offrent une voie de sortie, ils prennent des années à négocier et il y a des centaines de Premières Nations à travers le Canada avec qui négocier.

Des progrès sont quand même réalisés malgré la Loi sur les Indiens.

Les excuses officielles de Stephen Harper, en juin dernier, aux victimes des pensionnats indiens ont été suivies d’une série de lois. Il y a eu un amendement à la Loi sur les droits de la personne pour y inclure les Premières Nations – auparavant considéré comme une omission flagrante – de même que la création d’un tribunal pour trancher sur les revendications territoriales dans une impasse.

L’Accord de Kelowna, un plan complet de 5 milliards de dollars visant à s’attaquer aux disparités sociales entre les communautés autochtones et le reste du Canada, sera aussi mis en application.

Aussi, les communautés autochtones prennent leurs propres actions, qui ne sont pas toutes «hors-la-loi».

Comme Vanessa Roulette, l’ex-toxicomane maintenant sobre, elle est une leader dans sa communauté et un exemple à suivre pour les jeunes autochtones aux prises avec la dépendance aux drogues.

La semaine dernière, elle a entrepris une marche de 200 km entre Winnipeg et Peguis, marchant de 16 à 17 heures par jour avant d’arriver à destination.

Elle veut lever des fonds pour la création d’un club de nuit sans alcool à Winnipeg et elle veut aussi envoyer un message aux jeunes autochtones qui ont des problèmes de dépendance – un message d’espoir qu’il est possible d’arrêter.

«C’est très difficile, mais il faut vraiment, vraiment vouloir changer sa vie.»

«Ils ne doivent pas avoir peur de demander de l’aide», dit-elle. «C’est ce que j’ai fait.»