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L’Afrique du Sud: puissance régionale pour le bien ou le statu quo?

Écrit par Noé Chartier, La Grande Époque - Montréal
02.07.2008
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  • Thabo Mbeki (gauche) et Robert Mugabe, chefs d’État respectifs de l’Afrique du Sud et du Zimbabwe(Staff: ALEXANDER JOE / 2008 AFP)

Le Zimbabwe retient l’attention du monde depuis maintenant plusieurs semaines. Le 27 juin avait lieu le deuxième tour de l’élection présidentielle, un deuxième tour qui n’aurait pas dû être. Tout d’abord, parce que le candidat de l’opposition avait remporté probablement assez de voix au premier tour pour assurer la victoire, puis parce que ce même candidat s’est retiré de la course dans les derniers milles, déplorant un climat de violence incompatible avec un exercice démocratique. À quoi bon lutter dans les urnes lorsque le dirigeant au pouvoir jure, par tous les moyens, de ne jamais abandonner les rênes? Mais au-delà de la dynamique purement locale, toute la crise a exemplifié un certain malaise dans cette partie de l’Afrique, dominée par la puissance régionale qu’est l’Afrique du Sud.

Depuis plusieurs années, l’Afrique du Sud est pointée du doigt pour son traitement somme toute assez amical du dictateur du Zimbabwe, Robert Mugabe. Le président sud-africain, Thabo Mbeki, a particulièrement dû essuyer des salves de critiques pour son incapacité à faire fructifier des discussions entre Mugabe et le parti principal d’opposition, le Mouvement pour le changement démocratique (MDC).

Alors qu’une bonne partie de la communauté internationale s’offusque de la situation au Zimbabwe depuis plusieurs années, en raison de la crise économique sévère (inflation maintenant à 160 000 %) et des violations des droits de l’Homme, l’Afrique du Sud n’a jamais élevé la voix. Avec les récents développements, soit l’activation de bandes armées à la solde du pouvoir qui terrorisent la population pour la punir de ne pas voter Mugabe ou pour la forcer à voter du «bon côté», certains pays africains commencent même à condamner Mugabe, autrefois protégé par l’aura intouchable du révolutionnaire. Un phénomène assez rare sur un continent où le vol d’élections est fréquent.

Pas un mot chez Mbeki, acteur de la «diplomatie silencieuse». Mais de son prédécesseur Nelson Mandela, icône de la lutte anti-apartheid qui aura bientôt 90 ans, une allusion s’est échappée : «l’échec tragique du leadership» au Zimbabwe.

En marge des mots et des déclarations, des actions concrètes ont été prises par l’Afrique du Sud pour protéger Mugabe, autant politiquement que militairement.

Pretoria (capitale sud-africaine) jouit actuellement d’un siège non permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies et elle en a profité pour bloquer une résolution non contraignante visant à déclarer que le second tour présidentiel au Zimbabwe est «sans crédibilité et légitimité».

Ce geste a été accueilli avec déception par le Mouvement pour le changement démocratique. «Nous nous attendrions à ce que la communauté internationale déclare cette soi-disant élection illégitime», a commenté le porte-parole du MDC, Nelson Chamisa. «La réticence démontrée par les organes internationaux fertilise indirectement la répression au Zimbabwe [...] Mbeki abandonne les masses de gens au Zimbabwe en agissant comme un bouclier pour le régime scélérat.»

Outre cette protection accordée dans les plus hautes instances internationales, le journal sud-africain Mail & Guardian (M&G) a révélé, le 28 juin, une relation militaire étroite entre Pretoria et Harare (capitale du Zimbabwe).

«L’information que possède le Mail & Guardian démontre une relation chaleureuse entre les forces de défense des deux pays, de même que des transferts d’armes de gouvernement à gouvernement. Ceci semble entrer en conflit avec le rôle de médiation du président Thabo Mbeki entre le parti au pouvoir Zanu-PF et l’opposition du MDC, qui demande neutralité.»

Le M&G détaille la nature de cette collaboration : 237 401 $ en armement transféré au Zimbabwe; don de moteurs d’avions Dakota du Département de la défense sud-africain; transfert de pièces pour rendre les hélicoptères du Zimbabwe opérationnels; du personnel militaire zimbabwéen entraîné par l’Afrique du Sud; puis la cargaison d’armes chinoises du navire An Yue Jiang – qui devait être livrée au Zimbabwe ce printemps mais dont le déchargement a été bloqué par un ordre de la cour – devait être transportée d’Afrique du Sud au Zimbabwe par la compagnie d’armement étatique Armscor.

Avec l’ampleur de la crise au Zimbabwe, la possibilité ou la nécessité d’une intervention militaire ont été soulevées à quelques reprises. Mais une telle action est extrêmement complexe. Serait-ce avec une force de l’Union africaine, de l’ONU ou une intervention unilatérale?

Le quotidien britannique The Times a affirmé que le ministère de la Défense britannique avait conçu deux plans de contingence concernant une intervention au Zimbabwe. Le premier serait pour répondre à une crise humanitaire et le second pour extraire les ressortissants britanniques. Londres aurait cependant indiqué qu’une intervention était loin d’être probable.

Des troupes étrangères pourraient être perçues comme libératrices par la population, alors que Mugabe pourrait, lui, confirmer son hypothèse que les «colonialistes» fomentent les troubles.

Pour l’instant, une intervention militaire se résume seulement à un cri d’appel pressant des dissidents zimbabwéens et à des plans concoctés probablement par différents gouvernements étrangers qui ne peuvent, en réalité, envisager se déployer sans l’accord du joueur majeur de la région et protecteur du Zimbabwe, l’Afrique du Sud.

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Ces dernières années, l’Afrique du Sud a consolidé une solide domination sur la partie australe du continent africain, particulièrement avec la déconfiture de l’autre acteur important de la région, autrefois surnommé le «grenier de l’Afrique», le Zimbabwe. Pretoria assure également une présence importante au sein du Commonwealth et son accès pour deux ans au Conseil de sécurité de l’ONU lui accorde le titre pratiquement peu contesté de leader en Afrique.

Mais le cas du Zimbabwe demeure une sérieuse épine dans son pied, ou du moins entache son image aux yeux des puissances occidentales. L’Afrique du Sud, pays où jadis sévissait le racisme institutionnalisé, tente d’intégrer les principes d’humanité dans sa politique étrangère. Droits de l’Homme, démocratie et justice ont motivé plusieurs de ses politiques sur le continent africain, alors que dans le cas du Zimbabwe, ils sont oubliés.

Cette position est difficilement explicable, compte tenu que les troubles au Zimbabwe ont un impact direct sur l’Afrique du Sud et la région dans son ensemble. Les situations économique et politique détériorées au Zimbabwe ces dernières années ont créé un immense influx d’immigrants en Afrique du Sud qu’on estime actuellement à 5 millions. Les conséquences de cet exode massif ont été exposées brutalement dernièrement lorsqu’une vague de violence xénophobe a balayé le pays.

Alors, après quoi Thabo Mbeki s’accroche-t-il? Le passé révolutionnaire de Mugabe qui, lui aussi, a lutté contre un régime blanc raciste, la Rhodésie?

Ou est-ce que l’ANC (Congrès national africain, le parti de Mbeki) n’a pas encore remboursé une dette de longue date envers Mugabe, qui accueillait et protégeait ses militants durant les périodes les plus sombres de l’apartheid?

Le gouvernement sud-africain doit réaliser que les yeux du monde sont autant tournés vers lui que vers le Zimbabwe. En tant que voisin immédiat, ainsi que puissance économique et militaire incontestée de la région, il n’en peut être autrement.

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