Cambodge : vers un lent début du procès des Khmers rouges

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque
30.07.2008

  • Exposition de photos des martyrs cambodgiens(攝影: / 大紀元)

La fin du mois d’août est censée voir enfin, au Cambodge, le début du procès des cinq dirigeants khmers rouges encore vivants, après des années d’attente et le décès sans jugement des deux principaux responsables khmers, Pol Pot et «le boucher» Ta Mok.

Dans un contexte où, sans surprise, le Parti du peuple cambodgien (PPC) a une nouvelle fois largement remporté les élections législatives du 27 juillet et consolidé son pouvoir, les possibilités réelles d’avancée du procès restent hypothétiques. Eclipsé par les récents confl its frontaliers avec la Thaïlande, celui-ci ne trouve aucun écho dans la presse officielle, ce qui pose la question du souhait réel qu’ont les autorités de le voir – avec son lot de révélations – avancer.

Le Premier ministre Hun Sen, ancien Khmer rouge lui-même, en conservant le siège sur lequel il est assis depuis 23 ans, se cale confortablement dans la position de décideur du sort de ses anciens complices. POUR établir le tribunal censé juger les anciens responsables khmers rouges, il aura fallu sept années de discussions entre gouvernement cambodgien et Nations Unies.

La structure qui est finalement née et est opérationnelle depuis août 2006, est un tribunal mixte Nations Unies/ Cambodge, incluant des magistrats cambodgiens et étrangers et placé sous droit applicable cambodgien – avec application des lois internationales relatives aux crimes contre l’humanité. Mis en place pour trois ans, l’effi cacité du tribunal est largement remise en cause : encombrement administratif assimilable à une volonté d’inertie, salaires et avantages régaliens accordés aux juges… les Nations Unies ont dû mettre des conditions à une nouvelle levée de fonds internationale censée permettre au tribunal de mener sa mission à son terme.

Et le temps presse : ils ne sont plus que cinq dirigeants khmers rouges, presque octagénaires, à être sur le banc des accusés. Pol Pot, leur chef suprême, est décédé de mort apparemment naturelle en 1998. Ta Mok, «le boucher», est mort lui aussi de vieillesse en juillet 2006. Arrêté en 1999 et inculpé trois ans après de crimes contre l’humanité et de génocide, Ta Mok était le commandant militaire du régime de Pol pot. Responsable du massacre de 30.000 personnes dans le district d’Angkor Chey, de 50.000 à Kompong Cham, de multiples purges de « traîtres » soupçonnés de liens avec les Vietnamiens, il participait directement, disent les témoignages, aux massacres de civils. Il devait être jugé en 2007.

Youk Chhang, directeur du centre de documentation du Cambodge, déclarait déjà à l’époque du décès de Ta Mok que «la mise en place d’un tribunal a tant tardé que les bourreaux meurent sans avoir été inquiétés». Les mauvaises langues ne manquent pas de supposer qu’un procès rapide aurait risqué de révéler le rôle qu’a eu le Premier ministre Hun Sen dans les massacres commis par les Khmers rouges. La Chine, principal soutien aux communistes khmers, aurait aussi pu voir révéler son massif soutien militaire et financier au régime khmer rouge.

Seul aiguillon pour des avancées concrètes avant que les derniers vieillards ne s’éteignent sans avoir parlé ni été condamnés, l’arrivée de janvier 2009, qui marquera l’anniversaire symbolique des trente ans de fi n du régime khmer rouge. Les Khmers rouges, révolutionnaires communistes, ont «libéré» Phnom Penh le 17 avril 1975 et dès le lendemain, ont forcé les populations urbaines vers les campagnes pour les «rééduquer».

Idéologiquement, ceci correspondait à l’exemple chinois qui faisait du paysan un communiste idéal, et de tous les lettrés les antirévolutionnaires à éliminer. Les purges des intellectuels et la tentative de construire un état communiste agraire ont provoqué la mort de 1,7 million de personnes, soit un quart de la population cambodgienne de l’époque, exécutés lors de grande purges ou morts de faim et de maladie. La barbarie des quatre années de régime khmer rouge a laissé au peuple cambodgien une plaie si profonde que le mot de «traumatisme» ne semble même plus applicable et que, 30 ans après, l’étape d’un tranquille devoir de mémoire n’est pas encore venue.

«ll n’y a qu’en les tuant que je pourrai être calme», dit Ly Monysar, homme de 41 ans brisé dont toute la famille a été tuée quand il avait neuf ans. Cité en janvier par l’International Herald Tribune, l’homme indique: «Je veux qu’ils souffrent comme j’ai souffert. Et si je ne peux pas, je reviendrai dans ma vie suivante et je les trouverai. Je ferai mon propre génocide pour me venger d’eux».

Plus de 1.300 personnes ont demandé à être reconnues officiellement victimes des Khmers rouges, dont la moitié souhaite également pouvoir se porter partie civile contre les cinq accusés, ce que la structure hybride du tribunal permet. Ce statut de partie civile, accordé à seulement dix d’entre eux à l’heure actuelle, leur donne le droit de participer à l’enquête, d’être représenté par un avocat et de faire citer des témoins.

Mais pour M. Chhay Hoc-Phéng, président du Comité des Victimes des Khmers Rouges, «ce procès est un simulacre. Tous les droits des accusés sont protégés, alors que le règlement intérieur du tribunal a artifi ciellement créé des barrières colossales aux victimes, en posant des conditions préalables à ceux qui souhaitaient se porter partie civile. C’est pour cela qu’ils sont moins de dix à avoir obtenu ce statut».

Le Comité des Victimes des Khmers rouges a écrit en février au roi du Cambodge et au Premier ministre Hun Sen pour demander une modifi cation du règlement intérieur du tribunal, afi n de permettre à plus de victimes de se porter partie civile. Courrier resté sans réponse. Officiellement tombés en 1979, les Khmers rouges ont continué à infl uer sur la vie politique cambodgienne jusqu’à la fi n des années 90. Ils ont repris les armes en 1992 pour bloquer le changement politique et la mise en place d’élections, et il a fallu que les Khmers se retournent contre leur chef Pol Pot, puis l’arrestation de Ta Mok pour achever leur démantèlement officiel.

Peu de temps a passé mais peutêtre l’opinion cambodgienne préfère-t-elle aujourd’hui se préoccuper de la question du temple de Preah Vihear plutôt que de l’avancée du procès des Khmers rouges. Ce temple, situé à la frontière Nord du pays, est encore vigoureusement revendiqué par la Thaïlande – qui est allée jusqu’à y déployer des troupes à la mi-juillet. Dans le premier cas une fi erté nationale à défendre, dans le second une plaie béante à oublier.