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Profonde incursion dans la «guerre d’Ossétie»

Écrit par Andreas Kronen et Maria Zheng, La Grande Époque
18.08.2008
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  • Des troupes russes prennent position en territoire géorgien sur la route entre Gori et Tbilissi(Stringer: Burak Kara / 2008 Getty Images)

L’expert allemand Eberhard Schneider révèle les dessous de l’affaire

La Grande Époque Allemagne a interviewé Dr Eberhard Schneider, considéré comme un éminent spécialiste de la Russie et de l’Europe de l’Est, au sujet du récent conflit en Géorgie.

La Grande Époque (LGÉ) : Qu’est-ce qui a précipité le conflit actuel entre la Géorgie et la Russie?

Eberhard Schneider (E. S.) : Ce sont les groupes d’autodéfense d’Ossétie du Sud qui voulaient empêcher la tenue d’un dialogue prévu depuis longtemps entre des représentants géorgiens et sud-ossètes. Au dernier moment, l’Ossétie s’est retirée. Les groupes d’autodéfense ont ensuite fait feu sur des villages géorgiens aux alentours de la capitale sud-ossète de Zchinvali. Des agents de police et des civils sont décédés. L’armée géorgienne a riposté par le feu.

Le président géorgien Saakashvili a déclaré à la télévision que la Géorgie ne devait pas riposter par le feu, car il ne voulait pas entreprendre une quelconque action qui pourrait le dépeindre comme un agresseur aux yeux du monde. Il avait déjà déclaré à la télévision être prêt à toute forme d’autonomie pour l’Ossétie du Sud. Les activités militaires ont pris leur propre élan et se sont emballées. De ce que je peux voir, ni les Russes ni les Géorgiens n’avaient prévu cette guerre.

LGÉ : Quelles auraient été les conséquences si le dialogue avait eu lieu?

E. S. : Cela aurait pu être le début d’une série de dialogues qui auraient mené à la résolution du conflit en Ossétie du Sud, mais cela n’était pas dans les intérêts des politiciens sud-ossètes. Cet endroit est un trou noir pour l’ordre de l’État. L’Ossétie du Sud est impliquée dans le trafic de drogues et d’armes, et probablement d’autres entreprises [du même genre] également. Les politiciens locaux soutirent d’énormes sommes d’argent de ces trafics, et peut-être aussi certains individus de Moscou qui ont des liens avec les siloviki [groupe de politiciens issus des services secrets ou de l’armée arrivé au pouvoir sous Vladimir Poutine, ndlr], les détenteurs du pouvoir. Le bruit court que le chef du gouvernement sud-ossète, Morosov, a des liens avec la mafia russe. Il est bon de souligner que toute marchandise arrivant en Ossétie du Sud par le tunnel Rok est sujette à un droit de douane de 3 %. Lorsque des biens arrivent par la frontière normale de la Géorgie, ces droits sont de 25 %.

LGÉ : Quel était l’objectif des politiciens sud-ossètes en attaquant la Géorgie?

E. S. : Ma supposition est la suivante : le leadership sud-ossète a précipité les évènements. Ils souhaitaient souder davantage la Russie à l’Ossétie du Sud. La Russie n’avait pas reconnu la République d’Ossétie du Sud et refusait d’intégrer cette région dans son système politique. L’Ossétie du Sud a spéculé que la Russie devait réagir car, depuis 2006, elle a octroyé des passeports russes à 80 % des citoyens sud-ossètes. Selon les plus récentes lois russes, la Russie a l’obligation de protéger tous les citoyens russes, à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Les Ossètes, en revanche, ne sont pas russes, mais plutôt d’origine perse.

Il semble que l’objectif des politiciens sud-ossètes est d’avoir la présence permanente de troupes russes stationnées dans cette région, afin que les troupes géorgiennes ne puissent plus envahir. Ils ont été assez brillants pour comprendre que la Russie ne resterait pas sans réagir si la Géorgie s’en prenait au leadership de l’Ossétie du Sud, ce qui provoquerait des victimes civiles. Sans cela, la Russie aurait été accusée d’être incapable de protéger ses propres citoyens. Peut-être que la Géorgie avait planifié de bloquer le tunnel Rok. Il relie l’Ossétie du Nord [sur le territoire russe] à l’Ossétie du Sud [en territoire géorgien] et est la seule route vers le Sud. Si les actions militaires avaient eu plus d’envergure, la Géorgie aurait pu empêcher les chars d’assaut russes d’envahir l’Ossétie du Sud. Les troupes géorgiennes ont été incapables d’avancer vers la frontière entre l’Ossétie du Sud et du Nord, entre la Géorgie et la Russie.

LGÉ : La Russie veut-elle intégrer l’Ossétie du Sud?

E. S. : [Lorsqu’il était encore président], Poutine a déclaré lors d’une conférence de presse l’automne dernier, concernant l’Ossétie et l’Abkhazie, que les principes humains de deux peuples autonomes se contredisent. L’un d’eux est le droit de vote et l’autre que les frontières ne peuvent être déplacées. Jusqu’à maintenant, la Russie a évité de faire les démarches pour assimiler la quasi république. Lorsqu’on commence à changer les frontières, à moins que ce ne soit effectué pacifiquement – contrairement à ce qui s’est vu durant le dilemme avec l’ex-Tchécoslovaquie – ça devient une entreprise dangereuse, donnant possiblement l’idée à d’autres républiques russes de faire ainsi. Jusqu’à maintenant, la Russie a strictement nié l’indépendance de la Tchétchénie.

Une autre chose pourrait être importante : la Russie s’active maintenant à détruire toutes les installations militaires en Géorgie qui pourraient être utiles à l’OTAN, advenant l’adhésion de la Géorgie à l’alliance. Ceci pourrait être un avertissement à l’Ukraine, un autre candidat cherchant à joindre l’OTAN. Mais on ne devrait pas interpréter mes paroles comme si je disais que la Russie va attaquer l’Ukraine.

[Quant à] L’ONU, elle semble complètement impuissante. On ne devrait pas s’attendre à autrement, étant donné que la Russie a le droit de veto au Conseil de sécurité. Aucune résolution n’a donc été votée. Les seuls qui pourraient intervenir sont l’Union européenne [UE] et, d’une façon très limitée, l’OSCE [Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe].

LGÉ : Quelles options sont disponibles à l’UE pour aider dans cette situation?

E. S. : La seule option pour l’UE est une approche diplomatique, ce qui est survenu avec les efforts du ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, qui s’est rendu à Tbilissi [capitale géorgienne] et Moscou. Il est le chef des conseillers de l’UE.

LGÉ : Qu’en est-il des rapports d’accusations venant des États-Unis selon lesquels la Russie voudrait un changement de régime en Géorgie?

E. S. : Moscou a des plans de changement de régime à Tbilissi depuis la dernière année et demie.

LGÉ : L’actuel président géorgien a-t-il l’appui de la population?

E. S. : Cette guerre a fait que l’opposition «a déposé les armes» et a cessé de critiquer le président, déplaçant l’attention et l’unissant derrière le leadership en raison des dangers auxquels le pays fait face. Cette guerre a permis au président de démasquer les troupes russes comme n’étant pas des «gardiens de la paix», comme elles le prétendent, car elles ne sont pas neutres. C’est ce que Saakashvili avait toujours soutenu. Une deuxième considération : ce conflit a attiré l’attention internationale, c’est ce que le président avait toujours voulu de toute façon, mais il n’avait jamais trouvé assez d’appui en Occident.

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LGÉ : Que pensez-vous de la réponse des États-Unis, qui critique sévèrement la Russie?

E. S. : Des troupes américaines partagent des baraques militaires avec des troupes géorgiennes en Géorgie. Il est possible que des bombes russes aient tué ou blessé des soldats américains dans les baraques géorgiennes. De toute façon, les relations entre les États-Unis et la Russie ne sont pas particulièrement roses actuellement. Il est très probable que l’OTAN ne ratifiera pas l’accord amendé sur les Forces conventionnelles en Europe (FCE). De toute évidence, il n’y aura pas de suivi sur l’accord du traité START [sur les armes stratégiques] qui expire l’année prochaine.

La République tchèque verra l’établissement de radars faisant partie du système de défense antimissile américain, et la Pologne abritera les missiles [intercepteurs]. De plus, je suppose que la population ukrainienne va changer d’avis à propos de l’OTAN. Jusqu’à maintenant, seulement un maigre 15 % de la population était favorable à l’adhésion du pays à l’OTAN. J’imagine que le pourcentage a augmenté et que l’OTAN sera prête, conditionnellement, à admettre l’Ukraine en son sein.

Un autre point à souligner : la Géorgie et l’Ukraine sont connectés à travers l’accord GUUAM [Géorgie-Ukraine-Ouzbékistan-Azerbaïdjan-Moldavie]. L’administrateur spécial pour le président ukrainien, Viktor Yushchenko, a déjà déclaré que l’Ukraine observait la situation en Géorgie et qu’elle était prête, avait la volonté et la capacité d’apporter une aide humanitaire immédiate si nécessaire. On se questionne également sur le besoin d’une assistance militaire.

Le ministère des Affaires étrangères ukrainien a également déclaré que l’Ukraine empêcherait l’utilisation de son port militaire de la mer Noire par la flotte russe qui était stationnée dans le port ukrainien de Sébastopol en Crimée, avant de se rendre en Géorgie. Ceci sera effectif si les navires russes ont fait feu sur la Géorgie avant leur retour.

LGÉ : Comment peut-il y avoir une résolution du conflit?

E. S. : Je peux facilement visualiser une résolution simple : l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie demeurent au sein de la Géorgie, mais appartiennent économiquement à la Russie. Le rouble serait la monnaie légitime, comme c’est déjà le cas, et les entreprises russes pourraient investir là-bas. L’Ossétie du Sud et l’Abkhazie appartiendraient à la Russie et demeureraient seulement officiellement partie des États géorgiens. Ceci voudrait dire que les gens adhéreraient aux principes européens établis que les frontières ne peuvent changer, sauf sous un traité. La Géorgie pourrait ainsi ne pas perdre la face. [Quant à une résolution rapide], la probabilité est faible en ce moment.

LGÉ : Qui jouera un rôle décisif?

E. S. : Cette idée vient d’un émissaire russe que j’ai rencontré à Saint-Pétersbourg au début du mois de juin. Un tel compromis ne peut être atteint actuellement. On devra laisser passer un peu de temps. Pour l’instant, la Russie va demeurer une force d’occupation en Ossétie du Sud et en Abkhazie, car il est pratiquement impossible d’encourager les forces d’occupation russes à partir. Elles devraient alors être remplacées par des gardiens de la paix internationaux. Mais alors la question se pose : de quel pays?

Dr Eberhard Scheider est rédacteur en chef de Current Internal Russian News et professeur de théorie politique à l’université Siegen. Il est un des plus éminents spécialistes de la Russie en Europe.

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