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Russie-Occident: ombre de guerre froide et redéfinition stratégique des relations

Écrit par Noé Chartier, La Grande Époque-Montréal
02.09.2008
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  • Un garçon à vélo devant une affiche u00abStop Russia» dans le centre-ville de Tbilissi(Stringer: VANO SHLAMOV / 2008 AFP)

On dirait que ce qui s’est réellement passé sur le terrain en Géorgie ces derniers jours, et ces dernières années, n’incombe plus tellement à la crise actuelle. Chaque acteur et chaque observateur semblent avoir écrit son propre récit des évènements et s’en sert actuellement pour projeter ce que seront les conséquences de cette guerre éclair entre Moscou et Tbilissi. Le petit évènement localisé, qui a permis à certains de voir apparaître la Géorgie sur la carte du monde, a pris des proportions internationales. Dans le camp occidental, on dit que c’est l’ensemble des relations avec Moscou qu’il faut reconsidérer. Dans le camp russe, l’idée d’une tentative d’encerclement et d’isolement par les États-Unis et l’OTAN – qui précédait l’actuel différend – n’a été que renforcée.

Dans un contexte plus large, les blâmes fusent de part et d’autre. On repense en entier au processus qu’a traversé la Russie depuis le démantèlement de l’Union soviétique, et certains n’hésitent pas à pointer du doigt l’attitude occidentale. Plutôt que de procéder à une dissolution de l’Organisation du Traité de l’Atlantique-Nord (OTAN) lorsque l’URSS s’est effondrée, il y a eu expansion. À quoi bon conserver une alliance militaire lorsque l’ennemi juré n’est plus?

C’est comme si on n’avait jamais vu la Russie débarrassée du communisme comme un futur partenaire crédible et amical. Avec leur économie en ruines, les Russes devaient payer pour avoir persisté si longtemps dans la voie de l’erreur historique. Une humiliation certaine que l’homme fort du Kremlin, Vladimir Poutine, n’a jamais digérée. L’ex-président devenu premier ministre a qualifié la dissolution de l’URSS de «pire catastrophe géopolitique du 20e siècle».

L’extension de l’OTAN aux frontières russes est certainement venue mettre du sel sur la plaie, ajouter l’insulte à l’injure. Pour les anciens pays du Pacte de Varsovie, ayant connu l’oppression communiste, il s’agissait peut-être d’une sorte de vengeance ou de rédemption que de pouvoir joindre une alliance de pays dits démocratiques. Une sorte de police d’assurance pour empêcher une éventuelle résurgence russe.

Mais au-delà des considérations idéologiques, politiques et sécuritaires, il y aurait eu d’autres facteurs incitant l’expansion de l’OTAN.

Selon Mark Weisbrot, codirecteur du Center for Economic and Policy Research de Washington, D.C., intégrer d’autres pays à l’alliance militaire occidentale était avant tout une question d’argent, beaucoup d’argent. Les pays rejoignant l’OTAN doivent améliorer leurs équipements militaires aux standards de l’organisation et ceci représente une mine d’or pour l’industrie des armes. Plus qu’il y a de pays qui rejoignent l’OTAN, plus les firmes d’armement s’enrichissent.

Selon un point de vue de défense, l’ex-URSS ne représentait plus le même antagonisme, mais les membres de l’OTAN ont peut-être jugé qu’il y avait d’autres menaces contre lesquelles il fallait encore se prémunir. De leur point de vue, en considérant la situation politique dans la Russie actuelle, ils ont été prévoyants.

Le souhait de voir Moscou entrer dans le concert des nations avec une voix qui plaise à l’Occident, soit une voix douce chantant des airs démocratiques et célébrant une économie de marché rodée par des mécanismes fiables, s’est totalement effondré lors de la dernière élection russe. Poutine, l’ex-lieutenant colonel du KGB, a démontré son ascendant quasi total sur les institutions d’un pays de plus en plus autoritaire, qui peut réduire en miettes une opposition déjà anodine tandis que la population applaudit sur fond d’hymnes ultranationalistes.

Guerre froide

Le terme sur les lèvres de presque tous les analystes dernièrement, que l’on peine parfois à prononcer comme s’il s’agissait du nom d’un terrible fantôme, est la «guerre froide». Il est sorti à quelques reprises de la bouche de certains dirigeants : «Nous ne voulons pas d’une autre guerre froide»; «nous n’avons pas peur d’une autre guerre froide», etc. Au fil des déclarations, on ne sait plus qui veut quoi et qui pense quoi.

La guerre froide est nouvellement évoquée en raison des derniers évènements, mais vraiment des signes laissent présager, depuis quelques années, que le terme fantomatique est en fait une réalité. Peut-être est-il vraiment ce fantôme qui fait peur aux investisseurs et engendre un mauvais climat dans la sphère de l’économie mondialisée. Il faut donc éviter de prononcer son nom.

Si l’on se fie à la diplomatie internationale et à l’économie, on est loin d’une guerre froide. Les dirigeants sourient et se serrent la main et de grosses affaires sont conclues entre pays possédant des intérêts parfois très divergents.

Mais ne tenir compte que de la sphère visible peut jouer certains tours. Certains pays sont en guerre contre l’hégémonie américaine et occidentale. C’est seulement que la voie des armes et leur utilisation conventionnelle ne sont pas privilégiées.

Les deux entités étatiques représentant la menace principale pour la sécurité des différents gouvernements occidentaux sont la Russie et la Chine. Diplomatie et affaires en surface, guerre constante dans la profondeur pour empêcher ces pays de voler différents secrets industriels et technologiques et d’accomplir ingérence et interférence dans les affaires internes.

Oleg Kalugin, ex-major général au sein du KGB et maintenant professeur auprès du Counter Intelligence Centre aux États-Unis, donne cette appréciation de la guerre froide et des relations actuelles entre Washington et Moscou :

«Rien n’a beaucoup changé. Les noms ont changé; il n’y a plus d’URSS sur la carte du monde, mais la Russie demeure une puissance économique et militaire qui grandit et qui met au défi les États-Unis. Elle voit les États-Unis comme un obstacle à [son] expansion [...] Dans ce sens, l’antagonisme, bien que dépourvu de substance idéologique, demeure [...] C’est maintenant un conflit entre deux grandes puissances dans lequel la Russie s’est sentie humiliée ces dernières décennies. Elle veut rétablir ses grandes ambitions, restaurer son image et étendre son influence économique et politique sur l’Europe, l’Asie, etc. Et les États-Unis demeurent l’unique obstacle à cette politique expansionniste.»

La lutte aux ressources

Avec ce qui se déroule actuellement, il semble futile de déterminer à qui la faute. Les suspicions entretenues de part et d’autre ainsi que les gestes manquant de sincérité ont aidé à créer l’antagonisme auquel le monde fait face. Mais d’une manière beaucoup plus simple, l’affrontement entre deux blocs désirant contrôler un même terrain est inévitable.

La supériorité économique est le gage de la puissance mondiale. Les ressources naturelles sont essentielles au développement de l’économie. La lutte pour les ressources devient la lutte de tous les instants.

Nombre de conflits sur la planète aujourd’hui sont liés aux ressources naturelles. Selon certains observateurs, ces conflits sont entièrement le résultat de cette lutte aux ressources. Ainsi, l’opinion est répandue que les États-Unis ont envahi l’Irak pour s’approprier le pétrole. Le mot circule que la sécurité de l’Afghanistan est nécessaire pour faire passer un oléoduc devant acheminer le gaz du Turkménistan vers la mer Arabique. Puis, dans le cas de la Géorgie, sur son territoire est acheminé le seul pétrole de la mer Caspienne qui ne soit pas contrôlé par la Russie.

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La crise actuelle peut être interprétée comme une lutte pour l’énergie. Si l’on considère que chaque État met ses propres intérêts avant tout et qu’il use de double standards lorsque vient le temps de parler démocratie et droits de l’homme, on renforce ce point de vue.

Mais percevoir les relations internationales de manière aussi absolue ne peut être infaillible. Ce serait prétendre que les politiciens élus à travers l’Europe et ailleurs ne ressentent aucun dégoût devant un pays sur la voie de la démocratie se faire envahir par un pays autoritaire nettement plus grand et puissant désirant conserver sa sphère d’influence traditionnelle.

Plusieurs soulignent que le président géorgien, Mikhail Saakashvili, n’est pas le meilleur réformiste, ayant fait face à un important mouvement d’opposition avant le conflit, mouvement qu’il avait réprimé. D’autres peuvent indiquer qu’il est pénible de diriger un pays alors qu’à quelques pas des soldats russes sont positionnés à l’intérieur de ses frontières et qu’une guerre de propagande ne connaît aucune relâche.

L’UE impotente

Questions d’énergie, de souveraineté, de désir d’accalmie et de sécurité sont des facteurs qui s’entrechoquent au sein de l’Europe. On a souligné que les nouveaux venus au sein de l’Union européenne (UE), qui sont aussi des anciens satellites soviétiques, privilégient une approche plus dure face à Moscou.

Mais après des réactions émotives initiales, on sent que le pragmatisme et la dure réalité reprend vite place. Ainsi, la Pologne, par exemple, n’a pas parlé pas de sanctionner Moscou, mais plutôt de «réfléchir sur comment nous pouvons aider la Géorgie et renforcer notre partenariat avec elle, mais aussi avec des pays comme l’Ukraine et la Moldavie». Tels sont les propos du ministre polonais des Affaires étrangères, Radoslaw Sikorski, rapportés par la Gazeta Wyborcza. La menace semble donc perçue, mais la position de force reste introuvable.

Finalement, l’Union européenne fera très peu. Comme dans le cas de la répression du Tibet par le régime chinois au printemps dernier, la profonde indignation du départ a laissé place à une déclaration de «condamnation». À ce titre, les tenants de l’approche réaliste et de la défense pure des intérêts nationaux n’ont pas tort. Dans le cas russe cette fois, l’UE a décidé, lors d’une rencontre le 1er septembre, de mettre sur la glace les discussions commerciales avec Moscou.

L’Europe est, bien entendu, dépendante des hydrocarbures russes et elle est la première perdante lorsque Moscou brandit le spectre d’une escalade militaire.

Mais ce problème autour de la Géorgie forcera l’UE à revoir sa politique énergétique. Peut-être va-t-elle réaliser qu’elle n’a aucune autre option viable et qu’elle n’a pas les moyens de sortir quelque peu de cette prise d’étranglement.

«Aucune nation ne peut étrangler l'Europe avec son énergie», estime le premier ministre Gordon Brown, dans les pages de The Observer. «Sans une action urgente, nous risquons de tomber, comme des somnambules, sous la dépendance énergétique de partenaires moins stables ou moins fiables», ajoute-t-il.

Cette position plus ferme de la Grande-Bretagne n’est peut-être que littéraire. Il faut cependant noter les mauvaises relations entre Londres et Moscou depuis l’histoire de l’ex-espion russe Litvinenko assassiné en territoire anglais, un meurtre que Londres impute aux services secrets russes.

Du côté de l’Allemagne, un acteur européen majeur, on va également revisiter les relations stratégiques avec la Russie. Du temps de l’ex-chancelier Gerhard Schroeder, un grand ami de Poutine, tout allait bien. D’ailleurs, Schroeder poursuit maintenant son expérience avec le géant russe des hydrocarbures, Gazprom. Mais avec l’entrée en scène d’Angela Merkel aux commandes, une plus grande distance s’est établie.

Selon des révélations de la presse allemande, la nouvelle relation avec Moscou ne sera pas une «guerre froide», mais bien une «paix froide».

Quant aux autres acteurs importants, la France, de par sa présidence de l’UE, doit adopter une approche la plus consensuelle possible. Quant à l’Italie, les États-Unis auraient déjà demandé à son richissime premier ministre, Silvio Berlusconi, de cesser d’agir chaleureusement envers Moscou. Selon le journal russe Kommersant, Berlusconi a déjà souligné être un militant (advocate) pour les investissements en Russie.

Nouveau statu quo

Avec une Europe timide, il y aura probablement un nouveau statu quo. Les forces russes sont toujours présentes en Géorgie, contrôlant le port de Poti, bien au-delà des frontières des régions séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud. Le traité mis de l’avant par l’UE n’est pas respecté. Qu’est-ce qui repoussera les troupes russes sinon une action militaire, advenant la faillite de la diplomatie?

La semaine dernière, Moscou a poursuivi sa bravade en reconnaissant formellement l’indépendance des deux régions ci-haut mentionnées, qui font normalement partie des frontières internationales de la Géorgie.

Au grand désarroi de Moscou peut-être, seulement deux pays ont appuyé sa décision, sans toutefois y apposer un sceau formel. Le président du Belarus, Alexander Loukachenko, «dernier dictateur d’Europe», et le président du Venezuela, Hugo Chavez, «bête noire de Washington», ont soutenu leur allié russe.

On a donc vite soulevé «l’isolement» de Moscou sur la scène internationale. Mais, habituellement, les régimes autoritaires s’habituent et se renforcent de l’intérieur avec l’hostilité étrangère. Ce qui pourrait toutefois faire très mal, c’est le retrait constant des investissements en Russie depuis le début de la crise. Encore une fois, le portefeuille pourrait être l’élément qui vient éveiller la raison.

L’incapacité de l’Europe à protéger un prétendant pourrait forcer la main aux États-Unis. Déjà, l’aide humanitaire américaine est arrivée en Géorgie à bord d’un vaisseau de guerre. Moscou a accusé Washington de livrer des armes, ce qui a été réfuté par la Maison-Blanche. Mais que des armes soient livrées ou pas, cela a une importance minime. La Géorgie est un allié militaire des États-Unis. La Russie a fourni en armes les rebelles des régions séparatistes durant ces dernières années.

Plutôt que de prétendre à une opération secrète américaine de livraison d’armes, la Russie pourrait seulement mentionner le fait accompli : un navire de guerre est nettement plus dangereux que quelques mitrailleuses. Son emploi s’inscrit dans une projection de la force pour intimider la marine russe, ayant déjà participé aux attaques contre le territoire géorgien.

Maintenant que le vice-président américain, Dick Cheney, se rendra dans la région, on peut s’attendre à ce que les États-Unis s’activent dans des sphères où les Européens n’ont pas l’habitude de s’engager. Certains disent qu’après avoir échoué à faire de l’Iran la menace de l’heure, la Russie vient jouer le rôle de nouvel épouvantail pour les faucons de Washington. Il s’agiraitt d’une suite logique, considérant les relations entre Moscou et Téhéran dans le domaine nucléaire, militaire et économique.

Est-ce qu’une nouvelle administration américaine menée par un Barack Obama réussirait à établir une paix durable dans la région et le monde? C’est ce que beaucoup croient et espèrent. Mais c’est peut-être oublier que des pays se débattent pour défaire l’hégémonie américaine, motivés par leurs propres ambitions de superpuissance. Un nouveau président américain risque peu de faire reculer leur désir ardent d’influencer le monde.

Désir d’influence et besoins énergétiques forment un cocktail explosif. La nouvelle position russe en Géorgie est, pour certains, inacceptable. Le pétrole qui y transige est une drogue dont on ne peut se passer. L’équation est simple : le monde se crispe et les épées s’aiguisent.

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.