La montée en puissance de Tzipi Livni

Écrit par Stéphanie Krug, Collaboration spéciale
22.09.2008
  • Tzipi Livni, ministre des Affaires étrangères israéliennes,(Pool: Pool / 2008 Getty Images)

En Israël, quatre candidats étaient engagés dans la lutte pour remporter la primaire de septembre et remplacer le chef du parti Kadima et premier ministre, Ehud Olmert, affaibli par une série d'enquêtes portant sur des affaires de corruption. Il y avait Tzipi Livni, ministre des Affaires étrangères, Shaul Mofaz, ministre des Transports, Avi Dichter, ministre de la Sécurité intérieure, et Meir Sheetrit, ministre de l'Intérieur. Les deux favoris du scrutin étaient Tzipi Livni et Shaul Mofaz et ils se sont affrontés dans un duel serré le mercredi 17 septembre.

C’est près de 70 000 membres de Kadima qui sont venus trancher entre un avenir fait de compromis avec les Palestiniens et une vision très proche des thèses du Likoud et défendue par Shaul Mofaz, considéré comme un faucon. Si Kadima est un parti centriste créé par Ariel Sharon en novembre 2005, à l’issue des perturbations liées à la décision des Israéliens de quitter la bande de Gaza, Shaul Mofaz qui a finalement rejoint Kadima n’en reste pas moins très fidèle aux positions de Benjamin Netanyahu.

Première femme à se hisser au pouvoir depuis Golda Meir, c’est Tzipi Livni, la politicienne la plus populaire du pays, qui a remporté les primaires au premier tour en dépassant de peu les 43 % des suffrages exprimés contre 42 % pour son principal rival.

Sans évoquer de ressemblance trop frappante, Golda Meir était connue comme la dame de fer de la politique israélienne tant ses positions ne fléchissaient pas devant les turbulences politiques et tant la confiance que les Israéliens lui attribuaient pendant son mandat de premier ministre était absolue. Elle a été la première femme à accéder au poste de premier ministre en Israël et la troisième femme au monde à assumer ce niveau de responsabilité.

Shaul Mofaz, qui avait mené une campagne très engagée sur des thèmes nationalistes, avait reproché à Livni de «manquer de courage et de leadership, ce qui l’empêche de clarifier ses positions face au public». Il devra céder la place à cette nouvelle dame de fer qui ne se laisse pas impressionner et affiche une position pragmatique et réaliste. Celle qu’on surnomme désormais «Madame Propre» a insisté pour témoigner de son engagement envers le processus de paix et combien elle tenait à prendre en charge les négociations avec les Palestiniens modérés et à trouver des résolutions.

Tzipi Livni est différente de Golda Meir, elle qui n’a jamais fait de la réconciliation avec les Palestiniens une priorité et a répété que «la Paix viendra quand les Arabes aimeront leurs enfants plus qu’ils ne nous haïssent». Celle dont le père, Eitan Livni, a été le chef des opérations de l'Irgoun (milice née d’une scission de la Haganah qui prônait la lutte armée et le recours au terrorisme et qui rêvait du Grand Israël biblique, dont les frontières s'étendent au-delà du Jourdain), semble faire de son engagement auprès du processus de paix son cheval de bataille.

Comme la majorité de ses compatriotes aujourd'hui, cette nouvelle étoile montante de la politique israélienne sait qu’il n’y a guère d’alternative et que les pressions internationales sont telles qu’Israël ne pourra survivre en tant que pays juif et démocratique s’il ne cesse le processus de colonisation.

Tzipi Livni, inspirée par son mentor Ariel Sharon – dont les positions s’étaient adoucies avec la création de Kadima – affirmait l’année dernière dans le New York Times : «Je crois encore en notre droit à toute la terre, mais j'ai senti qu'il était plus important de faire un compromis. Nous ne pouvons pas déterminer qui avait raison ou tort en 1948, ou décider qui est plus juste. Les Palestiniens peuvent sentir que la justice est de leur côté, et je peux sentir qu'elle est du mien. Nous n'avons pas à décider de l'Histoire, mais de l'avenir.»

Mais là où Tzipi Livni innove vraiment, c’est dans sa conception des manœuvres politiques et de la politique politicienne. On dit d’elle qu’elle déteste les coups bas et les coups préparés en coulisses. Considérée comme droite et honnête, elle représente l’antithèse d’Ehud Olmert – accusé de népotisme – et apporte l’audace d’une ère politique nouvelle et plus pure dans un pays miné par la paralysie et la corruption. Sa popularité s’est d’ailleurs construite sur ses qualités de droiture et de probité qu’elle arbore sans complaisance. Elle souhaite avant tout restaurer la confiance des Israéliens ébranlés par toutes les turbulences auxquelles Ehud Olmert les a confrontés depuis ses ratés dans la guerre du Liban en 2006.

Au sortir de sa victoire, Tzipi Livni a déclaré : «Je vais commencer dès demain à rencontrer les représentants des autres formations à la Knesset [Parlement] pour former au plus vite une nouvelle coalition face aux graves défis» auxquels Israël fait face. Elle a noté à ce sujet «les menaces extérieures» sur la sécurité d'Israël, la nécessité «d'exploiter les chances» de faire avancer le processus de paix et les «incertitudes économiques» causées par les retombées de la crise économique mondiale. Elle a appelé par ailleurs à «l'union» au sein du Kadima, après la bataille interne pour la direction du parti.

Malgré sa victoire à Kadima, il n’en reste pas moins que la bataille est encore longue pour parvenir au poste de premier ministre. Plusieurs étapes vont jalonner son parcours. D’aucuns parmi ses détracteurs au sein du parti Kadima lui reprochent une certaine immaturité politique, une ignorance quant aux affaires de stratégies militaires et une aptitude dans le domaine de la sécurité largement contestée. On peut voir là quelques traits de remarques sexistes qui ne semblent pas affecter cette femme à la voix mesurée et posée, portant des tailleurs toujours impeccablement coupés, à la limite de l’austérité, qui dégage une intégrité sans faille. Par sa tenue vestimentaire même, elle semble imposer un nouveau style à la politique israélienne, et c’est ce qui lui garantit sa forte popularité.

Pour former un nouveau gouvernement, il faudra déjà qu’Ehud Olmert démissionne effectivement comme il s’y est engagé. Il restera à son poste jusqu'à la formation d’un nouveau gouvernement. C’est un processus qui peut prendre plusieurs mois, si l’on en croit les analystes politiques. Car on sait que Tzipi Livni devra négocier avec le parti travailliste d’Ehud Barak pour trouver un ralliement du côté de la gauche, et rassembler les partis religieux, notamment le Shas (ultra-orthodoxe séfarade) et les partis de droite comme le Likoud, sans les irriter. Si elle y parvient, elle deviendra la première femme premier ministre en Israël depuis Golda Meir, dans les années 1970.

Le premier ministre nommé à la tête de l’investiture dispose alors de 42 jours pour créer une coalition. Passé ce délai, le président peut désigner quelqu'un d'autre. Si la tentative de Tzipi Livni ne parvenait pas à atteindre les résultats escomptés, on assisterait à des élections anticipées au début de 2009, alors que la législature actuelle doit normalement s'achever à la fin de 2010. Dans cette perspective risquée et qui augure les tristes tropiques du nationalisme, on verrait affleurer le grand retour du Likoud de Benjamin Netanyahu.