Militaires contre Mafia au Mexique

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque - Paris
27.09.2008

  • Chefs narcotrafiquants présentés à la presse, à Mexico(攝影: / 大紀元)

 

Le pays du serpent à plumes pulvérise les records de meurtres depuis deux ans. Plaque tournante du trafic de drogue sur le continent américain, il est devenu une véritable zone de combat ouvert entre les gangs criminels et l’armée, mais le président Felipe Calderon est déterminé à mettre fin à la toute-puissance des trafiquants de drogue. Après la mort de huit civils le 15 septembre, tués dans la ville de Morelia par deux grenades lancées par des hommes de main de trafiquants, les Mexicains vont-ils se désolidariser plus encore de l’action du gouvernement, ou au contraire serrer les rangs derrière lui? Felipe Calderon a-t-il les moyens d’empêcher l’hégémonie des narcotrafiquants au Mexique?

La liste est longue: 3.500 morts violentes depuis le début de l’année, des séries de corps décapités dans l’état de Yucatan, centre névralgique du narcotrafic, des dizaines d’autres cadavres avec une balle dans la tête près de Mexico, l’enlèvement et l’assassinat d’un enfant de 14 ans. Le Mexique est aujourd’hui en guerre contre une nouvelle forme de violence, qu’on pourrait appeler le narco-terrorisme. Felipe Calderon a souhaité frapper fort contre les trafiquants, et ceux-ci répondent en déployant leur propre armée et en prouvant qu’ils sont maîtres du terrain.

La drogue est l’une des trois principales sources de revenus pour le Mexique, avec le tourisme et le pétrole. Plus de 90% de la cocaïne vendue en Amérique du Nord vient de trafiquants mexicains, qui depuis les années 90 ont pris le pas sur leurs homologues sud-américains et se fournissent eux-mêmes dans les pays andins – en particulier la Colombie. Le Mexique produit aussi lui-même du cannabis et de l’opium, et des laboratoires industriels dispersés sur les deux millions de kilomètres carrés du pays (soit presque quatre fois le territoire français) font pleuvoir des métamphétamines sur toute l’Amérique du Nord. Les narcotrafiquants mexicains bénéficient d’un emplacement stratégique, à michemin entre Amérique du Nord et du Sud, sont ouverts à l’exportation par de nombreuses façades maritimes et difficilement contrôlables.

De plus ils jouissent de nombreuses zones de non-droit dans les campagnes, zones qui sont depuis toujours sous gouvernement effectif par les narcotrafiquants. Autre avantage, les 3.000 kilomètres de frontières avec les Etats-Unis, très difficiles à contrôler, et qui permettent une entrée facile de la production mexicaine vers les Etats-Unis, où une partie des émigrés mexicains assurent la continuité du transit vers les consommateurs. Et dernier avantage, la très large complaisance que leurs largesses leur garantissent auprès de la police, des juges, des douanes. La région mexicaine la plus touchée par la production de drogue est le Nord, en particulier la province de Chihuahua et la Basse Californie.

La production y est là-bas quasiment une tradition, commencée sous impulsion américaine pendant la seconde guerre mondiale. A l’époque, la production d’opium mexicain fournissait la matière brute de la morphine utilisée en médecine militaire. Les premières tentatives musclées contre les trafiquants ont eu lieu dans les années 1980. L’armée mexicaine, équipée par les Etats-Unis et bénéficiant de soutien logistique, avait forcé les trafiquants à abandonner leurs bastions historiques. Les gangs criminels se sont alors repliés sur d’autres états comme le Jalisco, en bordure du Pacifique, et ont ainsi essaimé leurs zones de crime.

Fin 2006, Felipe Calderon – fraîchement élu – a souhaité imprimer la marque de sa présidence en déclarant la guerre aux trafiquants. Cette guerre, menée par 40.000 soldats de l’armée régulière – censément moins corrompue que la police dont des anciens membres forment des groupes de trafic de drogue, tout en « arrosant » copieusement leurs anciens collègues, a connu de nombreux succès, mais aucun décisif. Aucun qui permette de faire cesser la violence. Les trafiquants de drogue sont en effet organisés avec la rigueur et la précision d’entreprises internationales, dans lesquelles l’élimination d’un chef n’affecte pas le fonctionnement du réseau.

De plus, ils bénéficient du soutien actif de la police, qu’elle soit municipale, provinciale ou nationale, reflet d’un système politique corrompu de haut en bas. Ceci se comprend d’autant mieux que jusqu’en 2000, le Parti Révolutionnaire Institutionnel, alors au pouvoir, traitait avec les narco-trafiquants comme avec des entrepreneurs classiques, et opérait des prélèvements sur les ventes de drogue. Les choses ont commencé à évoluer avec l’élection du président libéral Vicente Fox, qui a su désinstitutionaliser les liens avec les trafiquants. Mais sans pouvoir empêcher qu’ils restent partenaires et amis de la police, de nombreux juges, et des douaniers.

Felipe Calderon fait donc face à la difficile épreuve de devoir lutter avec comme soutien une base étatique pourrie, dans une situation où la population mexicaine craint autant – sinon plus – les représentants de l’Etat que les criminels. Courant de semaine dernière, alors que près de 200 trafiquants étaient arrêtés et plus de 25 millions de dollars découverts dans une de leurs «planques», Calderon a ouvert une piste contre la corruption de la police: offrir aux policiers une accession privilégiée à la propriété, qui serait hypothéquée en cas de corruption avérée. La recette de la carotte.