L’or bleu du Québec

Écrit par Marijo Gauthier-Bérubé, La Grande Époque Montréal
28.09.2008

 

Elle est partout, elle fait partie intégrante de notre paysage québécois mais, pourtant, sa présence nous laisse indifférents. À cause de son abondance sur notre territoire, il nous est difficile d’imaginer que plus d’un milliard de personnes n’y ont pas accès. Le sujet, vous l’aurez deviné, l’eau, l’or bleu, le prochain enjeu planétaire après le pétrole.

Avec ses 3 % du patrimoine mondial en eau, le Québec se situe, selon Environnement Canada, parmi les régions du monde les mieux nanties en eau, mais aussi parmi les plus grandes consommatrices avec une moyenne de 400 litres par habitant par jour (ministère de l’Environnement, 2003) ou encore 800 litres par habitant si l’on fait une moyenne globale de la consommation d’eau partout au Québec en une journée (comprenant les industries, l’agriculture et autres). De cette quantité, il y a en fait 30 % d’eau qui se perd à cause de fuites ou d’installations inadéquates.

Il faut aussi penser que la saison estivale est responsable d’une bonne partie de la consommation moyenne des Québécois. En effet, dans le cadre d’un reportage mené par l’ACDI (Agence canadienne de développement internationale), on apprend qu’une seule heure d’arrosage de notre parterre nécessite 1000 litres d’eau dont près du tiers s’évaporera avant même d’atteindre le sol. Cette même quantité d’eau représente les besoins de dix réfugiés dans un camp d’urgence pendant cinq jours!

Pourtant, avec nos quelque 4500 rivières et près d’un demi-million de lacs, nous n’avons pas conscience de la précarité de cette ressource, et la menace d’une pénurie nous est inimaginable. Pourtant, de plus en plus de rivières sont maintenant contaminées par les industries situées à proximité, par les bateaux qui y circulent ou encore par des systèmes d’évacuation inadéquats des eaux vétustes. Certaines plages doivent être fermées l’été, car le niveau de pollution est trop élevé.

Malheureusement, la surconsommation n’est pas la seule menace qui plane sur l’eau du Québec. De plus en plus de groupes environnementaux et d’écologistes s’inquiètent de la privatisation de certaines sources ou encore d’infrastructures. Pourtant, la politique de l’eau lancée par le gouvernement du Québec en 2002 déclare que l’eau est un patrimoine collectif et qu’elle appartient à tous les Québécois alors que la privatisation du réseau met l’eau dans les mains de quelques personnes qui la distribuent à leur manière, à leur prix.

De plus, la privatisation ouvre la porte à des industries, leur permettant d’acheter des sources d’eau, des lacs afin d’y déverser leurs eaux usées, polluées et contaminées, quoique certaines entreprises ne se gênent pas pour déverser leur pollution dans des cours d’eau, propriétaires… ou non!

La guerre de l’eau?

Même si le scénario peut paraître irréaliste, les conflits ayant comme enjeu le contrôle de sources d’eau potable est bien réaliste! Des études de l’ONU prédisent que l’eau sera, d’ici 50 ans, une ressource encore bien plus précieuse que le pétrole! Sur le site de la Pacific Institute [worldwater.org/chronology.html], on peut y retrouver un document retraçant les conflits ayant eu lieu à cause de l’eau; qu’il s’agisse d’un contrôle de puits, d’une révolte contre les autorités à cause de l’accès restreint à la ressource, en passant par l’empoisonnement de cours d’eau jusqu’aux conflits armés pour le contrôle d’un fleuve ou d’une source d’eau. Certains chercheurs ont même observé que les conflits en Afrique atteignaient souvent leur paroxysme de violence lors des périodes de sécheresse.

Même si le document présenté par la Pacific Institute nous montre que la majeure partie des conflits pour l’eau ont eu lieu au Moyen-Orient ou en Afrique, il faut tout de même se sentir concerné, car l’eau pourrait devenir une source de tension importante entre les États-Unis et le Canada, puisque notre voisin souffre d’un manque d’eau afin d’abreuver ses États du Sud alors que le Canada baigne dans pratiquement le quart des ressources mondiales d’eau potable.

Le 20 août 2008, la Presse Canadienne publiait un article concernant le rapport d’Environnement Canada qui énonçait la possibilité de conflits entre les provinces pour l’eau du Canada mais aussi de conflits avec nos voisins : «Le rapport avise également d'un "risque accru" d'épreuves de force entre les provinces, ainsi qu'entre le Canada et les États-Unis, si l'approvisionnement en eau diminue trop. […] Le Canada insiste que ses réserves d'eau ne sont pas à vendre, mais son voisin du sud pourrait bien faire pression pour se faire envoyer de l'eau si ses réserves se tarissent.»

Même si la possibilité de tensions et de conflits avec les États-Unis nous semble bien loin, il ne faut pas se dire que c’est improbable. Les réserves d’eau diminuent partout dans le monde et de plus en plus de peuples s’entredéchirent pour avoir le contrôle des eaux sur leur territoire.

De plus, le manque d’une politique canadienne (et québécoise) concernant la gestion des eaux rend la situation encore plus difficile, car personne ne peut dire exactement à qui appartient l’eau, qui doit la gérer et, surtout, aucune loi ou traité ne protège réellement l’eau afin d’empêcher qu’elle ne devienne une marchandise au même titre que le bois ou le pétrole.